L’inquiétant phénomène Netto uyoku – l’extrême droite japonaise sur internet
Il existe au Japon une frange des internautes qui est connue sous le nom de Netto uyoku, littéralement la droite d’internet. Sous cette dénomination se cachent des activistes d’extrême droite qui, depuis leurs claviers, diffusent leurs revendications nationalistes et leurs critiques acerbes sur le Japon actuel.
D’où vient ce mouvement d’extrême droite et quelle est la place de leurs idées dans le pays ? Journal du Japon vous en dit plus…
Qui sont ces Neto-uyo ?
Selon une étude menée par Furuya TSUNEHIRA, un auteur spécialisé dans l’analyse d’internet et des mass-médias au Japon, les Neto-uyo, l’abréviation de Netto uyoku, sont majoritairement des hommes (75%), quadragénaires, qui vivent principalement dans les préfectures de Tokyo et de Kanagawa.
Alors que l’on pourrait penser que la plupart de ces personnes seraient issus de la classe la plus populaire de la société, comme le veut un raccourci facile liant pauvreté et idées radicales, les Neto-uyo sont en réalité des diplômés de l’université qui gagnent correctement leur vie.
Ces cybernationalistes diffusent depuis leur écran d’ordinateur leurs idées en animant des forums sur certains réseaux sociaux (comme Mixi), en commentant en masse des vidéos allant à l’encontre de leurs idées, jusqu’à en rendre le message initial illisible, et en partageant du contenu supportant leurs théories.
En somme, les libertés d’Internet offrent un porte-voix à cette minorité et lui permettent de diffuser ses revendications et ses désaccords concernant la société japonaise.
Des théories révisionnistes et complotistes sur fond de xénophobie
La Netto-uyoku lutte contre une image du Japon qu’elle juge trop faible et contre la complaisance envers les minorités Coréennes et Chinoises. Tout comme celui l’extrême droite européenne, c’est un discours identitaire et nationaliste, qui tire sa source de divers faits historiques, qui viennent alimenter les débats.
Les membres de cette droite d’internet estiment que le Japon doit retrouver la grandeur qui fut la sienne dans le passé, et qui est bafouée depuis le Procès de Tokyo (1946-1948) qui a vu le pays être interdit d’armée et l’Empereur renoncer à son caractère divin. L’occupation américaine qui suivi, pourtant capitale dans les succès économiques que connaîtra le pays par la suite, est également vécue comme une trahison. Beaucoup de Japonais se considèrent comme victimes de la Seconde Guerre Mondiale plutôt que comme des coupables, et c’est un détail sur lequel surfe la droite nationaliste pour appuyer ses idées.
De plus, les idées anti-chinoises et anti-coréennes sont légions puisque ces populations constituent, pour la Netto-uyoku , l’immigration qui vient voler les emplois et s’implanter dans un pays dans lequel elles ne sont pas les bienvenues. Rappelons que le Japon a entretenu des rapports houleux et belliqueux avec la Chine et la Corée pendant de nombreuses décennies, et que ces antécédents historiques entraînent encore des tensions.
C’est d’ailleurs une des causes de l’apparition du phénomène Netto-uyoku.
L’éclosion de la génération Netto uyoku
En partant du fait que les membres de cette extrême droite qui agit sur le net sont des quadragénaires, et qu’ils sont donc nés dans les années 75 -80, on peut trouver deux causes principales à l’éclosion de ce phénomène.
La première est un manga. En 1995, le mangaka Yoshinori KOBAYASHI, un membre de l’extrême droite prônant des théories révisionnistes, commence à écrire le manga Shin Gomanism Sengen Special – Sensouron (On War). Dans cette série de 3 volumes, l’auteur revisite l’Histoire et présente l’expansionnisme japonais comme une guerre pour la libération des peuples asiatiques. De la même façon, il réfute la question des femmes de conforts (des femmes coréennes enlevées par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale, pour assouvir les désirs des soldats japonais) et critique l’individualisme qui se développe au Japon et qui mène au désastre.
Pour des lecteurs de 15 à 20 ans à cette époque, une telle œuvre peut avoir une influence forte sur la façon de voir les choses, ou du moins offrir un contrepoint à ce qui leur est enseigné à l’école.
7 ans plus tard, le Japon et la Corée du Sud organisent conjointement la Coupe du Monde de Football 2002. Entre temps, l’usage d’internet s’est grandement démocratisé et cet événement sera le déclencheur du phénomène Netto uyoku.
Durant la compétition, le parcours de la Corée du Sud est clairement entaché d’irrégularités (qui font les gros titres des journaux sportifs du monde entier), mais au Japon, ces tricheries sont passées sous silence. Pour les nationalistes, c’est un aveu de soumission et de faiblesse du pays qui préfère fermer les yeux plutôt que d’entrer en conflit ouvert avec son voisin. Ainsi, sur Internet, la parole se libère et les complotistes en tous genres et les nationalistes trouvent l’occasion rêvée d’exposer leurs idées racistes, xénophobes, ainsi que leur souhait de voir la Nipponité, concept de fierté national du Japon féodal, refaire surface.
C’est donc une génération qui a grandi avec le sentiment que son pays ment sur son histoire, qui baisse la tête devant ses responsabilités et qui leur paraît faible, qui vient créer ce mouvement de Netto-Uyoku.
Un flot de haine ciblé
Les coups des Netto Uyoku partent en direction de cibles bien établies, que les membres du mouvement désignent comme les principaux responsables de tous les maux du pays.
On peut isoler 4 cibles majeures :
- L’éducation nationale et donc les enseignants, accusés de transmettre aux élèves une éducation masochiste (jigyaku kyōiku) qui apprend aux étudiants à haïr le Japon et son histoire.
Les médias dans leur ensemble, à l’exception de 2 revues d’extrême droite qui recueillent la faveur des Neto-uyo : le quotidien Sankei Shimbun et le mensuel Seiron. Pour les autres médias, ils sont accusés de diffuser de fausses informations et d’être en quelques sortes des collaborateurs du mensonge. Le terme masukomi (qui est l’abréviation de Mass Communication) est d’ailleurs transformé en masugomi (ordures en masse) lorsqu’il s’agit de désigner les médias.
- Les Chinois et les Coréens. Une certaine aile de l’extrême droite est d’ailleurs plus tolérante avec les coréens, ce que dénoncent les Neto-uyo en les surnommant droite Kimchi (le kimchi étant l’élément de base de l’alimentation coréenne)
- Le procès de Tokyo et ses conséquences, notamment l’instauration d’un nouvel ordre mondial dans lequel le Japon jouait le rôle d’une nation vaincue et coupable.
Ignorance et manipulations ?
On peut se demander quels sont les leviers utilisés pour convaincre les gens du bien-fondé de ces idées…
Bien souvent, ceux qui diffusent ces idées utilisent l’ignorance (globale, mais surtout en matière d’Histoire) de leur auditoire, pour proposer une vision simplifiée de l’histoire japonaise qui permet de la manipuler à leur gré. En prenant par exemple le bombardement atomique sur le Japon comme vecteur de haine, tout en omettant les exactions japonaises commises à la même période.
De la même façon, Internet est utilisé pour propager des informations inexactes voire totalement fausses (ce qu’on appelle désormais les Fake news), qui sont pourtant relayées en masse par des lecteurs qui ne poussent pas la réflexion assez loin.
AuJjapon, l’isolement des certaines personnes qui trouvent refuge sur des forums internet facilite la diffusion massive de certaines idéologies. Même si le registre est totalement différent, on retrouve dans le Drama Japonais Densha Otoko une belle illustration de la force de l’aspect communautaire des forums au Japon.
C’est donc à la fois un manque de culture, allié au sentiment de faire partie d’un groupe et à la sensation que le pays ment à ses citoyens qui donnent sa force à ce mouvement Netto-Uyoku.
L’influence de ces discours extrêmes
Si on estime à un peu plus de 2 millions de membres cette extrême droite du net, il est difficile de se faire une idée très précise du fait du manque de représentation politique de ceux-ci. Officiellement, leur soutien irait au Parti pour les générations futures.
En termes d’impact, si les Neto-uyo ont été extrêmement actifs jusqu’en 2016, où une loi promulguée le 24 mai 2016 punit les propos haineux. Si cette loi, tardive, a certainement un effet bénéfique qui permet de contrer et d’interdire certains rassemblements ou certaines manifestations, elle n’endigue en rien problème des discours haineux que l’on trouve sur Internet.
Le Japon, souvent accusé d’être un pays fermé en matière d’immigration et d’acceptation des autres cultures, doit faire face ici à un problème difficile à résoudre. Un problème que ne touche pas seulement ce pays, mais bel et bien la plupart des pays qui voient les discours identitaires et xénophobes fleurir sur Internet. Il reste donc beaucoup à faire pour stopper ce phénomène, et le Japon, qui attire de plus en plus de visiteurs étrangers, a donc un chantier de plus sur lequel travailler dans les prochaines années.
A lire : La contre-offensive de l’extrême droite sur Internet (Sôwasha, 2013) de Furuya TSUNEHIRA
« Un problème que ne touche pas seulement ce pays, mais bel et bien la plupart des pays qui voient les discours identitaires et xénophobes fleurir sur Internet »
Étonnement les groupuscules d’Extrême Gauche (anarchistes, antifascistes, anticapitalistes, communistes) qui vomissent leur haine des nations, des peuples, des cultures, des traditions, qui sont parmi les courants politiques les plus violents, les plus radicaux, et les plus perturbateurs, ne reçoivent pas la même attention de la part des médias et autres plateformes informatives tel que ce site. On préfère taper sur les nationalistes qui n’ont qu’à coeur de préserver leur identité et leur mode de vie sans faire chier personne, plutôt que sur les gauchistes radicaux dont le souhait le plus cher, est tout de même la chute de nos civilisations, et la déconstruction de nos sociétés.
C’est en stigmatisant les uns tout en omettant les autres qu’on radicalise les gens, et qu’on les confortes encore plus dans leurs positions. Continuez à frustrer les gens, faudra pas s’étonner si ça finit par péter un jour.
Bonjour Kader,
Paul OZOUF, rédacteur en chef de Journal du Japon. Merci de nous avoir lu tout d’abord !
Alors sans rentrer dans votre débat d’un extrême contre un autre je corrige juste l’erreur nous concernant et surtout un oubli de contexte dans votre commentaire :
1. Contrairement à la France l’extrême gauche japonaise est ultra-minoritaire, ne serait-ce que politiquement, et donc de facto rien à voir avec l’équilibre français entre ces deux extrêmes. Nous l’expliquions d’ailleurs il y a moins d’un mois en détaillant l’appareil politique japonais et le paysage politique de ce pays. C’est d’ailleurs le même rédacteur que celui que vous venez de lire : https://www.journaldujapon.com/2017/05/07/societe-a-la-decouverte-du-systeme-politique-japonais/
2. La droite japonaise dans son ensemble et évidemment l’extrême droite portent de lourdes responsabilités dans la Seconde Guerre Mondiale et dans les exactions qui y ont été commises, et tout mouvement qui cherche à nier ces faits majeurs attire forcément l’attention et cela pose des questions sur la capacité d’un pays et de son peuple à regarder en arrière. Tout celà est à séparer du patriotisme ou de l’amour de sa nation, qui se base lui sur la capacité de regarder son pays et son histoire droit dans les yeux, et non pas de s’aveugler d’un fanatisme dangereux, qui conduit bien trop souvent aux conflits armés cités plus haut. De la même façon que si nous nous appelions Journal de la Chine les horreurs du communisme aurait fait couler de l’encre dans nos colonnes. Mais voilà, chaque chose à sa place et dans un contexte.
3. Je vous rejoins sur un point néanmoins, l’extrême gauche japonaise a elle aussi eu ses années sombres, comme les événements des années 60 et 70 et le terrorisme qui en a découlé. Et vous savez quoi, nous sommes, nous et d’autres médias, quelques uns à en avoir parlé, à l’occasion de la sortie en 2016 de Unlucky Young Men, à travers une interview de l’auteur (https://www.journaldujapon.com/2016/05/02/eiji-otsuka-epoque-de-remise-en-cause-ou-remise-en-cause-dune-epoque/) et un papier sur l’ouvrage qui revient sur cette période trouble chez notre partenaire Paoru.fr.
4. Et j’en finis avec un dernier point : la mise en avant des netto est surtout faite pour dénoncer leur volonté de réécrire l’histoire, ses tendances homophobes et xénophobes, beaucoup plus que de quel côté politique cette faction penche. Tout lecteur une fois avisé pourra ensuite faire son choix en son âme et conscience, nous sommes dans un pays libre et c’est aussi le cas au Japon, mais l’information – autre que celle de la propagande, des fake news ou du simple troll – est pour nous une nécessité.
Nous vous invitons à lire tous les articles cités pour une vision plus pertinente de notre site. Et vive le Japon, bien entendu ! 🙂
Merci pour ces articles qui nous montrent le Japon autrement.li est intéressant de voir que là aussi les problèmes existent.