Momotaro, le divin soldat de la mer : histoire d’un anime de propagande
Anime 100 est l’occasion pour Japan Expo et @Anime de faire découvrir le premier long-métrage d’animation japonaise : Momotaro, le divin soldat de la mer (Momotaro, Umi no Shinpei). Produit en 1944, il est sorti en avril 1945. Soixante-dix personnes ont travaillé sur l’anime sous les ordres du réalisateur Mitsuyo SEO et du directeur de la photographie Kenzo MASAOKA. Avec la défaite des Japonais, les épreuves du film sont toutes détruites. Du moins c’est ce que l’on croyait. En 1982, un négatif est retrouvé dans les archives du studio Shochiku d’Ofuna…
Momotaro au service de la propagande d’État
Financé par le Ministère de la Marine japonaise, Momotarô, le divin soldat de la mer est un film de propagande reprenant la légende de Momotarô à sa sauce. Il fait suite à l’anime de 37 min Momotaro no Umiwashi (Les Aigles de la Mer de Momotaro). Lorsque le projet de ce nouvel anime fut mis en place, le Japon était à la fin de sa période de victoires militaires. Et six mois après la sortie du film, l’empire du Soleil Levant signait sa capitulation.
Bien sûr, qui dit film de propagande dit chants patriotiques. À cet égard, l’anime est parsemé de chants encensant le travail alors que la mort d’un soldat est rapidement passé sous silence. En effet, sa mort n’a pas d’importance : en échange, le Japon a obtenu les photographies aériennes nécessaires pour lancer son attaque.
Le Paradis apporté par Momotarô et ses amis
Soldats, photographies aériennes, le sujet de cet anime est bien la Seconde Guerre Mondiale. Le quotidien des soldats y est décrit avec quelques éléments triviaux comme l’avion qui prend la pluie et les soldats obligés de protéger leur parachute de leur corps. Mais avant de montrer la guerre, l’anime commence par la vie au village de ces soldats, puis passe à des scènes de vie quotidienne dans le poste avancé pour se terminer par l’attaque finale.
La construction du camp permet de montrer que les indigènes aiment travailler pour les Japonais, que les Japonais leur apportent la connaissance, que cela soit par l’alphabet ou par leurs avions. Tout le monde est heureux, ce qui contraste avec la réalité de la guerre.
Momotarô contre les Onis alliés
À l’opposé, les Alliés sont montrés comme des êtres perfides, oisifs. Bref, comme le Mal.
Pour renforcer cet effet, l’arrivée des Hollandais au royaume de Gowa est raconté dans un style différent, celui des théâtres d’ombre. En plus, ils sont dit arrivants sur leurs bateaux noirs, une référence à l’arrivée des Américains au Japon au XIXe siècle. Puis, en usant de la ruse, les Hollandais s’approprient le royaume.
En revanche, pour l’attaque contre les colons anglais, le style de l’anime revient à la normale. C’est alors le trait utilisé pour dessiner les Anglais qui les démarque et les montre comme mauvais. Ils sont mal dessinés et l’animation les rend quasiment informes, des hommes chewing-gum.
La conquête de l’Indonésie par Momotarô
Alors que Momotaro no Umiwashi racontait l’attaque de Pearl Harbor, Momotaro, le Divin Soldat de la Mer se penche sur l’Indonésie. On y raconte comment les Alliés se sont appropriés l’Asie du sud-est et comment les Japonais ont libéré les locaux.
Le flashback raconte ainsi l‘arrivée de la Compagnie unies des Indes Orientales (la Vereenigde Oostindishe Compagnie ou VOC) dans le royaume de Gowa sur l’île de Sulawesi (Célèbes) au XVIIe siècle. Pour être plus précis, le Hollandais qui se joue du sultan Hasanuddin est l’amiral Speelman. L’anime condense ensuite les événements pour aboutir à la conquête de Gowa par la VOC en 1666.
En 1942, toute cette région était sous domination hollandaise et était appelée les Indes néerlandaises. Après Pearl Harbor, les forces alliées du sud-est asiatique (Américains, Britanniques, Hollandais et Australiens) se sont réunies au sein de l’ABDACOM. Leur objectif était de maintenir la barrière malaisienne face à la menace japonaise.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1942, les Japonais attaquèrent Manado au nord de Célèbes. La ville était alors occupée par les forces hollandaises avec à leur tête le major B.F.A. Schillmöller. Les troupes japonaises étaient dirigées par le vice-amiral Ibô Takahashi. De surcroît, les parachutistes étaient de la 1ere Yokosuka SNLF. Une série de batailles s’en suivirent, jusqu’au 8 mars où se rendirent les forces alliées d’Indonésie. Les Japonais furent alors vu par les locaux comme des libérateurs du joug des Hollandais et de leurs alliés.
Momotarô renverse les Anglais
Cependant la scène de la reddition concerne une autre bataille, celle de Malaya. La péninsule Malaise était sous le feu des combats depuis le 8 décembre 1941. Ces combats prirent fin avec l‘attaque de Malaya ayant eu lieu le 15 février. Elle signa la défaite des Anglais et le début de la domination des Japonais en Asie du sud-est.
Alors, pour marquer les esprits, les Japonais demandèrent à ce que le lieutenant-général Arthur Percival brandisse le drapeau blanc pour se rendre (la scène du drapeau blanc apparaît brièvement dans le film). D’ailleurs, il semblerait que ce soit lui à la table des négociations dans l’anime, avec le maréchal Conway Pullford à sa droite et le général borgne : Douglas MacArthur.
De la propagande aux influences multiculturelles
Afin de faire passer son message de propagande, l’anime reprend un conte très connu au Japon : Momotarô. Momotarô est un enfant né dans une pêche parti combattre les Onis avec ses trois compagnons : un faisan, un chien, un singe. Mais ici, Momotarô n’est pas le centre de l’histoire. Il a le rôle de chef des armées. L’anime s’adressant aux futurs soldats et à leurs familles, ce sont les animaux qui prennent le premier plan. Il ne s’agit pas juste de singes, de faisans et de chiens… Même les amateurs de lapins seront comblés.
Mais ce n’est pas la seule référence à un mythe culte. Momotarô et ses compagnons font partie de la marine. Et qui est l’un des marins américains les plus célèbres dans les années 40 et apparaît dans des films de propagande anti-nazi ? Bluto (Brutus). Il apparaît notamment dans l’épisode anti-japonais « Seein’ Red, White ‘N’ Blue » de Popeye.
De la propagande pour faire rêver
Les influences furent aussi esthétiques. Le film de Disney, Fantasia, fut une source d’inspiration pour la danse des graines de pissenlit dans le vent et la vie quotidienne au village dans la première partie de Momotarô, le Divin Soldat de la Mer. L’animation et les chants des animaux rappellent Snow White. D’ailleurs, suite à l’attaque de Pearl Harbord, Walt Disney a également produit des court-métrages de propagande.
Les films américains n’ont pas été la seule source d’inspiration. Il faut notamment se rappeler qu’à l’époque les animes étaient encore peu nombreux. C’est donc vers l’Allemagne qu’il faut se tourner. En 1926, Lotte Reiniger sort un film d’animation en papier découpé : Les Aventures du Prince Ahmed (Die Abenteuer des Prinzen Achmed). D’une durée de 65 min, il est le plus ancien long-métrage d’animation connu étant parvenu jusqu’à nous. C’est ce film qui a inspiré Mitsuyo SEO pour la scène flashback de l’arrivée des Hollandais à Sulawesi.
Momotarô, le divin soldat de la mer était un film de propagande destiné aussi bien aux enfants qu’aux parents japonais. Son but était en somme de provoquer des vocations de soldat tout en faisant comprendre à la société japonaise tout le bien de s’engager dans l’armée et de soutenir l’effort de guerre.
Finalement, au delà de cette vocation de propagande, ce film est une pierre angulaire pour le monde de l’animation japonaise. Il est celui qui donna envie à Osamu TEZUKA (Astro Boy, Princesse Saphir) de créer ses propres films animés grâce à son lyrisme et son esprit enfantin… et fut aussi une source d’inspiration pour Hayao MIYAZAKI.
Après avoir été diffusé à Japan Expo, Momotaro, le divin soldat de la mer sortira en DVD et Bluray sortiront le 30 août 2017 chez @Anime.
2 réponses
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