Silence : le chemin de foi
Silence, le nouveau film de Martin Scorsese arrive sur nos écrans ce 8 février 2017, un peu plus de trois ans après le carton plein que fut l’ostentatoire Le loup de Wall street. Loin de la décadence de ce dernier, Silence résonne de l’ascétisme propre à son sujet : la foi. Adaptation du roman japonais éponyme de Shusaku ENDO, lui-même inspiré de faits et de personnages historiques, l’histoire se passe au XVIIe siècle au moment où l’expansionnisme offensif du christianisme se heurte à la répression dure et sanglante des autorités japonaises.
À quelques jours de la sortie, Journal du Japon vous propose un tour d’horizon du roman et de son sujet ainsi que du film que l’on peut en attendre…
Un roman : le drame des premiers catholiques japonais
Publié en 1966, le livre Silence narre le périple de trois jeunes jésuites portugais envoyés au Japon en 1638 afin de poursuivre clandestinement l’évangélisation du pays mais aussi de retrouver le père missionnaire Cristovao Ferreira qui aurait renié sa foi et vivrait comme tout un chacun au pays du soleil levant. Le récit se concentre sur le vécu de l’un des jeunes prêtes, Sebastiao Rodrigues, disciple de Ferreira, qui refuse de croire que son mentor a renié leur Dieu.
Lui-même catholique, Shuzaku ENDO a voulu avec ce livre écrire sur la lutte intérieure d’un croyant lorsque sa foi jusque là préservée, s’accroche et s’effiloche sur l’adversité du monde. Silence interroge parfaitement la nature profonde et personnelle de la foi par la mise à l’épreuve de la nature humaine. Très loin de l’Europe et de ses repères habituels, Sebastiao Rodrigues se retrouve seul face à une culture et à un peuple étrangers à ses propres coutumes, croyances, culture et organisation, et inversement : lui-même n’a aucun repère ni aucune connaissance sur la culture et la société japonaise. Isolé, bouleversé, il doit comprendre, apprendre et agir dans le moment présent en terrain inconnu.
Dans sa mission d’évangélisation clandestine, Sebastiao fait face à la violence, à la souffrance et à la peur. L’auteur n’épargne d’ailleurs ni ses protagonistes ni ses lecteurs, faisant preuve d’un style efficace dans la description de la violence des tortures physiques et psychologiques, toutes basées sur des archives historiques. Dans ces conditions, un choix qui semblait au début impossible à Sebastiao, celui que son mentor aurait fait sur ces mêmes terres, lui devient de plus en plus compréhensible : renoncer publiquement à la foi pour sauver des vies. Mais ce faisant, pourra-t-il vivre en paix avec lui-même et avec son Dieu?
C’est un conflit intérieur qui s’engage alors chez le jeune missionnaire entre le prêtre et l’homme, la croyance et les doutes, la passion qu’inspire la foi et la charité chrétienne, le dogme et la réalité, le tout avec ses coups d’éclats et ses moments de désespoir. Car Dieu, face aux tourments subis dans le récit par ses ouailles, reste obstinément silencieux aux prières de Sebastiao : est-ce par défi ou par abandon? Ou serait-ce parce que le jeune prêtre est en faute en questionnant son Maître ?
L’époque des Kakure kirishitan, ces chrétiens cachés…
Les premiers missionnaires chrétiens arrivent au japon au milieu du XVIe siècle en pleine période de guerres civiles et des dernières années d’existence du shogunat ASHIKAGA. Malgré ces temps agités, ils installent les premiers bastions de la religion chrétienne sur le sol japonais du côté de Nagasaki et convertissent les premiers croyants, les baptisant et leur attribuant un nom occidental. Parmi ces premiers convertis, connus sous le nom de Kirishitan, se trouvent des seigneurs provinciaux, les Daymios, ce qui prouve l’estime et l’intérêt portés à cette nouvelle religion et à ses représentants. Il faut dire que les prêtres missionnaires impulsent et organisent le commerce avec le Portugal et les colonies portugaises d’Asie et font du port de Nagasaki l’un des plus florissants du pays.
Les premiers changements occurrent rapidement dès la fin du XVIe siècle avec le début de la réunification du pays et l’arrivée au pouvoir de HIDEYOSHI Toyotomi. Il est le premier à interdire officiellement le christianisme et à ordonner une exécution publique avec la crucifixion de 26 prêtres japonais et non-japonais à Nagasaki, berceau du christianisme dont il a repris le contrôle. Les prêtres décident alors de se faire plus discrets et se retirent des tractations et conflits entre HIDEYOSHI Toyotomi et les daymios de confession chrétienne. Cette stratégie paie : HIDEYOSHI se concentre sur la consolidation de son autorité comme nouveau pouvoir central du pays et les prêtres continuent de leur côté l’évangélisation. A cette période, le nombre de croyants seraient alors entre 130 000 et 300 000.
L’entrée dans le XVIIe siècle ouvre la période la plus sombre du christianisme au Japon avec le début du shogunat TOKUGAWA. Premier shogun de cette nouvelle « dynastie », TOKUGAWA Ieyasu a pour objectif affiché d’éradiquer toute présence du christianisme sur le sol japonais. Pour cela, il s’appuie sur les daymios et organise la répression dans les provinces. Dès 1614, le christianisme est officiellement banni et les croyants, prêtres comme fidèles, persécutés et arrêtés avec la plus grande dureté.
Les chrétiens sont alors contraints de pratiquer leur foi dans la clandestinité et la peur d’être démasqués; ils deviennent des kakure kirishitan, les chrétiens cachés. Pour les débusquer, les autorités mettent en place l’apostasie, la renonciation publique de sa foi chrétienne par piétinement de l’image du Christ (le fumi-e, un moment clé du livre). Ceux qui refusent ce geste sont torturés et tués s’ils s’obstinent dans leur refus. Les tortures physiques sont cruelles : crucifixion, bûcher, décapitation, noyade, lente exsanguination, etc. Les tortures psychologiques, tout aussi cruelles, touchent plus particulièrement les prêtres étrangers obligés d’assister au supplice et à la mise à mort de leurs ouailles dans d’atroces souffrances afin de les pousser eux, hommes de Dieu et guides respectés, à renier leur foi pour les sauver.
Cette ère funeste pour les chrétiens s’accompagne du repli économique et culturel du pays sur lui-même avec le rejet de tout ce qui est ou vient de l’étranger. Elle se termine à la fin du XIXe siècle avec la ré-ouverture forcée du pays à l’extérieur et la levée officielle du bannissement du christianisme par le gouvernement japonais en 1873. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens au Japon est estimé entre un à deux millions.
Un projet cher à Scorsese
Il aura fallu plus de deux décennies à Martin Scorsese pour pouvoir enfin réaliser l’adaptation cinématographique du livre de Shuzaku Endo. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1994 pour parler de leur vision respective de l’oeuvre et confirmer à l’auteur que celle du réalisateur ne trahissait pas la sienne comme il estimait que l’avait fait la précédente version cinématographique de 1971.
Avec Scorsese, Endo semble avoir trouvé son comparse de cinéma. En tant que croyants, le combat intérieur entre le doute et la foi les rapproche; en tant qu’artistes, ce combat les fascine. Les deux hommes reconnaissent le doute comme partie intégrante du chemin du croyant vers une foi plus pure et plus sincère car devenue plus personnelle. L’histoire du père Sebastiao Rodrigues les réunit donc. Scorsese, profondément touché par le livre, qui met des mots sur une expérience personnelle qui l’a forgée, a véritablement à cœur d’en retranscrire l’essence même à l’écran.
Si la filmographie de Scorsese est riche de sa diversité stylistique, il existe bien des points communs dans les thèmes, les scénarios et la mise en scène au travers de tous ses films. Tout d’abord, on retrouve le héros qui même entouré, reste un personnage seul, confronté à l’adversité qui l’oblige à se confronter à lui-même, rongé que ce soit par la culpabilité, le remord, la paranoïa, etc. Il se cherche, se débat, s’expose parfois, il est bourreau mais devient aussi souvent victime et finit par chuter, libéré ou plus encore prisonnier. Dans le cas de Sebastiao Rodrigues, il sort de son combat avec sa foi, plus fort, plus vrai en tant que croyant et homme.
La religion catholique est toujours présente dans le décor ou dans la caractérisation même de certains personnages chez Scorsese. On pourrait même la voir transparaître dans la mise en scène avec des séquences où les interactions sont très ritualisées, d’autres scènes plus intimes comme celles de murmures à l’oreille, par exemple, mais aussi des effets de lumière, des stigmates, des poses, des baisers, etc. Autre élément important chez Scorsese : la violence qui est souvent montrée sans ambiguïté, comme une trace ADN des films du réalisateur. Elle n’est jamais gratuite et toujours filmée de manière réaliste, exprimant la souffrance bien évidemment, mais aussi souvent la rédemption ou la libération.
À l’évocation de ces éléments communs aux films, il est certain que Silence, trouvera naturellement sa place dans la filmographie du cinéaste.
Avec Silence, Martin Scorsese a trouvé une histoire qui reflète parfaitement à sa vision de l’acte de croire, en tant qu’homme, en une quelconque religion. Le livre de Shuzaku Endo, lui a donné l’opportunité d’évoquer la foi comme un choix profondément personnel pouvant s’éloigner des dogmes et des institutions. C’est aussi un défi de mise en scène dans la retranscription en image du profond conflit intérieur d’un personnage. Aux vues des premières images, le style respecte celui, austère et dur, du livre et la narration, celle du chemin d’un homme vers lui-même, la voie vers sa propre paix intérieure sans glorification ou accusation.
Qu’il soit bon ou mauvais, à chacun de s’en faire une opinion, mais c’est un film que l’on peut déjà juger très personnel pour le cinéaste.
2 réponses
[…] Ainsi Oda NOBUNAGA s’est fortement rapproché de missionnaires jésuites et avait même pris sous son aile un ancien esclave africain. Date MASAMUNE, Daimyô de Sendai s’était très fortement rapproché des missionnaires et leur avait même autorisé à convertir des populations. Il envoya des expéditions jusqu’en Europe au tout début du XVIIe siècle chargé d’une lettre pour le Pape, rédigée en Latin par lui-même. Une partie de ce groupe décide toutefois de s’arrêter en Espagne afin d’éviter les persécutions qui subissent les chrétiens au Japon suite à l’établissement du Bakufu des Tokugawa comme l’illustre bien le film Silence auquel nous avons consacré un article. […]
[…] de Hideyoshi TOYOTOMI, mis entre autre en lumière en 2017 par Martin Scorcese, avec son film Silence, adapté du roman éponyme de Shusaku […]