[Interview] De A Silent Voice à To Your Eternity : OIMA, une singulière mangaka
À l’occasion de la sortie du second tome de To Your Eternity chez Pika éditions, le 14 juin 2017, Journal du Japon a eu le plaisir et le privilège de pouvoir interviewer une jeune mangaka qui a déjà marqué les esprits : Yoshitoki OIMA, que vous êtes très nombreux à connaître depuis son premier succès, A Silent Voice.
Avec une sensibilité unique, un trait original et des récits personnels et riches, elle revient avec ce nouveau titre qui aborde son thème favori : la fantasy. Immortalité, humanité et nature, rapport à l’autre et solitude, le premier tome de To Your Eternity a déjà capté l’attention de beaucoup de lecteurs – dont la nôtre ! – et nous avions donc de nombreux sujets à aborder avec l’auteure, sur la construction de ces récits, de ces personnages mais aussi, évidemment, sur elle-même.
Ne tardons plus donc, et découvrez cette interview passionnante !
De 3×3 Eyes à To Your Eternity, un début de carrière réfléchi…
Journal du Japon : Bonjour OIMA-sensei, et un grand merci pour votre temps.
Commençons par parler un peu de vous avant de nous pencher sur To Your Eternity… En lisant une interview de vous je vois que le premier manga que vous avez acheté pour vous même c’est 3×3 Eyes, un manga que la première génération de lecteur manga français a lu avec beaucoup d’intérêt dans les années 90 – 2000. Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce récit ?
Yoshitoki OIMA : J’ai un peu honte de l’avouer, mais comme j’ai lu ce manga la première fois lorsque j’étais enfant, j’avoue que j’ai été plus séduite par les dessins que par le scénario. Le personnage de Yakumo qui, mis à part son immortalité, est une personne ordinaire qui peut maîtriser des démons afin d’abattre ses ennemis, était très classe.
Petit à petit vous avez commencé à lire et même à dessiner des mangas mais j’ai cru comprendre que ce rêve de devenir mangaka a mis du temps à éclore, qu’il vous a fallu un certain temps pour en parler à votre entourage. Pourquoi donc et, le jour où vous l’avez fait, comment cela s’est-il passé ?
Comme je dessinais tout le temps lorsque j’étais enfant, il est vrai que mes camarades me demandaient souvent si je voulais devenir mangaka. Je n’ai donc pas eu à “annoncer mon rêve” à mon entourage, qui était déjà au courant. Mais lorsque j’ai décidé de partir à Tôkyô dans ce but, mon père y était opposé. Je me souviens que mes amis m’avaient quant à eux naturellement soutenue.
Ensuite tout semble aller assez vite car vous n’avez que 18 ans quand vous gagnez le prix du nouvel auteur au Shonen Magazine Manga Award avec le pilote de A Silent Voice, qui ne deviendra une série que quelques années plus tard. Ce qui est amusant, c’est que dans le dossier de presse des éditions Pika, vous expliquez que vous avez toujours voulu parler de fantasy. Pourquoi avoir fait votre premier pilote puis votre premier manga avec A Silent Voice, beaucoup plus ancré dans le réel au final ?
C’était une question de priorité. J’ai voulu dessiner A Silent Voice tant que j’étais jeune et que j’étais encore proche de mes souvenirs d’enfance, de mon sens des valeurs à l’époque. À l’inverse, comme je voulais dessiner To Your Eternity après être devenue un peu plus adulte et avoir connaissance de plus de choses, j’ai fait en sorte de dessiner ces deux titres dans cet ordre-là.
Avant d’en arriver à To Your Eternity et donc à la fantasy, qu’est-ce que vous retenez de votre premier succès sur A Silent Voice ? Qu’est-ce que vous avez appris sur vous-même ou sur votre travail de mangaka ?
Comme A Silent Voice est un titre particulier, je ne sais pas encore quelle leçon commune avec To Your Eternity je peux en tirer. Je pense plutôt que mon expérience de raisonnement par la logique acquise lorsque je travaillais sur mon titre précédent, Mardock Scramble, m’est utile pour ma série actuelle. Je dessine en m’efforçant de donner à chaque action un sens profond et avec la sensation que, plus son sens est riche, mieux c’est.
Venons-en maintenant à To Your Eternity… À la lecture des premiers chapitres puis du premier tome on découvre un scénario riche et inattendu : c’est assez épatant de vous voir vous balader avec autant d’aisance dans de la fantasy après A Silent Voice. Est-ce que la transition a été facile ?
To Your Eternity est une histoire qui prend pour base une réalité transformée en fantasy. Par exemple, j’ai eu l’idée du titre (littéralement “À toi, l’immortel”) en pensant à ma grand-mère souffrant de maladie. Pour A Silent Voice, j’ai dessiné un monde réaliste de lycéens basé sur une réalité. C’est pourquoi ce sont deux titres aux genres différents, mais le procédé de création de leurs scénarios est assez semblable. J’ai simplement réalisé en travaillant sur To Your Eternity que A Silent Voice était plus simple à dessiner parce qu’il n’y avait pas besoin de faire de travail de recherches en parallèle : la fantasy, c’est créer quelque chose à partir de rien, et ce n’est pas chose facile.
To Your Eternity : l’immortel et la mangaka
Il semble que vous aviez l’histoire de To Your Eternity en tête depuis longtemps, non ? Comment est-elle née ?
Comme j’avais lu 3×3 eyes, j’avais le thème de l’immortalité en tête depuis l’école primaire. À cette époque, je pensais à Imm comme à un personnage féminin. Le prénom “Imm” a été choisi parmi une liste par Takasu, un(e) ami(e) de lycée, et j’ai défini le thème de la série après avoir fini A Silent Voice. Si l’histoire se poursuit, les personnages que j’ai créés à l’école primaire et au lycée pourraient apparaître.
Cette histoire débute sur Terre, dans un région enneigée, où se mêlent pas mal de mythes et de croyances… Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la mise en place de cet univers et sur vos inspirations ou recherches qui ont permis de le mettre en place ?
Le concept du personnage principal étant “un garçon qui ne connaît rien”, c’est en accord avec cela que cet univers est né. Je voulais que le lecteur se retrouve, comme Imm, dans cette situation où il ne sait rien. C’est pour cette raison que je n’ai fait apparaître aucun personnage en dehors du héros. Pour renforcer cette impression d’inconnu, j’ai décidé de dessiner un univers blanc, c’est ainsi que j’ai obtenu un paysage enneigé.
Comme les personnages vivants dans cette région enneigée ne font pas partie d’une population indigène, il ne fallait pas que je les dessine comme, par exemple, des esquimaux. J’ai regardé beaucoup de documentaires pour pouvoir apprendre comment donner l’impression que le garçon évolue dans un monde de “survie”, avec des ressources et des compétences limitées. J’ai dû beaucoup réfléchir à savoir ce qu’il lui était possible de créer de lui-même ou non.
Ensuite il y a le personnage principal, cette entité qui débute son histoire en étant une étrange sphère puis qui va petit à petit évoluer par l’observation et par mimétisme. On a l’impression qu’à travers lui vous cherchez à redéfinir un peu ce qu’est l’être humain, c’était le but ?
J’ai dessiné cette “sphère” en imaginant tout ce qu’il était possible pour elle de faire avec ses capacités, mais je n’ai pas créé cette histoire en réfléchissant à ce que cela signifie d’être moi-même humaine. Plutôt que de dire que j’ai voulu “transmettre” ce dont je me suis inspirée, à savoir la question de qui je suis réellement actuellement, les choses qui m’ont poussée à changer et qui m’ont stimulée, je dirais plutôt que j’ai voulu dessiner ce que “moi-même je cherche à savoir”.
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Dans le premier tome, une place importante est laissée aux notions de mort et de vie, quel rôle voulez-vous leur donner dans votre récit ?
J’aimerais répondre à cela une fois ma série achevée. La seule chose que je peux dire, c’est que mon histoire contient des questionnements sur ma propre mort.
L’immortalité : est-ce quelque chose que vous fait rêver ou pas du tout (et pourquoi) ?
Oui, c’est quelque chose qui me donne envie. Parce que j’aurais l’impression d’être devenue quelqu’un de spécial (rires). Je pense cependant que je n’aurais pas envie de le devenir si tout le monde était immortel. Je pense que je vais expérimenter la peine “immortelle” de Imm tout en continuant de dessiner son histoire.
À côté de ce sujet un peu grave et de ce héros mystérieux on croise la petite March, pleine d’énergie et d’innocence, qui apporte énormément d’humour et de légèreté au récit : est-ce son rôle ? Comment-est-elle née ?
Oui, exactement. J’ai créé March par nécessité de donner à Imm un interlocuteur avec qui discuter, et pour faciliter cela, j’en ai fait un personnage bavard.
Enfin, dans Your Eternity, on ne peut pas ne pas parler de ce rapport assez fort avec la nature. La faune et la flore s’avèrent assez impitoyables : le grand froid, puis le grand ours sont d’une puissance incroyable mais ils sont surtout sans pitié, ils ressemblent presque à des divinités. Pourquoi leur avoir donné ce rôle ?
Le climat, la maladie et l’ours représentent les obstacles de la volonté humaine. Il faut cohabiter avec ces obstacles, et c’est pour apprendre à savoir comment les vaincre que je les mets en scène.
Ma dernière question sera sur la perception de votre œuvre. Pour A Silent Voice, lorsque l’on vous a demandé a qui aimeriez-vous adresser ce manga vous avez dit que vous espériez que quelqu’un comme Shoko, qui se sent seule, puisse lire votre manga. Qui avez-vous envie de toucher avec To Your Eternity et qu’est-ce que vous avez envie de partager avec ce public ?
Je dessine d’abord tout simplement pour les personnes souhaitant lire de la fantasy, et il est également fort probable que je dessine aussi à mon intention. Je dessine pour m’aider moi-même, pour faire face aux questions auxquelles je n’arrive pas à répondre.
Un grand merci pour votre temps et bon courage pour votre nouveau manga !
Pour en savoir plus sur la série To Your Eternity, vous pouvez faire un tour sur le site de Pika éditions . Pour en savoir plus sur la mangaka et son époque A Silent Voice, nous vous recommandons l’interview qu’elle a donné à son éditeur, Kodansha, sur ce site web (en anglais). N’oubliez pas, enfin, de suivre le compte Twitter de Yoshitoki OIMA.
Rendez-vous également dimanche soir dans les colonnes de JDJ, pour une petite surprise !
Remerciement à Yoshitoki OIMA pour son temps ainsi qu’aux éditions Pika pour la mise en place de cette interview.
5 réponses
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