[Société] À la découverte du système politique japonais
Alors que les électeurs français sont en passe de désigner leur dirigeant pour les 5 prochaines années, il nous a semblé intéressant de comprendre comment fonctionnait le système politique nippon.
Bien souvent présenté comme complexe et difficilement pénétrable par la vision occidentale, l’organisation de la vie politique au Japon et les événements qui l’animent ne semblent au final pas si éloignés de ce que nous connaissons. Nous vous proposons ici de découvrir le fonctionnement de la politique japonaise et les grandes directions qu’elle suit.
L’organisation du système politique japonais
Officiellement, le Japon est une monarchie constitutionnelle avec un parlement composé de deux chambres. L’Empereur étant toutefois exclu des décisions gouvernementales, il est plus juste de définir le système politique japonais comme une démocratie parlementaire avec un système bicaméral (si vous souhaitez approfondir, voici la définition wikipédia).
Depuis 1946 et son renoncement au pouvoir divin, l’Empereur nippon garde son titre symbolique mais reste tout de même celui qui nomme le Premier Ministre. Il est toujours hautement respecté par les habitants et 8 articles du premier chapitre de la Constitution japonaise sont dédiés à son rôle de symbole et de garant de l’intégrité du pays. Pour en savoir plus sur la famille impériale on vous invite à lire notre papier de début d’année sur les vœux de l’Empereur Akihito.
Le pouvoir législatif est représenté par la Diète (kokkai), qui est l’équivalent de notre Parlement. Elle se divise en deux chambres :
- La chambre des représentants (sangi-in), appelée chambre basse. Elle est composée de 480 membres élus au suffrage universel. Malgré ce que pourrait laisser penser son nom, c’est bien la partie la plus importante de la Diète.
- La chambre des conseillers (shūgi-in), appelée chambre haute. Elle est composée de 242 membres élus au suffrage universel.
Les projets ne sont présentés à la Diète que lorsque que la majorité du parti ou de l’alliance dont émane celui-ci le soutien. Le consensus est primordial et ce système empêche les partis minoritaires de contrecarrer un projet ou d’en proposer un.
Ensuite, il y a le Premier Ministre (Naikaku sōri daijin) qui est choisi par la Diète et confirmé par l’Empereur. À la manière de ce qui se fait au Royaume Uni ou en Italie, c’est le représentant officiel du pays à l’international ainsi que le chef du gouvernement. En général, le premier ministre japonais est toujours issu du parti qui a la majorité à la chambre basse.
Les forces en présence
Parmi les nombreux partis présents sur la scène politique japonaise, deux dominent les débats : Le PLD (Parti Libéral Démocrate) et le PDJ (Parti Démocrate du Japon).
- Le PLD est un parti de centre droit, conservateur et libéral. Depuis 1955, c’est le premier parti du pays et celui qui a façonné le Japon tel que nous le voyons aujourd’hui. SHINZO ABE, l’actuel Premier Ministre est issu de cette formation politique.
- Le PDJ est un parti de centre gauche, libéral mais moins conservateur que le PLD. C’est aujourd’hui le principal parti d’opposition.
En plus de ces deux forces politiques majeures, on trouve divers autres partis qui sont représentés au Parlement :
- Le PSDJ (Parti Social Démocrate Japonais) est l’équivalent du Parti Socialiste Français. Il a connu une désertion de ses membres qui se sont orientés vers le PDJ dès la fin des années 90.
- Le Parti Communiste Japonais. Il reste l’un des partis communistes les plus puissants du monde, avec près de 400 000 membres. Etant l’un des seuls partis à prôner la fin du nucléaire civil au Japon, il a gagné de nombreuses voix après le drame de Fukushima en 2011.
- Le Parti de Justice et d’Intégrité, allié au PLD, est également le représentant politique de la secte bouddhique Soka Gakkai.
Parmi les petits partis, on trouve le Minna no Tō (Votre Parti), le Kokumin Shintō (le Nouveau Parti du Peuple), le Shintō Nippon (Nouveau Parti Nippon) ou le Shintō Daichi (Nouveau Parti Daichi).
On remarque également que les extrêmes sont très peu représentés, du moins dans les partis politiques…
La plus grande force d’extrême droite japonaise, la Nippon Kaigi, est un lobby puissant dans lequel sont inscrits de nombreux membres de la Diète actuelle. Cette organisation compte environ 35 000 adhérents.
L’extrême gauche est peu présente, notamment à cause des événements terroristes des années 70-80 dont furent responsables des factions armées d’extrême gauche (la Japanese Red Army ou le Chūkaku-ha). À la manière des Brigades Rouges italiennes en Europe, ces mouvements violents ont marqué de manière très négative le peuple et empêche l’émergence de tout mouvement politique d’extrême gauche.
Elections et système électoral
À partir de 18 ans (depuis 2015), tous les citoyens japonais peuvent voter. Cette décision d’abaisser le droit de vote de 20 à 18 ans entre dans le cadre d’une lutte contre l’abstention et contre le désintéressement des citoyens japonais envers la politique du pays. Le taux d’abstention lors de la reconduction de SHINZO ABE et du PLD en 2014 s’élevait à 48%. A titre de comparaison, en France, le 1er tour de la présidentielle 2017 a enregistré une abstention de 22%.
Le système électoral est toutefois différent puisqu’au Japon, les citoyens votent directement pour les membres de la Diète.
Les 480 représentants de la chambre basse sont élus au suffrage universel direct pour 4 ans. On utilise un scrutin uninominal majoritaire à un tour pour 300 des sièges et un système de proportionnelle pour les 180 restants.
Les 242 représentants de la chambre haute sont également élus via un suffrage universel direct, pour 6 ans. Cependant, à mi-mandat, la moitié des membres de la chambre sont renouvelés. Pour chaque élections, 48 membres sont élus à la proportionnelle au niveau national et 73 sont élus via un vote unique au niveau des 47 départements (on en compte 47).
La politique actuelle et les « Abenomics »
Actuellement, c’est le PLD qui gouverne, avec SHINZO ABE qui effectue son troisième mandat de Premier Ministre. Après un premier mandat en 2006 -2007, il a été nommé Premier Ministre une seconde fois le 26 décembre 2012. Il est reconduit en décembre 2014 pour continuer sur sa lancée avec ce qui est communément appelé les Abenomics.
Ce terme désigne la politique économique mise en œuvre par ABE. Dès 2012, on parle de flèches pour définir les trois mesures phares de ce redressement économique mise en place pour le pays. Il y en a 3 au départ : une politique monétaire expansionniste, un assainissement des finances publiques à moyen terme, des réformes structurelles du pays (via des accords de libre-échange et une plus grande ouverture économique). On vous dit plus sur ce système ici, dans un article dédié à ce plan.
Suite à sa reconduction au poste de Premier Ministre en 2014, SHINZO ABE va proposer 3 nouvelles flèches qui devront répondre au problème du déclin de la population (via des aides à l’éducation et une augmentation du taux de natalité), au vieillissement de la population en adaptant le régime de sécurité sociale et qui tenteront accroître le PIB japonais pour l’horizon 2020.
Plus de 4 ans après leurs débuts, les Abenomics n’ont pour le moment pas porté les fruits escomptés. La consommation des ménages reste en berne et l’objectif d’inflation de 2% souhaité par la banque centrale a dû être repoussé à 2019. En outre, la dette japonaise reste énorme à 250% de son PIB (en France, la dette s’élève à 97.6% de son PIB). Tout n’est pas noir cependant, le taux de chômage est historiquement bas dans le pays et ABE qui s’est employé à obtenir les J.O 2020 espère une embellie dans les toutes prochaines années.
Scandales et remous politiques
Dans ce pays ou le civisme et les règles sont importants, on pourrait croire que la politique serait exempte de tout scandale. C’est loin d’être le cas. Tout comme chez nous, de sombres histoires viennent émailler la vie politique.
Durant ses trois mandats, SHINZO ABE et certains de ses Ministres ont été visés par des accusations des détournements de fonds et de financement de parti illégal, qui ont conduit à des démissions et même au suicide du Ministre de l’Agriculture en mai 2007. Tout récemment, c’est un scandale politico-financier qui touche directement SHINZO ABE et sa femme AKIE ABE. Ils sont accusés d’avoir octroyé un terrain à un prix dérisoire à l’institution ultranationaliste Moritomo Gakuen, dont le président est très proche de l’extrême droite et du lobby Nippon Kaigi que nous évoquions plus haut. Le terrain devait accueillir une école prônant la grandeur de la nation, qui aurait été baptisée SHINZO ABE et dont la femme du Premier Ministre aurait été proviseure d’honneur.
L’affaire est en cours, mais l’opinion publique est déjà bien remontée : la collusion du Premier Ministre avec cette mouvance ultranationaliste fait grand bruit en ce moment au Japon. De là à l’empêcher de poursuivre ce mandat ?
Un système immuable
La politique japonaise possède donc un système figé depuis plus de 50 ans, qui sous contrôle américain lors de l’après-guerre, puis avec l’appui et l’abnégation du peuple nippon a permis au pays de se hisser au rang de 3e puissance économique mondiale (derrière les USA et la Chine).
L’opposition mesurée (car les extrêmes sont peu présents) empêche l’émergence d’idées ou de propositions fortes qui viendraient modifier le cours d’une politique qui pour l’instant maintient le pays à flots, malgré de nombreux défis à relever. Aucun risque pour le moment pour ce système politique japonais d’être chamboulé. Il faudra plutôt patienter quelques années, au moins jusqu’à l’après J.O pour tirer des conclusions concrètes de l’efficacité de la politique nippone actuelle.