[Interview] Chie INUDOH & Hatchepsout : le manga antique de deux Reines d’Égypte !
C’était l’invité japonaise de marque de ce dernier Livre Paris, en mars dernier Porte de Versailles : Chie INUDOH, l’auteure du tout nouveau Reine d’Égypte dont le second tome vient de sortir aux éditions Ki-oon. Accompagnée de sa responsable Natsuyo MORIOKA, la mangaka a réalisé l’habituel marathon de dédicaces sur un stand Ki-oon décoré en son honneur, mais elle était aussi présente pour une conférence publique et quelques interviews.
Accompagné de nos confrères de Manga-Sanctuary (MS), Zoo et des Illuminatis (ILM), nous avons pu échanger avec elle, sa responsable japonaise et Ahmed AGNE, co-fondateur des éditions Ki-oon. Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir cette mangaka encore méconnue en France ainsi que le manga lui-même et sa construction, à travers les rencontres d’INUDOH avec la presse et, en vidéo, avec son public français sur le salon.
Le choix d’Hatchepsout…et celui du divertissement
JDJ : Pour commencer, nous aurions aimé savoir comment vous avez rencontré le personnage de Hatchepsout : cherchiez-vous une femme forte sur laquelle faire une histoire ou, lorsque vous l’avez découverte vous êtes-vous dit qu’elle pourrait faire l’objet d’une histoire intéressante ?
Chie INUDOH : En tant que femme, je m’intéresse aux personnages féminins et, lorsque je faisais des recherches sur les femmes qui ont laissé une trace dans l’Histoire, je suis tombée sur Hatchepsout. De plus, au Japon, elle est souvent désignée comme « la Reine aux attributs masculins », et c’est une définition qui m’a interpellée. (NDLR : une désignation que l’on retrouve d’ailleurs dans le titre japonais de l’oeuvre : Aoi Horus no Hitomi – Dansou no Joou no Monogatari ou L’œil bleu d’Horus – L’histoire de la reine aux attributs masculins).
ILM : Quelles sont les principales libertés que vous avez prises pour écrire cette histoire ?
En fait, il reste beaucoup de zones d’ombres dans l’histoire de Hatchepsout, on ne sait pas tout de sa vie, c’est trop ancien. Au final, il y a environ 20% de réalité historique et 80% de fiction dans Reine d’Égypte. Comme un manga est avant tout une œuvre d’entertainment , j’ai d’abord voulu que ce soit plaisant à lire, plutôt que de coller purement à la réalité.
Zoo : Justement, sur ces 20% historiques, comment s’est fait votre travail de recherche, les sources mythologiques sur l’époque étant maintenant connues ? Comment avez-vous développé cet univers ?
En fait il y a peu d’informations en japonais sur Hatchepsout, j’ai donc dû chercher des informations dans divers livres, pas forcément spécialisés sur elle. J’ai notamment étudié un ouvrage sur les reines du monde, qui mentionne Hatchepsout et qui m’a pas mal servi. J’ai aussi, même si je ne peux pas complètement les lire et les comprendre, consulté plusieurs livres étrangers en français ou en anglais.
MS : Il y a de nombreux points communs avec Aton no Musume, de Machiko Satonaka, et je me demandais si cela faisait partie de vos références pour Reine d’Égypte.
Avec Aton no Musume ? Quels sont ces points commun ?
MS : Il y a le thème de l’Égypte antique bien sûr, même si Aton no Musume traitait de Néfertiti, mais c’est presque la même époque et, graphiquement, il y a également quelques ressemblances…
Effectivement, je connais les œuvres de Machiko SATONAKA. Lorsque je faisais mes recherches sur les mangas qui parlent d’Égypte, j’ai lu Aton no Musume, en numérique car il n’est plus disponible en volume physique. Mais il ne m’a pas vraiment influencé, puisque j’avais déjà décidé faire un manga sur Hachepsout. Cependant, du même auteur, il y a le manga Umi no aurora qui m’a davantage marqué car il parle de Hatchepsout, mais de façon négative : elle est la méchante qui brime l’héroïne. De mon côté j’avais plutôt envie de montrer Hatchepsout sous un jour positif, donc nous avons pris un angle différent.
MS : Traiterez-vous l’ensemble du règne de Hatchepsout ?
Oui, j’aimerais vraiment écrire son histoire jusqu’à sa mort.
La mangaka et la Reine…
JDJ : On ne vous connaît pas, ou peu, en France. Est-ce qu’il y a des traits de votre personnalité qui se retrouvent dans le personnage de Hatchepsout ou dans des personnages secondaires ?
Chie INUDOH : Le point commun est que, lorsque j’étais petite, j’avais une fascination pour les femmes qui savaient se battre et qui étaient fortes, même si on me disait que ce n’était pas ainsi que les filles devaient se comporter. Je pense que cet aspect est un de mes points communs avec Hatchepsout.
JDJ : Dans le premier tome, avec la jeunesse de Hatchepsout, on peut donc vous retrouver enfant ?
Chie INUDOH : Un tout petit peu ? (Rires)
Ahmed AGNE : Elle n’a pas frappé son frère avec des épées en bois par exemple… (Rires)
MS : Quels mangas lisiez-vous, plus jeune, et quels auteurs vous ont influencée ?
Chie INUDOH : Quand j’étais petite, je lisais beaucoup de manga shôjo dans le magazine Nakayoshi (mensuel des éditions Kodansha qui existe depuis 1955, NDLR). J’aimais particulièrement Sailor Moon et Magic Knight Rayearth, des séries avec des femmes fortes et qui se battent. Ensuite, en primaire et au collège, je me suis mis à lire des mangas shônen et seinen ce qui m’a donné une vision un peu plus large de l’industrie du manga.
En ce qui concerne mes influences, j’ai été particulièrement marquée par CLAMP, ainsi que par Kenshin le vagabond et par les œuvres de Yasuhiro NIGHTOW… Plus récemment, j’ai aussi été touchée par des auteurs du magazine Harta, comme Kaoru MORI ou Mitsuhisa KUJI.
JDJ : Reine d’Égypte est votre troisième manga. Les deux précédents traitaient déjà de femmes de caractère qui sont plutôt modernes… Ici, c’est différent parce qu’on se situe dans l’Antiquité. Qu’avez-vous voulu transmettre au travers de ce personnage de Hatchepsout, par rapport aux précédents ?
Hatchepsout est une reine dont le nom a été effacé à certaines périodes, il y a pas mal de bruits qui courent sur elle comme sur sa relation avec Senmout… Elle renvoie aussi bien une image positive que négative, c’est ce qui la rend très humaine au final, elle a les mêmes faiblesses que n’importe qui et c’est donc un thème qui peut parler à toutes sortes de lecteurs. C’est très universel et ça rend l’identification assez facile.
En ce qui concerne le message que j’ai voulu faire passer : pour moi c’est une personne normale qui s’est battue pour détruire des murs et les obstacles qui se dressaient devant elle. Ce que je veux, c’est donner du courage aux lecteurs, pour montrer que même si on est quelqu’un de normal on peut faire de grandes choses ! (Rires)
JDJ : Pensez-vous que les femmes sont assez nombreuses dans le divertissement ? Il y a actuellement une mode qui fait que l’on fait des reboots de films en remplaçant les personnages principaux masculins par des personnages féminins, comme pour Ghostbusters… Pensez-vous qu’il en manque, ou y a-t-il une bonne partie du chemin de fait ?
Chie INUDOH : Le fait même qu’on trouve que leur nombre augmente montre bien à quel point il y en avait peu au départ… J’aimerais qu’on arrive à une situation où plus personne ne se pose la question.
MS : Justement, que répondriez-vous à ceux qui vous reprocheraient que le message dans Reine d’Égypte est un peu trop visible et manque de subtilité ? On voit vraiment que vous voulez parler d’une femme forte.
Chie INUDOH : Il y a plusieurs messages à l’intérieur de mon œuvre, mais c’est vrai que ce n’est pas possible de tout concentrer en une seule fois. Je voulais donc d’abord mettre en avant un point facile à appréhender en premier, cet aspect « femme forte », et distiller ensuite d’autres messages au fur et à mesure. Je pense que les lecteurs, au fil de leur lecture, découvriront qu’il y a autre chose, d’autres messages dans Reine d’Égypte.
Egypte, Japon et France
ILM : Comment s’est passée la rencontre avec les éditions Ki-oon ? Qu’est-ce qui vous a poussée à être publiée en France ?
Ahmed AGNE : Avant d’apprendre le japonais et de devenir éditeur de mangas, j’étais un passionné d’Histoire. Jusqu’en terminale, je voulais d’ailleurs faire des études d’Histoire et devenir archéologue, parce que j’étais fasciné particulièrement par l’Égypte ancienne. Il y a très peu de titres sur l’Égypte ancienne qui existent en manga, donc quand celui-ci a été annoncé chez Enterbrain, qui plus est dans un magazine que j’affectionne beaucoup puisqu’on fait aussi Bride stories et qu’on va sortir d’autres titres qui en proviennent en fin d’année, je me suis dit que c’était le destin : elle était pour moi cette série, ça ne pouvait pas être pour quelqu’un d’autre ! (Rires)
MS : Quelle a été votre réaction, en apprenant que le manga serait publié en France ?
Chie INUDOH : J’étais bien sûr très heureuse, mais également inquiète de l’accueil que les Français réserveraient à mon manga, d’autant plus que je sais que l’Égypte ancienne a une place importante en France, et j’avais vraiment envie que les gens voient ce manga comme une œuvre de divertissement, dont ils apprécieraient la lecture.
Zoo : Justement, Reine d’Égypte est la première série publiée dans la collection Kizuna de Ki-oon. Cependant il me semble qu’elle est, au Japon, prépubliée dans un magazine josei. À quel public s’adresse ce manga ?
Chie INUDOH : Harta est en fait considéré comme un magazine seinen, qui cible à des lecteurs entre vingt et trente ans, plutôt des hommes. En revanche il est vrai que beaucoup des auteurs qui y sont publiés sont souvent des femmes, ce qui donne peut-être cette impression d’être un magazine avec une touche féminine.
En ce qui concerne le lectorat que je vise… en fait, idéalement, je voulais créer une série que j’aurais aimée étant enfant. Ce qui fait que, quand on m’a dit qu’elle ferait partie de la collection Kizuna de Ki-oon, j’étais contente : cela correspondait exactement à l’objectif que je m’étais fixé, même si le titre est prépublié dans un magazine seinen, donc pour un lectorat adulte.
ILM : Quelles différences avez-vous perçues entre le lectorat japonais et le lectorat français, que vous avez découvert ces jours-ci lors des séances de dédicaces ?
Chie INUDOH : Au Japon, la culture manga et l’anime est très forte, les deux sont très présents dans la vie quotidienne. Les lecteurs sont donc très exigeants et critiques, cela se voit notamment lors des séances de dédicaces, où ils sont assez sévères. Alors que, pour les séances de dédicaces en France, j’ai trouvé les gens très accueillants et curieux : ils posent de nombreuses questions, là où au Japon les lecteurs ont plutôt tendance à donner leur avis et à montrer à quel point ils s’y connaissent sur le sujet.
JDJ : L’Égypte, et surtout la mythologie égyptienne, est très appréciée en France… Des romanciers français y ont d’ailleurs consacré tous leurs romans. Mais, comme ça a été précisé, il n’y a pas beaucoup de mangas dessus… Quelle aura y a la mythologie égyptienne au Japon ?
Chie INUDOH : C’est vrai que, lorsque j’ai proposé ce projet, il n’y avait pas spécialement de vague d’égyptomania au Japon. Au contraire, ce n’était pas un thème vendeur et nous n’avions pas dans l’idée que le manga serait un succès ou que cette thématique nous aiderait particulièrement. Par contre, il y a de nombreuses œuvres comme Bride stories ou Vinland saga qui traitent de l’histoire de différentes cultures, une lignée dans laquelle je me place, et les lecteurs japonais ne se préoccupent pas forcément de quelle culture on parle, mais plutôt de l’histoire elle-même.
Néanmoins, à l’heure actuelle, il y a un petit regain d’intérêt pour l’Égypte, mais plutôt à travers les jeux vidéo et les dieux égyptiens en tant que personnages, utilisés pour du character design dans ce domaine.
JDJ, se tournant vers l’éditrice japonaise madame MORIOKA : Quand INUDOH-sensei est venue vous présenter ce projet, comment avez-vous réagi ? Étiez-vous enthousiaste, inquiète ?
Natsuyo MORIOKA : Comme elle arrivait à sa troisième œuvre, elle avait déjà fait ses preuves, et j’avais envie qu’elle passe à un autre niveau, qu’elle se lance un vrai défi. Je lui ai donc demandé spécifiquement de faire une œuvre à plus grande échelle.
Quand elle m’a proposé cette idée sur Hatchepsout, j’ai vérifié plusieurs points avant de lui donner mon avis : d’abord, est-ce que le personnage était suffisamment intéressant et pouvait charmer les lecteurs. Second point : est-ce que cette histoire lui permettait de mettre en avant ses techniques de dessin très détaillé. Troisième point, le plus important de mon point de vue, elle voulait parler de Hatchepsout comme d’une personne normale qui accomplit de grandes choses, ce qui est un moyen aussi bien pour le lecteur que pour elle de s’y identifier et de s’intéresser à l’histoire.
Comme tout me semblait bon, je lui ai donné mon feu vert, mais c’est vrai qu’on ne s’attendait pas à un tel succès. Par contre, même si je ne pensais pas à un succès commercial, je me disais que c’était une œuvre qui lui ressemblais.
Zoo : Comme l’a dit votre responsable éditoriale, Reine d’Égypte est votre première « œuvre ambitieuse »… Vous savez probablement déjà comment elle va se terminer, avec la mort de Hatchepsout. Savez-vous combien de temps ça devrait durer et combien il y aura de volumes ?
Chie INUDOH : Pour l’instant, je pense que ça fera cinq ou six volumes. Je suis actuellement en train de dessiner sur le début du quatrième volume, et je suis juste un peu après la moitié de l’histoire.
Zoo : Pensez-vous déjà au prochain titre sur lequel vous allez travailler et sa thématique ?
Chie INUDOH : Pour l’instant, je suis tellement à fond dans Reine d’Égypte que, même si j’ai parfois de vagues idées de ce que j’aimerais bien dessiner un jour, je n’ai pas du tout le temps et la possibilité d’y réfléchir vraiment ! (Rires)
Merci beaucoup !
Chie INUDOH : la conférence à Livre Paris
Pour clore de belle manière sa venue au Salon Livre Paris, Chie INUDOH a réalisé une conférence publique où elle parle de Reine d’Égypte, de son parcours mais aussi des ses goûts, que ce soit en matière de série TV ou de bons petits plats ! Nos confrères de Manga.TV étaient sur place pour filmer l’entrevue, là voici :
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Retrouvez toutes les informations sur Reine d’Égypte sur le site des éditions Ki-oon ou faites vous un avis sur la série via les premières pages du tome 1, ici. Vous pouvez également suivre Chie INUDOH via son blog ou jeter un œil au stand Ki-oon de Livre Paris dédié à Reine d’Égypte dans notre album photo consacré à l’édition 2017 du salon.
Enfin ne ratez pas notre interview de Natsuyo MORIOKA, éditrice de la mangaka mais aussi co-fondatrice du magazine Harta qui revient avec nous, INUDOH-sensei et Ahmed AGNE sur la création de ce magazine de prépublication, sur le recrutement de nouveaux talents et la création de mangas marquants !
Propos recueillis par Tori pour Manga-Sanctuary, Rama Sankare pour les Illuminatis, Thomas Hajdukowicz pour le magazine Zoo et Paul Ozouf pour Journal du Japon.
Merci à Chie INUDOH pour son temps et sa bonne humeur ainsi qu’à ses éditeurs japonais et français. Merci également à nos interprètes du jour, Mai Ono et Kim Bedenne et à Victoire de Montalivet pour la mise en place de cette interview.
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[…] Un lien pour en savoir plus sur La reine d’Egypte : https://www.journaldujapon.com/2017/06/14/interview-chie-inudoh-hatchepsout-legypte-antique-a-son-ma… […]
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