Terrace House : quand la télé-réalité retrouve son sens littéral
Il y a quasiment 16 ans jour pour jour, le 26 avril 2001, M6 lançait la version française de Loft Story, et ouvrait donc dans le même temps le robinet de la télé-réalité racoleuse produite par le néerlandais John de Mol.Désormais, lorsqu’on dit « télé-réalité », les images qui viennent à l’esprit ne sont pas très flatteuses : les disputes, les bris de vaisselle, les insultes sont autant de séquences rediffusées à loisir dans les zappings et qui nourrissent les moqueries que l’on pourrait formuler à l’égard de ce type de programme. Autant dire que l’arrivée de Netflix sur ce segment avec Terrace House laissait plutôt de marbre : certes les productions de la chaîne de streaming sont connues pour leur qualité, nous en parlions avec intérêt il y a quelques mois ici, mais serait-ce toujours le cas en dehors des films et des séries ?
Un concept simple mais accrocheur
Il est tout d’abord intéressant de noter que le programme n’est pas une création du service de VoD : il a été créé par Fuji Television et diffusé sur cette chaîne pendant deux ans, du 12 octobre 2012 au 29 septembre 2014, pour un total de huit saisons. À l’heure où cet article est publié, deux éditions sont disponibles sur Netflix : Boys & Girls in the City et Aloha State, et l’une est restée inédite hors du Japon, Boys x Girls Next Door, toutes reprenant le même concept. Netflix se garantissait ainsi une audience déjà séduite lors de la diffusion sur Fuji TV, qu’elle soit japonaise ou occidentale (qui pouvait récupérer les émissions grâce à un cousin au Japon, par exemple).
Comme dans un programme « endemolien » classique, il s’agit de réunir plusieurs jeunes gens afin qu’ils vivent ensemble dans une somptueuse maison… mais les points communs s’arrêtent là.
En effet, contrairement à un Secret Story il n’y a pas d’argent à gagner, ce qui élimine de nombreuses tensions pouvant être liées à des nominations potentielles. De même façon, ils n’ont pas un objectif de carrière à réaliser à l’étranger comme le présente par exemple Les Anges de la télé-réalité : chacun continue à mener sa vie comme auparavant, les étudiants continuent ainsi à aller à la fac. Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas à proprement parler d’une télé-réalité « d’enfermement », au sens où les participants sont libres d’entrer et sortir à leur guise de la maison. Ils sont également libres de quitter l’émission à n’importe quel moment, étant donné qu’il s’agit d’un simple lieu de vie pour eux : on ne parle donc pas de « candidat » mais plutôt de « colocataire ». On a ainsi pu voir certains participants être sûrs de quitter l’émission après un nombre de semaines défini, ou après avoir accompli certains objectifs personnels.
Une des discussions majeures des premiers épisodes de Boys & Girls in the City tourne par exemple autour de ce que chacun des six habitants attend de « l’aventure » Terrace House, et plus largement des objectifs de vie à plus ou moins long terme que chacun s’est fixé. Le dîner devient un moment de partage, presque comme dans une famille, et cette scène est particulièrement chargée d’émotions car on assiste – comme une petite souris qui observerait par le trou de la serrure – à un moment de discussion sérieuse et intime, voire d’introspection. C’est dans ce genre de moments que l’on peut également voir que les interactions entre habitants ne sont absolument pas calculées ni mises en scène : chacun se dévoile à son rythme, selon son caractère.
Les spécificités du programme
Mais alors me demanderez-vous, de quoi sont faits les épisodes ? Est-ce si intéressant de suivre la vie d’inconnus comme vous et moi ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, la réponse est oui.
En effet, en adoptant un postulat de base différent des télé-réalités que nous connaissons sur NRJ12 ou W9, Fuji TV et Netflix ont également choisi un format de diffusion différent : chaque épisode d’une trentaine de minutes ne représente pas une seule journée de la vie des habitants de la maison, mais une semaine. Dès lors, l’émission part du principe qu’en tant que téléspectateur on n’a pas besoin de suivre le quotidien des habitants. On est alors davantage placé dans la position d’un ami qui recevrait une sorte de résumé hebdomadaire de la vie de personnes, qu’il apprend au fur et à mesure à connaître, plutôt que dans celle d’un voyeur. Pas question donc pour les téléspectateurs d’épier les moindres faits et gestes des participants 24h/24 comme cela pouvait être le cas en France au début des années 2000 grâce à des webcams pour Loft Story ou Secret Story.
Finalement, on se retrouve à regarder un format hybride, entre la télé-réalité au sens le plus littéral possible, c’est-à-dire les faits et gestes de personnes normales et la série télévisée, car le montage contribue malgré tout à mettre en avant les évolutions personnelles ou entre candidats en présentant une sorte de best-of. En tant que spectateur, on se retrouve donc face à une émission moins « criarde », et cela se ressent également au niveau du rapport à la publicité. Ce point spécifique est intrinsèquement lié au mode de diffusion de l’émission : Netflix est totalement détaché de toute les contraintes publicitaires qui entravent habituellement la diffusion d’un programme. Ainsi, dans des programmes comme Secret Story, la mise en scène spectaculaire d’actes du quotidien comme le fait de faire les courses amène les candidats à exagérer leur rapport à certaines marques, ce qui pousse les téléspectateurs à s’attacher à elles et donc potentiellement à les acheter. En faisant fi de ces contraintes, Terrace House revient à l’essence même de la télé-réalité : dans la vraie vie, préparer un plat de viande en sauce ne mérite pas de longs conciliabules, il s’agit uniquement de choisir ceux qui iront faire les courses et prépareront le repas. En regardant Terrace House, on n’est pas fasciné par ce qui nous différencie des participants, mais par ce qui nous rapproche.
Les producteurs ont également compris que la télé-réalité est un genre télévisuel qui se regarde à plusieurs, car il prend une autre dimension lorsqu’il est moqué et tourné en dérision. Pendant quelques minutes au début, au milieu et à la fin de chaque épisode, la caméra quitte la splendide villa pour se poser dans une reconstitution de salon, occupé par plusieurs célébrités japonaises comme un mannequin, un ado acteur ou un humoriste. L’aspect télévisuel reste donc prégnant car nous ne faisons qu’observer des gens regardant l’émission que l’on regarde nous aussi. Néanmoins, cette variété de types de spectateurs continue à participer de l’identification de l’abonné Netflix, qui peut avoir également tendance à regarder le programme en famille ou entre amis.
Enfin, on pourra noter que si certaines typologies de candidats semblent également se retrouver dans Terrace House, comme « le sportif », « la mannequin », la « girl next door », on tombe rarement dans la caricature. En effet, l’absence de scénarisation fait que chacun reste toujours libre d’évoluer selon les rencontres faites dans la maison. Certains grandissent, d’autres pas, mais l’authenticité et la sincérité que l’on retrouve derrière chaque situation aident à les aborder de manière différente par rapport aux Chtis ou aux Marseillais : on prend fait et cause pour une personne ou une autre, mais il est rare que cela se fasse sans réflexion ni argumentation, comme on le ferait dans la vraie vie si des connaissances se disputent.
Jugez par vous-mêmes : deux épisodes sont consacrés à « l’affaire de la viande », un drame à l’échelle de l’émission. Tatsuya (le coiffeur) a reçu en cadeau de deux de ses clients un steak d’une excellente qualité – qui met l’eau à la bouche du téléspectateur -, accompagné d’un gentil mot et d’indications de préparation. Sans l’attendre, et pour ne pas avoir à faire les courses, les autres habitants décident de manger ce steak en s’imaginant que cela ne le dérangera pas. Bien au contraire, celui-ci prend l’affaire très à cœur, se renferme dans sa chambre pendant une journée entière et ne fait quasiment plus que pleurer.
Pour autant, même si ce genre de scène a des allures d’un psycho-drame digne des Anges ou autres programme du genre, elle ne paraît à aucun moment fausse ou surjouée et ce malgré la réaction qui pourrait paraître disproportionnée de Tatsuya. De façon plus large, ce steak-gate l’incite à questionner sa relation avec une des habitantes de la maison : les implications sont donc beaucoup plus importantes que ce qu’il pouvait sembler de prime abord.
En bref…
Vous l’aurez compris, malgré nos craintes du début face à un genre peu glorieux, nous voilà séduits par Terrace House, qui a tout d’une très bonne surprise, transformant le spectateur suspicieux en addict. Même si, comme nous, vous n’êtes pas particulièrement amateur de télé réalité d’enfermement, les quelques 46 épisodes de Boys & Girls in the City ne devraient pas faire long feu, y compris chez les personnes habituellement extérieurs à ce genre de programme : essayez avec vos propres parents, vous serez peut-être surpris !
Finalement l’émission permet d’appréhender d’une autre manière les relations sociales au Japon, sans pour autant totalement déstabiliser le spectateur occidental. C’est donc une ouverture assez originale mais qui reste pertinente, tout en étant divertissante et plutôt addictive. A essayer !
Très bien résumé !
A voir comme un drama plus que comme une « télé-réalité » pour ceux qui comme moi en ont horreur, et les présentateurs sont tops.
Merci de ce retour ! C’est vrai que le programme se détache de la « télé-réalité » au sens où on l’entend en France 🙂 (et heureusement !)