Troubles psychologiques, japanime et manga : leur pire ennemi ? Eux-mêmes
Dépression, schizophrénie, paranoïa, anxiété… Les troubles psychologiques mettent à mal le quotidien de nombreux individus à travers le monde. Si ce sujet est souvent incompris et même stigmatisé, l’animation japonaise et l’univers du manga, eux, n’hésitent pas à sortir du silence pour sensibiliser leurs spectateurs. À l’occasion de la Journée mondiale de la Santé mentale qui s’est célébrée mardi dernier, Journal du Japon revient sur des titres bouleversants, qui mettent en scène des personnages luttant chaque jour contre leurs propres démons.
Syndrome de stress post-traumatique : quand le passé obscurcit le présent
« Faites que je ne rêve pas » – Taro, Ghost Hound
La peur. Une émotion provoquée par l’inconnu, le danger, l’imprévu. La plupart du temps, elle est éphémère et nécessaire à la survie, mais parfois, certains événements peuvent laisser des traces, des plaies difficilement cicatrisables… Le traumatisme vécu fait alors remonter des souvenirs, des sensations, des émotions qu’il aurait été préférable d’oublier. Dans ce cas, la peur semble persister, influençant notre manière de percevoir le monde.
Dans le secteur du manga et de l’animation japonaise, il n’est pas rare de croiser des personnages ayant vécus des expériences douloureuses. Et certains ne s’en remettent jamais vraiment. Taro Komori (Ghost Hound), Shino Asada, surnommée Shion (Sword Art Online) et Kousei Arima (Your Lie in April) en sont le parfait exemple. Tous les trois souffrent d’un trouble mental appelé « stress post-traumatique », une réaction psychologique faisant suite à une situation vécue comme violente mentalement.
Ainsi, l’œuvre de Ryūtarō NAKAMURA traite de la difficulté à se remettre d’un enlèvement et de la perte d’un être cher. Sword Art Online se focalise sur l’état psychique d’une personne ayant été contrainte de tuer pour ne pas mourir. Le célèbre titre de Tomoko NINOMIYA laisse quant à lui planer le fantôme d’un parent bien trop exigeant, mais aussi l’ombre de la culpabilité. Le désordre mental qui les habite n’est jamais mentionné de manière explicite. Cependant, il peut facilement être identifiable en analysant le comportement et les réactions de chaque personnage.
Les symptômes, justement, parlons-en.
- Reviviscence ? Check.
Chaque personnage revit, en effet, son traumatisme sous forme de flash-backs ou de rêves incontrôlables. Le sommeil de Tarô est de ce fait hanté par l’hôpital abandonné dans lequel il a été séquestré, mais également par le corps sans vie de sa sœur ainée. Parfois aussi, un élément particulier, associé à l’état de stress, suffit à réveiller des souvenirs douloureux. Dans le cas de Kousei, c’est le fait de jouer au piano : un flot de pensées intrusives à propos de sa mère le submerge alors. Shion, quant à elle, a développé une peur intense des armes à feux. Elle n’en supporte pas la vue, même fictive.
En étant confrontés à leurs démons, il leur arrive de perdre contact avec la réalité, semblant prisonniers d’un cauchemar sans fin.
- Evitement ? Double check.
Le protagoniste de Ghost Hound est atteint d’amnésie fonctionnelle partielle : il a donc du mal à se rappeler (ou ne veut inconsciemment pas se rappeler) certains aspects de son traumatisme. Son tortionnaire est ainsi représenté de manière métaphorique : une ombre aux allures mystiques.
Dans les deux autres cas, le symptôme se traduit par l’évitement de souvenirs, sensations, lieux ou personnes associés au traumatisme.
- Altération des émotions ou des cognitions ? Triple check.
Ici, le trouble se manifeste de diverses manières. Notre prodige du piano est enveloppé par un état émotionnel négatif constant; un profond océan dans lequel il se noie, où les notes de musiques ne semblent plus l’atteindre. Shion souffre d’un sentiment de culpabilité certain, dû au sang présent sur ses mains. Quant à Tarô, il expérimente la projection astrale : une sensation de flottement à l’extérieur du corps.
- Hypervigilance ? Quadruple check.
Tous les personnages cités précédemment ont des réactions de sursaut exagérées et peuvent présenter des troubles du sommeil comme Taro.
Les personnages ne souffrent pas de TOUS les symptômes associés à l’état de stress post-traumatique, mais cela donne une bonne indication du mal qui les ronge.
Si les sources d’angoisse et les symptômes de mal-être peuvent différer, il existe tout de même une similarité entre les trois séries : elles prennent le parti de mettre en scène des adolescents ayant souffert d’un traumatisme durant leur enfance. Cela influence d’autant plus leur manière de se construire individuellement et socialement et montre à quel point un seul événement, un unique instant peut briser la vie de quelqu’un. Et si recoller les morceaux semble parfois difficile, heureusement un espoir persiste, tels que nous le démontrent Swort Art Online, Ghost Hound et Your lie in april.
Trouble de l’anxiété : l’enfer, c’est les autres… vraiment ?
« Mes yeux sont entachés par le stress et par un mode de vie malsain. » – Tomoko, WataMote
Si je vous dis anime et anxiété, vous me répondez ? Welcome to the NHK bien sûr ! L’œuvre imaginée par Tatsuhiko TAKIMOTO nous transporte dans le quotidien de Tatsuhiro Sato, 22 ans, hikikomori et NEET. Souffrant d’agoraphobie, mais aussi d’attitudes paranoïaques et de dépression, il ne sort jamais de chez lui… ou presque. Son seul refuge se trouve être un parc à proximité de son domicile, où il se rend la nuit pour fumer. Jusqu’au jour où débarque une étrange jeune fille qui lui propose de l’aider à combattre ses troubles par l’intermédiaire d’un mystérieux projet.
Welcome to the NHK, c’est le reflet des maux insondables de la société nippone. Une histoire qui n’a pas peur d’explorer des thèmes sombres et difficiles à aborder, à travers un protagoniste à la vie aussi intéressante qu’ennuyante. Ici, aucun événement particulièrement marquant n’a conduit Sato au bord du gouffre. Son état s’est développé et a empiré de manière graduelle, alors qu’il était aux portes de la vie adulte. Des portes qu’il n’a jamais voulu ouvrir, préférant la sécurité à l’inconnu, se réfugiant dans sa propre bulle, certes, malsaine et malheureuse, mais au moins familière.
Vivant reclus de la société, il n’a que très peu de contact avec le monde extérieur. L’idée même de sortir en public et d’avoir des interactions sociales suffit à le tétaniser. La peur d’être jugé, moqué, celle des regards en coin et des sourires narquois le plonge ainsi dans une culpabilité et une détresse certaines. En vérité, les seuls individus avec lesquels il a la capacité de nouer des liens significatifs doivent également faire face à leurs propres problèmes psychologiques.
Un aspect intéressant de la série réside dans la malhonnêteté apparente dont fait preuve Sato envers les autres, mais aussi envers ses propres sentiments. Ses mensonges incroyables le mènent d’ailleurs souvent à des situations totalement absurdes, où se mêlent délires paranoïaques et moments risibles. Et pourtant, au fond de lui, il est pleinement conscient de sa situation. Il se voit comme une personne sans valeur et pathétique mais essaye au fur et à mesure de changer. Seulement voilà, ses troubles le rattrapent bien vite, il échoue et ça ne fait que renforcer son dégoût de lui-même.
Si la série danse aisément avec l’humour noir, les dommages émotionnels provoqués par les troubles dont souffre Sato, eux, sont tout sauf amusants. Son état de NEET et d’hikikomori n’est pas une simple caractérisation, ni une storyline mineure, mais bien le nœud principal de l’histoire. Nous y suivons les déboires, les espoirs, les échecs d’un individu cherchant simplement à s’intégrer et à être aimé. Et si rien de vraiment palpitant ne ressort à chaque épisode, là n’est pas l’objectif. L’anime brille tout simplement dans son approche réaliste et poignante.
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Changement de décor avec WataMote. Ici, l’auteur a décidé de jouer la carte de l’exagération. Les spectateurs sont invités à rire des situations loufoques dans lesquelles se retrouve Tomoko, jeune fille de 15 ans souffrant également de phobie sociale.
Contrairement à Welcome to the NHK, qui dresse un portrait très sérieux de l’anxiété et équilibre moments dramatiques et humoristiques, le mal-être de Tomoko est ici dépeint sur un ton plutôt railleur. Cette approche a d’ailleurs souvent été très controversée, certains accusant la série de se moquer tout simplement des personnes souffrantes de troubles psychologiques. Mais est-ce là la véritable intention de l’auteur ? La série aligne une série de gags, parfois hilarants, à d’autres moments perçus comme très insultants. Mais ce côté provocateur n’est-il pas justement assumé pour engendrer une réflexion autour d’un sujet ignoré et même minimisé ? Un bad-buzz savamment orchestré pour porter la discussion sur un sujet tabou ?
Les motivations de l’auteur sur ce point restent très obscures et chacun peut donc en faire sa propre interprétation.
Dans Watashi ga Motenai no wa dō Kangaetemo Omaera ga Warui!, nous suivons un protagoniste très atypique. La vie de Tomoko ne ressemble en rien à ce qu’elle s’était imaginée : elle n’est pas populaire, n’a pas d’amis ou de copain, personne ne s’intéresse vraiment à elle et elle passe le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre. Pire encore, l’anxiété dont elle souffre est maladive et de «simples » tâches comme commander un repas dans un fast-food ou saluer son professeur deviennent une véritable corvée psychologique. Sa propre famille ne la comprend pas, interprétant son mal-être comme un non-sens.
De ce fait, la perception du monde de Tomoko est totalement différente de la réalité. Son instinct la pousse à assumer le pire et à penser que le monde entier lui en veut. C’est pourquoi elle s’est construit un mécanisme de défense avec lequel elle a tendance à rejeter la faute sur autrui et à juger très facilement ses pairs. Mais en réalité, elle est constamment tiraillée par deux désirs diamétralement opposés : d’un côté, elle souhaite véritablement avoir des relations sociales et aller mieux. Durant chaque épisode, elle réalise d’ailleurs des « plans d’action » visant à sociabiliser davantage. Sauf qu’elle n’arrive jamais à atteindre ses objectifs, ce qui la fait se sentir encore plus embarrassée et misérable. De l’autre, elle a peur de quitter sa zone de confort et d’établir des liens car se serait prendre le risque d’être blessée.
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Nous avons, jusque- là, principalement parlé d’anxiété sociale. Mais les troubles anxieux peuvent prendre de nombreuses formes. Demandez donc à Yuuri Katsuki !
Doit-on encore vous présenter LA série à succès de l’automne dernier ? Avec ses merveilleuses performances sur glace et son duo de choc, Yuri On Ice a suscité de nombreuses réactions positives. Mais ce n’est essentiellement de la relation Yuri – Viktor dont nous allons parler cette fois-ci ni de patinage artistique à proprement dit. Non, ce qui nous intéresse surtout aujourd’hui, c’est le combat mené par Yuri contre son adversaire le plus redoutable : lui-même.
Lors de leur parcours, les sportifs professionnels rencontrent bien souvent ces sentiments désagréables que sont le doute et la peur. Yuri illustre parfaitement cet état d’esprit, allant jusqu’à remettre en cause sa place au sein de la communauté de patineurs. L’une des premières scènes de la série montre d’ailleurs notre héros, seul dans les toilettes, pleurant toutes les larmes de son corps et s’excusant auprès de sa mère suite à sa défaite au championnat mondial. Une rupture émotionnelle qui place directement le contexte de l’incertitude et du manque d’estime de soi.
L’anxiété de Yuri se retrouve tout au long de la série, à des degrés plus ou moins différents et est dépeinte de manière très sensible et réelle. Tout ne tourne pas autour de son trouble psychologique, mais celui-ci reste bien présent, comme une épée de Damoclès planant constamment au-dessus de sa tête. L’auteur de l’œuvre sait pertinemment comment aborder cet aspect en utilisant le patinage artistique comme projection de l’état mental de Yuri. Chaque pas, chaque échec et chaque réussite reflète sa peur et ses doutes, mais aussi ses espoirs et sa volonté d’avancer.
Un élément particulièrement intéressant de la série réside dans la manière dont Yuri se perçoit lui-même. Son image de soi est pleinement en décalage avec la vision qu’en ont les autres. Il se concentre sur ses échecs et ne semble jamais reconnaître ses accomplissements en tant que patineur (il fait tout de même partie des meilleurs du monde), s’inquiète constamment de son avenir et du fait de décevoir, et tente même de s’éloigner le plus possible de la communauté dont il fait partie. Sauf que ce qu’il renvoie comme image est aux antipodes de la réalité. Ses proches le considèrent comme un jeune homme de talent, l’encouragent et lui offrent des louanges sincères. Quant aux autres patineurs, ils le respectent de manière égale et sont la plupart du temps très amicaux envers lui.
L’apparition de Viktor dans la vie de Yuri va jouer un rôle prépondérant dans son accomplissement personnel. Il sera le premier à véritablement le comprendre et à le faire avancer en tant que personne et sportif. Son influence positive va progressivement le mener sur le chemin de la guérison, certes non totale, mais où Yuri gagnera plus de confiance en lui et sera déterminé à obtenir ce qu’il veut réellement.
Trouble de la personnalité multiple et schizophrénie : en perte de repères
« Souvent, j’ai l’impression de ne pas savoir où je suis. Qui suis-je ? J’ai l’impression de n’être personne. Où suis-je ? Où suis-je censée être ? » – Harumi, Paranoia Agent
Satoshi KON, vous connaissez ? Considéré comme un maître incontesté de l’animation japonaise, il est (ou plutôt était) connu pour son approche atypique, ses œuvres abordant bien souvent des thèmes originaux comme l’introspection psychologique et le réalisme subjectif. Intéressons-nous donc à deux d’entre-elles, les surréalistes Paranoia Agent et Perfect Blue qui se font écho l’une et l’autre.
D’entrée de jeu, Paranoia Agent dresse le portrait d’un Japon sans avenir, où chaque citoyen semble piégé dans le cercle infernal de l’urgence, l’angoisse et le mensonge. Aucun refuge en vue si ce n’est sombrer peu à peu dans la folie et la paranoïa. C’est sur cette idée que se base Satoshi KON pour mettre en lumière les nombreuses formes que peut prendre la peur, notamment à travers diverses pathologies mentales présentées sous format épisodique. A chaque épisode, sa propre histoire. A chaque protagoniste, sa propre vision. Mais l’ensemble des personnages présents dans restent tout de même liés par un fil rouge intriguant : le « gamin à la batte ».
Ayant agressé de multiples personnes sans jamais être arrêté, ce mystérieux personnage provoque l’émoi au sein de l’archipel nippone. Point particulièrement important : toutes ses victimes sont au bord de la dépression nerveuse et souffrent de leur situation respective. Mais ce fameux « Lil’Slugger » existe-t-il vraiment ? Le premier épisode de la série expose l’hypothèse d’une série d’agressions fantasmées, où les victimes auraient tout simplement inventé les faits. L’auteur joue donc ici sur les limites floues entre le réel et le rêve, où tout est à chaque fois remis en cause. Pourtant, le plus important n’est pas vraiment de savoir si oui ou non, cet agresseur est fictif. Ce qui compte, c’est plutôt la symbolique qu’il dégage : « Le gamin à la batte » représente le poids écrasant d’une société bien trop rigide et reflète le désir des victimes d’être, inconscient ou non, libérés de leurs maux et de leur vérité inavouable.
Mais revenons sur ce fameux format épisodique qui nous permet de découvrir un personnage particulièrement intéressant pour notre sujet, puisqu’il est atteint de trouble de la personnalité multiple.
Le troisième épisode de la série nous emmène donc sur les traces de Harumi Chono… ou devrais-je plutôt dire Maria ? Ici, l’intrigue tourne autour d’une femme possédant deux personnalités bien distinctes. L’une est calme, réservée et douce. L’autre est bruyante, n’a pas peur du regard d’autrui et travaille en tant que call-girl. Leur vision de l’avenir et leur désir sont également opposés : Harumi recherche la stabilité et ne souhaite aucunement sortir de sa zone de confort alors que Maria utilise le sexe pour se sentir libre et en contrôle.
Deux portraits aussi différents que le jour et la nuit, tant sur le plan psychologique que physique. Chacun développe ainsi sa propre vie, tout en étant conscient de l’existence de son alter-ego. Mais Harumi souffre d’amnésie et ne se souvient pas des actions menées par sa deuxième personnalité. Dans ce contexte, Satoshi KON dépeint de manière remarquable l’horreur psychologique provoquée par l’inconnu, la perte de contrôle de soi et l’angoisse de ne pas savoir.
Au départ, les deux entités semblent cohabiter de manière pacifique, n’intervenant pas dans le quotidien de l’autre. Mais un jour, le supérieur d’Harumi va lui faire une demande en mariage. Et tout va changer. Ne voulant pas dévoiler sa condition mentale à son futur mari, Harumi va très vite réprimer Maria et cet événement va déclencher la fureur de cette-dernière. Voulant vivre selon leurs propres principes, elles vont donc se confronter et tenter mutuellement de s’évincer pour exister de manière unique. Leurs échanges verbaux sont par ailleurs représentés de manière très originale, les messages du répondeur vocal servant de connexion.
L’épisode se finit sur l’intervention de Lil’ Slugger qui entend les appels au secours lancés par les deux entités et les libère…d’un coup de batte sur la tête.
A travers cette intrigue et au-delà du thème de trouble mental, le réalisateur met ainsi l’accent sur les dangers de n’être qu’une partie de soi-même et de ne pas accepter toutes les facettes de sa personnalité.
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Perfect Blue, le premier long-métrage réalisé par Satoshi KON adopte également une approche similaire, oscillant entre rêve et réalité et jouant constamment avec l’esprit du spectateur. Malsaine, déroutante, horrifique… l’histoire de Mima nous plonge dans un tourbillon psychotique dont il est difficile de sortir indemne. Mais avant d’aborder davantage l’aspect psychologique de l’oeuvre, re-contextualisons un tant soi peu le sujet.
Mima, chanteuse et idole de pop appréciée, décide de quitter son groupe de musique, les Cham, pour réorienter sa carrière dans l’univers du cinéma et de la télévision. Très vite, elle reçoit un petit rôle dans une série policière, mais se reconversion en tant qu’actrice va indirectement engendrer des événements plus que troublants : plusieurs de ses collègues sont assassinés, elle semble harcelée et suivie par un fanatique qui expose sa vie entière sur Internet et son destin semble suivre dangereusement le cours de la série dans laquelle elle joue. Parallèlement, sa santé mentale commence doucement à décliner et atteint un point de non retour lorsqu’elle doit filmer une scène dans laquelle son personnage est victime de viols. Un moment horriblement réaliste et malaisant, tant pour elle que pour l’audience.
A partir de ce moment, Mima est victime d’hallucinations sensorielles et glisse vers un état de schizophrénie intense où illusions et cauchemars ne cesseront de remettre en cause sa propre réalité. Et la nôtre par la même occasion. La temporalité, la mise en scène, l’ambiance glauque et surréaliste de la narration nous conforte dans cet état de confusion où ce que l’on pensait acquis ne l’est pas forcément et où une infinités de questions taraudent nos pensées : Mima est-elle la meurtrière du récit ? Les événements qui se déroulent sont-ils réels ? Qu’en est-il de cette « autre identité », celle qui semble la suivre constamment et la faire sombrer dans la folie ? Aucune prise tangible à laquelle se raccrocher, un suspens insoutenable.
Mais soyez rassurés, les réponses à toutes ses questions (ou presque) sont amenées brutalement à la fin de l’intrigue. On y découvre avec stupéfaction la machination cachée derrière ce spectacle macabre en la personne de Rumi, la manageuse de Mima. Très discrète tout au long du film, certains éléments mettent tout de même la puce à l’oreille, notamment lorsqu’elle quitte la scène de tournage du viol, bouleversée. Souffrant de trouble de la personnalité multiple, elle croit dur comme fer être la « réelle Mima ». Pas l’actrice n’hésitant pas à dévoiler des parties de son corps au yeux du monde entier, non. Mais bien l’ancienne idole J-pop adulée de tous. Un rêve qu’elle même n’a pas su concrétiser durant sa jeunesse. De ce fait, elle assassine les personnes qu’elles pensent responsables du changement de vie de Mima et de sa « perte d’innocence et de pureté ».
Perfect Blue représente donc la manière dont la folie de l’un peut avoir une incidence considérable sur le quotidien de l’autre, une sorte de démence partagée entre plusieurs personnages. Et si Mima se cherchait constamment en tant que personne tout au long du film, partagée entre son univers d’actrice et de chanteuse, la scène finale nous montre une femme épanouie, ayant trouvée son identité et clamant haut et fort qu’elle est bien réelle.
Trouble de la dépression : un monde sans couleurs
« Je suppose que tout cela n’a pas vraiment d’importance » – Kakeru, Orange
Nous avons tous déjà vécu une période difficile dans notre vie. Un deuil, une déception, une mauvaise journée où rien ne se passe comme prévu et nous voilà plongé dans une profonde tristesse. Et si dans la plupart des cas, nous arrivons à surmonter les obstacles et à atténuer notre chagrin, il arrive aussi que le sentiment de morosité persiste. Notre vision de l’univers devient alors terne, vide, et aucun espoir ne semble nous attendre au bout du tunnel…
La dépression est un sujet exploré dans de nombreuses œuvres, et accompagne bien souvent d’autres troubles psychologiques déjà cités. Et l’une des plus grandes séries à l’aborder est sans aucun doute le cultissime Neon Genesis Evangelion.
Aux premiers abords, la série d’Hideaki ANNO présente un scénario à l’apparence simple : des aliens, nommés Anges, font leur apparition et essayent par tous les moyens de détruire la ville de Tokyo-3. Et c’est à de jeunes adolescents qu’incombent la délicate tâche de les détruire, à l’aide de robots géants. Si cette intrigue est amenée de manière classique, le spectateur se rend bien vite compte qu’elle n’est qu’une couverture, une excuse pour aborder un sujet bien plus complexe : la psychologie humaine.
En vérité, un article entier pourrait être consacré aux pathologies psychiques présentes dans Evangelion. La série possède, en effet, une multitude de personnages faisant face à leur propre instabilité mentale. Mais la dépression reste, ici, un thème majeur, le réalisateur ayant lui-même traversé une longue phase de dépression sévère. Dans l’une des ses interviews, il a d’ailleurs affirmé avoir projeté différentes facettes de sa personnalité à travers ses trois protagonistes : Shinji, Asuka et Rei. La série se présente donc comme un miroir, une expression profondément personnelle d’Hideaki ANNO qui nous livre une histoire au ton juste, sombre et mature.
Les thématiques, les personnages, le scénario… tout est dépeint de manière extrêmement brutale et rare sont les moments où l’audience peut souffler un peu. Mais ce qui rend Neon Genesis Evangelion unique, c’est la manière dont l’oeuvre s’aventure dans l’introspection. La psyché des personnages n’est plus simplement suggérée, mais bien illustrée via des monologues et des mises en scène permettant de connecter les spectateurs et de ne pas les laisser indifférents. Cela est d’autant plus vrai lors des deux derniers épisodes de la série où Shinji confronte ses démons, dans une ambiance surréaliste. Ses insécurités issues de la perte de sa mère, de sa relation conflictuelle avec son père et de sa place en tant que pilote, sa dépression et ses peurs sont présentés sous la forme d’un dialogue interne, dans lequel il émet des réflexions sur sa propre existence.
Il est également intéressant de noter que Neon Genesis Evangelion adoptent deux approches différentes dans sa manière de conclure : la série offre une résolution plutôt positive, Shinji répond finalement à ses interrogations, semble enfin s’accepter et tout se termine sur une note d’espoir. En revanche, dans le film The End of Evangelion, le final « alternatif » de l’oeuvre, les dernières minutes sont bien plus sombres et proposent une fin loin d’être heureuse. Shinji retombe dans ses travers et n’avance tout simplement pas, il régresse même et condamne par la même occasion l’humanité.
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Peut-on véritablement sauver une personne souffrant de dépression ? C’est la question que pose Orange, le manga d’Ichigo TAKANO. Ici, ce trouble n’est plus véritablement perçu à travers les yeux de celui qui en souffre, mais via une personne extérieure, en l’occurrence la protagoniste de la série : Naho.
Jeune lycéenne au quotidien on ne peut plus normal, sa vie va être bouleversée le jour où elle reçoit une lettre… envoyée dix ans plus tard par elle-même ! Ces écrits évoquent les regrets de la Naho du futur qui souhaite aider la jeune fille qu’elle était autrefois, en l’incitant à ne pas refaire les mêmes erreurs. Ses plus grands remords concerne l’arrivée d’un nouvel élève, Kakeru, qui dans un avenir proche se donnera la mort. Au fil des épisodes et entourée de ses camarades, la Naho du présent va donc essayer de le soutenir au mieux et l’empêcher de mettre ses idées noires à exécution.
Kakeru personnalise une idée très réaliste de la dépression : en apparence heureux, son sourire dissimule un mal-être le rongeant en permanence de l’intérieur. Par ailleurs, ses pensées suicidaires proviennent d’un sentiment de culpabilité sans nom lié au suicide de sa mère. Se sentant directement responsable de sa mort, il plonge alors dans un état d’abattement profond, une spirale d’émotions négatives. En conséquence, son intérêt pour les activités qu’il aime diminue, il manque de concentration et est très indécis concernant ses sentiments naissants envers Naho, pensant qu’il ne mérite pas de vivre.
Si Orange brille dans sa manière de dépeindre la dépression, c’est aussi et surtout un excellent exemple pour les personnes extérieures ne sachant pas comment réagir face à ce trouble. La série montre à quel point il est important d’être présent et de se soutenir, mais surtout de valider et de prendre au sérieux les sentiments d’autrui. Dans la timeline du futur, les amis de Kakeru n’étaient pas au courant qu’il luttait chaque jour, en silence, contre lui-même. Ils n’ont pas su percevoir son mal-être à temps, ce qu’ils regretteront sans doute toute leur vie.
Bien entendu, il est parfois difficile de percevoir les signes d’une dépression, en particulier si la personne fait tout pour les dissimuler. Orange nous rappelle donc de voir au-delà de sa propre perception des événements, d’être à l’écoute et de parler honnêtement tout en offrant un soutien émotionnel. Cela ne veut pas dire que l’amour ou l’amitié peuvent tout résoudre et guérir. Nous ne sommes pas dans le monde des bisounours. Mais c’est le fait de se sentir épaulé et entouré par des amis essayant de le comprendre qui rend le combat de Kakeru plus facile à mener.
Au final, ce shojô bien loin des clichés nous rappelle ô combien il est important d’exprimer ce que l’on ressent et de ne pas garder ses sentiments prisonniers, au risque de se détruire.
Qu’ils soient abordés sur un ton ironique, humoristique ou sérieux, insinués ou explicités, relégués au second plan ou véritables supports de l’histoire, les troubles mentaux sont bien réels et leur représentation dans les médias compte au plus haut point. Il existe, bien entendu, de nombreux autres mangas et animes, non abordés dans cet article, qui traitent du sujet. N’hésitez donc pas à nous faire part de vos impressions concernant la thématique abordée, mais aussi des œuvres qui vont ont le plus touché.
Un sujet bien intéressant 😉
Je souhaiterais revenir sur vote explication des troubles anxieux avec Yuri on ice, je ne l’ai pas vu mais avec ce que je viens de lire on a l’impression qu’il est au fond du gouffre. Ne serait-il pas en pleine dépression. D’ailleurs les troubles anxieux sont régulièrement associés aux troubles dépressifs. Dans Orange (qu’il faut que je lise d’ailleurs) la dépression a l’air bien dissimulée, cela devient donc difficile pour ses collègues de voir quoi que ce soit ! Pour plus de précisions go lire le DSM IV.
Pour évoquer d’autres titres ayant pour thématique la pathologie mentale, je citerai :
-Soul eater (psychose)
-Sayonara Zetsubou sensei (dépression)
-MDP psycho (personnalité multiple) qui au passage est une affection ultra rare
-Psycho pass (troubles en tout genre)
-les mangas de Usamaru Furuya Tokyo magnitude 8, L’âge de déraison, je voudrais être tué par une lycéenne… (psychoses, nevroses, stress post trauma tout y passe)
-Kuchuu buranko (aborde le soin d’une manière décalée)
-Les survival games (battle royale, king’s game… avec des comportements dissociatifs, des stress post trauma etc.)
et bien d’autres.
J’en ai parlé dans un article (instant pub) http://mangalerie.fr/la-folie-des-manga/
Il y a beaucoup de choses à dire sur le sujet.
Merci pour le dossier.
Bonsoir,
Merci de nous lire !
Effectivement, le fait que Yuri puisse également souffrir de symptômes de dépression peut être débattu. Personnellement, je penche davantage sur une anxiété maladive et un manque cruel d’estime de soi, mais il serait intéressant d’avoir le point de vue d’un psychologue ou d’une personne travaillant dans ce secteur 🙂 Par contre, la dépression accompagne bien souvent l’anxiété comme vous l’avez dit et je dirais même qu’elle peut être associée à beaucoup d’autres troubles (notamment à l’état de stress post-traumatique et aux TOC).
Merci également pour votre liste, je compte bien regarder Tokyo Magnitude 8.0 et Sayonara Zetsubou Sensei qui m’intéressaient déjà de base. Et je ne manquerai pas de lire votre article !
Anysia
Je me ferai un avis sur le cas de Yuri quand je l’aurais vu ;p sinon pour la dépression pour poser un diagnostique :
Au moins 5 des symptômes suivants, pendant 2 semaines, avec changement par rapport à l’état antérieur, avec soit (1),soit (2) (1)Humeur dépressive (triste, vide, pleurs, irritabilité), pratiquement toute la journée journée
(2)Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
Associé à:
Perte ou gain de poids/appétit significatif en l’absence de régime
Insomnie ou hypersomnie
Agitation ou ralentissement psychomoteur
Fatigue ou perte d’énergie Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée
Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou à se décider
Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes, tentative de suicide
Merci de faire des sujets comme ça