« Ghost In The Shell » de Mamoru OSHII : La Chose qui pense
Un mois après la sortie du très hollywoodien remake de Rupert SANDERS emmené par Scarlett JOHANSSON, il est temps d’oublier cette coquille sans âme et de se pencher à nouveau sur les thématiques du chef-d’œuvre de Mamoru OSHII, première occurrence cinématographique de ce titre qu’est Ghost In The Shell, grâce à la récente réédition du film par @Anime.
Avant d’être sublimé sur grand écran par Mamoru OSHII, Ghost In The Shell est l’oeuvre de l’auteur Masamune SHIROW, qui a posé les bases esthétiques et contextuelles que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la franchise, jusque dans le métrage proposé par Rupert SANDERS. Avec son manga, Masamune SHIROW a créé un univers futuriste cyberpunk unique et proposé un récit teinté d’action évoquant des considérations politiques propres à la science-fiction avec une pointe d’humour et de sarcasme qui lorgne vers la caricature du monde contemporain de l’époque, alors en pleine élaboration d’un nouvel ordre mondial.
En s’emparant de Ghost In The Shell, Mamoru OSHII y insuffle ses propres thématiques et s’éloigne du schéma de SHIROW. Le sarcasme de l’auteur du manga disparaît et le réalisateur signe un film froid et complexe qui – bien qu’indéniablement marqué de la patte auteuriste d’OSHII – deviendra au fil des années le matériau de référence de tout projet lié à Ghost In The Shell, au point d’en éclipser parfois l’œuvre originale.
Avec son Ghost In The Shell, Mamoru OSHII a donné toute son essence au mot “adaptation”. Loin de reprendre simplement l’œuvre originale de SHIROW, celle-ci s’est avérée être le terreau fertile permettant de laisser libre cours aux problématiques chères au réalisateur.
Mamoru OSHII est un intellectuel qui s’est notamment engagé pendant ses années universitaires dans les révoltes étudiantes des années 70. Évoquant souvent La Jetée (1962) comme un de ses films de références, OSHII partage avec Chris MARKER son goût pour les questionnements existentialistes. On retrouve ainsi ponctuant son œuvre nombre de tableaux politiques sombres laissant exprimer ses positions antifascistes ainsi qu’une approche philosophique qui contribue notamment à faire de son Ghost In The Shell un film radical et marqué par son réalisateur.
Le film Ghost In The Shell est sorti en 1995, l’imaginaire collectif lié à la robotisation devient alors un sujet de société et Internet – “réseau […] vaste et infini” – fait ses premiers pas. Ce qui avait été imaginé par William GIBSON et d’autres auteurs de science-fiction dans les décennies précédentes était en passe de devenir une réalité et soulevait nombre de questionnements politiques et juridiques, mais également philosophiques.
Dans cette société robotisée où les machines ont un ghost – concept que l’on pourrait relier à l’âme ou à un subconscient jungien quasi-mystique – OSHII questionne l’identité, comme le faisait Philip K. DICK quand il se demandait si les androïdes rêvaient de moutons électriques. Pour Mamoru OSHII, l’intrigue policière et le récit ne sont que des prétextes à l’introspection et les scènes contemplatives servent davantage le film que les rares moments d’actions. Opposant le cogito au personnage manufacturé du Major, le réalisateur interroge la pensée cartésienne mise à mal par une vallée de l’étrange qui ne serait ici pas physique mais existentielle. Qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Si le Major existe et a bel et bien des souvenirs et des émotions, elle est également un produit de série qui n’a pas d’individualité. Les sacrifices physiques du personnage ne sont pas héroïques et ne sont menés que par une psyché enfermée dans un corps jetable, réparable ou remplaçable.
Si le Ghost In The Shell de Mamoru OSHII ne répond pas à ces questions existentielles, il ouvre à d’autres réflexions en évoquant des thématiques transhumanistes. Dans Ghost In The Shell, le corps est une limite de l’esprit et la crise identitaire éprouvée par le personnage du Major ne se résout que par un déni du corps encouragé par un alter ego qui – ne connaissant pas l’entrave physique – acquiert un statut quasi-divin.
Plus de vingt ans après la sortie du film, les situations évoquées par Mamoru OSHII sont encore de la science-fiction, mais le développement rapide de l’Internet mondialisé et la robotisation de la société nous mèneront tôt ou tard à ces questionnements identitaires, et il ne fait nul doute que l’œuvre de Mamoru OSHII constituera un matériau de référence pour les théoriciens de cette époque à venir.
Rendez-vous donc dans 20 ans pour notre prochain papier sur la portée de ce chef-d’œuvre intemporel.
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[…] On ne s’étendra pas outre-mesure sur Akira qui ouvre évidemment le bal en 1991, ni sur Ghost In The Shell sorti il y a 20 ans, en 1997 et dont on a récemment beaucoup reparlé, sans oublier non plus la […]