[Cinéma] R100 – À souffrir de rire
Dans un café, un salaryman timide discute avec une grande et sculpturale jeune femme silencieuse jusqu’à ce que, sans crier gare, celle-ci lui assène un grand coup au visage. La correction gratuite se poursuit dans la rue non sans que le visage de l’homme en question affiche un étrange (et désagréable) sentiment de félicité.
C’est ainsi que débute R100 (littéralement « interdit aux moins de 100 ans »), le dernier film de Hitoshi MATSUMOTO, géant comique du Japon, sorti sur les écrans nippons en octobre 2013 et qui débarque seulement en blu-ray dans nos contrées, grâce à l’éditeur Blaq Out qui répare ainsi une belle injustice.
La Maison MATSUMOTO : une institution du comique nippon
MATSUMOTO n’en est pourtant pas à son coup d’essai puisqu’il s’agit de son quatrième film, les trois premiers ayant rencontré le succès critique et ayant même eu les honneurs de la cinémathèque et des festivals, de Deauville à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en passant par Locarno pour ne citer que la France.
L’homme est un des comiques les plus populaires du Japon, égal de « Beat » Takeshi KITANO et il est quasi omniprésent à la TV japonaise, animant plusieurs émissions par semaine. Originairement membre du duo de comique Downtown – dont il incarne le « Boke » (idiot un peu masochiste qui se fait constamment taper dessus) face au « Tsukkomi », son partenaire HAMADA – il a contribué à dynamiter le « manzai », ce style de duo comique classique dans l’archipel, en y ajoutant une bonne dose d’absurdité surréaliste et en jouant du masochisme de ses personnages.
Un sillon qu’il va creuser dans son cinéma, à contrario d’un KITANO qui – à de rares exceptions – profite plutôt de ses escapades cinématographiques pour nourrir une persona à l’opposée de son image de comique télévisuel.
Absurde et surréalisme : le cinéma singulier de Hitoshi MATSUMOTO
C’est en 2007 que sort Dai Nipponjin (traduit à l’étranger en Big Man Japan) ; un faux documentaire qui s’intéresse à un héro déchu interprété par MATSUMOTO lui-même, héritier d’une dynastie ayant la capacité de devenir gigantesque afin de protéger la population japonaise des attaques de monstres géants type Godzilla. Plutôt couard et pas vraiment doué, il est l’objet de l’ire de la population.
Bilan : un hilarant premier film au ton iconoclaste, où l’on retrouve son masochisme et son goût pour les personnages de caliméros idiots, losers pas vraiment magnifique. Autre élément intéressant, la propension du réalisateur à se réapproprier avec originalité les clichés/canons de la culture pop répandus dans l’inconscient collectif japonais, à commencer ici par le Kaiju Eiga, et qu’il renouvellera dans ses films suivant.
Cette première oeuvre rencontrera un beau succès tant en terme critique que d’audience.
S’ensuit Symbol, version comico-absurde et même psychédélique de Cube (de Vincenzo NATALI). Un homme, encore une fois interprété par MATSUMOTO, se réveille seul dans une grande chambre blanche et vide, sans porte ni fenêtre. Seules quelques aspérités ça et là sur le mur et qui se révéleront être des sexes d’angelots. Lorsque l’homme – dont on ignorera toujours le nom – appuie sur ces petits sexes, des mécanismes sont actionnés qui font apparaître des objets divers dans la pièce, MATSUMOTO tentant de mettre au point des stratégies en utilisant ces mécanismes pour sortir de cette cellule. En parallèle, on assiste à la préparation d’un Luchador mexicain en vue de son combat de catch. Quel est le lien qui relie les 2 ? Un mystère qui trouvera une réponse- forcément et délicieusement absurde – culminant dans un trip métaphysique digne de 2001 l’Odyssée de l’Espace.
Une dernière dimension inattendue qui nous pousse à nous poser la question : MATSUMOTO, est-ce de l’art ou de – l’hilarant – cochon ? Une réponse nous est donnée par le Maestro lui-même lors d’une interview pour le Japan Times à l’occasion de la sortie de R100 : « Je pense qu’il y a une différence importante entre la comédie et l’Art – c’est que la comédie ne doit pas essayer d’être intellectuelle ou maligne au point de devenir « Art ». Je pense que si elle devient vraiment de l’Art, alors on fini par perdre le rire. La Comédie doit être un cran en dessous de l’Art – Ce qui ne signifie pas qu’elle doit se départir de tout élément artistique. »
C’est donc bien le rire que cherche le comique, sans pose pseudo-intellectuelle. Cependant, l’ensemble de ses films témoigne du regard d’un véritable auteur, ce que va confirmer le film suivant.
Saya Zamurai est, de l’aveu même de son auteur, « le plus cinématographiquement classique de ses films ». Il en prendra d’ailleurs volontairement le contre-pied avec R100 au travers duquel il décide d’aller le plus loin possible dans l’étrangeté.
Un samurai qui a abandonné le sabre suite à la mort de sa femme est pourchassé et déshonoré. Capturé par un seigneur étrange, il dispose de 30 jours pour redonner le sourire au jeune fils catatonique du seigneur. Commence alors un chemin de croix pour ce samurai déchu afin de regagner sa dignité et l’estime de sa fille.
Si on retrouve dans Saya Zamurai les tropismes de MATSUMOTO avec cette véritable tentative d’épuisement de son concept (un jour / une tentative / un spectacle le plus absurde possible), ce chambara comico-absurde dont les interrogations ne sont pas sans évoquer les samurai de Yoji YAMADA, présente une narration plus classique et n’hésite pas à laisser réellement affleurer émotion et sensibilité.
R100 : Chaos contrôlé
Saya Zamurai pouvait apparaître comme un début d’assagissement. R100 confirme-t-il ce sentiment ? Absolument pas ! De l’aveu même de son créateur, R100 prend le contre-pied du film précédent et découle d’une volonté de chaos. Il ne faudrait pas non plus le réduire à un grand n’importe quoi, tant le film a plus à dire que le tout venant. Sous le vernis de l’étrange, on perçoit le regard acéré du réalisateur pour percevoir avec acuité l’absurdité de la société japonaise et même plus particulièrement de l’industrie cinématographique.
Dans R100, MATSUMOTO prend pour base une situation quasi aussi dramatique que celle de Saya Zamurai : KATAYAMA (interprété par Nao OMORI) est un salaryman, père de famille dont l’épouse est dans un état végétatif depuis plusieurs années, sans espoir d’amélioration. Pour étancher son masochisme, seul réconfort d’une sombre existence, il va rentrer dans un club SM un peu particulier puisque les dominatrices harnachées de vinyle interviennent in situ : dans un café, dans la rue, en n’importe quel lieu, et non pas dans l’enceinte d’un club. Mais, à mesure que le comportement des dominatrices se fait de plus en plus incontrôlable et hors des limites imposées dans le contrat, et que les punitions se font de plus en plus incongrues et absurdes, KATAYAMA voit sa vie et celle de son fils menacées : il va finalement devoir affronter cette mystérieuse organisation SM internationale. Prenant les armes, le maso va devoir devenir le sado dans un déluge d’action et de musique funky qui n’est pas sans évoquer le cinéma d’exploitation des 70’…
Sorti en 2013 et soutenu par une grosse campagne marketing, le dernier opus de MATSUMOTO – d’une totale irrévérence – n’a évidemment pas eu le succès escompté malgré d’excellentes critiques. A-t-il mis un terme aux velléités de réalisation de son auteur ? On espère que non, tant ce magnifique et jubilatoire doigt d’honneur envoyé à la face du public et de l’industrie cinématographique japonaise est d’une qualité, d’une cohérence et d’un intérêt bien trop rare dans un paysage cinématographique japonais qui se complaît parfois dans des films sympathiquement loufoques mais par trop poussifs et sans fond.
Retrouvez toutes les informations sur le film sur le site de l’éditeur Blaq Out.
Grand fan de Matsumoto, j’ai eu l’occasion de voir R100 (et les autres films).
La réalisation est plutôt bonne. Voire très bonne. Maintenant c’est du Matsumoto et il ne faut pas s’attendre à autre chose.
Néanmoins on a là une oeuvre plus travaillée. Avec un vrai scénario bien écrit. On sent tout de même que Saya Zamurai a été un tournant. Si le film est vraiment déjanté (en même temps, vu le thème…), il en reste bien plus de logique et d’écriture que sur les premières réalisation de Ma-chan.
Pour peu que l’on connaisse le fonctionnement de la société japonaise, on se dit que, quelque part, on n’est pas si loin de ce qui se passe dans la tête de certains. Dérangeant peut-être pour certains car leur rappelant trop ce qui pourrait finalement n’être qu’une réalisation de fantasmes…
Un très bon film en tout cas sans temps morts et dans concession.