Littérature et manga : une histoire d’amour… et plus, si affinités !

Les mangakas puisent leur inspiration dans diverses sources : l’actualité, l’histoire, mais également la littérature. Ces dernières années ont été riches en exemples et, ces derniers mois, de nombreuses nouveautés ou rééditions sont venues remplir les plannings de sorties manga. 

Journal du Japon vous invite à découvrir les liens qui unissent les mangas et la littérature, de France, d’Europe et d’ailleurs, à travers différents exemples, pour petits et grands.

Le manga, une initiation à la littérature

Le Maître des livres : la littérature qui soigne

maitre1_La Rose trémière est une bibliothèque pour enfants dans laquelle travaille le mystérieux Mikoshiba. Avec sa coupe de cheveux qui lui donne l’air d’un champignon et son caractère un peu froid, difficile de connaître les sentiments de ce bibliothécaire ! Mais il y a bien une qualité que tout le monde lui reconnaît : ses conseils de lecture sont toujours excellents. Au fil des volumes (déjà 14 au Japon et 10 publiés en France chez Komikku), ce sont tous les classiques de la littérature enfantine que le lecteur découvre ou redécouvre : Stevenson, Saint-Exupéry, Selma Lagerlöf, Mark Twain ou les fables d’Esope… Mikoshiba est un passionné : un vieil homme lui a transmis cette passion dans une bibliothèque pour enfants lorsqu’il était plus jeune, et il a voulu faire de même. Il écoute les personnes qui viennent dans la bibliothèque et leur propose des livres en fonction de ce qu’il a pu cerner de leur caractère.

Dans cette bibliothèque, il y a donc toute une équipe qui travaille, avec ses petits soucis personnels, ses coups de cœur, ses envies de partager (des spectacles de marionnettes permettent d’aborder la littérature sous un autre angle). Il y a également tous ceux qui franchissent ses portes : des enfants seuls, des enfants accompagnés de leurs parents, des adultes seuls (qui semblent parfois échouer là en désespoir de cause)… Que viennent-ils chercher ? Au fil des pages, des petits bouts de vies se dévoilent, des enfances, des événements joyeux ou douloureux, des souvenirs de lectures, des envies de découverte.

mikoshibaDe tome en tome, les personnages prennent de l’épaisseur, les relations se nouent, les vies se dévoilent. L’intérêt de ces histoires est à la fois littéraire (une véritable promenade à travers les classiques pour enfants, brossés en quelques pages, juste pour avoir envie de les lire, pas assez pour dévoiler) et humain : le lecteur s’attache aux personnages et attend avec impatience la sortie d’un nouveau volume pour pouvoir retrouver ceux qui sont devenus des amis, des compagnons de lecture.

Une série qui permet aux plus grands de retomber en enfance (et d’avoir une furieuse envie de relire les livres de leur jeunesse) et aux plus jeunes de découvrir l’immense univers de la littérature enfantine !

Chez nobi nobi !, une initiation accessible à la littérature

Les éditions nobi nobi! publient des mangas, des contes japonais pour petits et grands et depuis quelques années se sont lancées dans l’adaptation de classiques de la littérature en manga. Le but est de rendre cette littérature accessible, de désacraliser des ouvrages qui peuvent parfois impressionner les jeunes lecteurs et les éloigner de ces classiques.

classiquesDe nombreux titres sont déjà parus, qui conviendront aux plus jeunes comme aux plus âgés des enfants : Alice au pays des merveilles, Heidi, Les aventures de Tom Sawyer, mais également des textes plus élaborés comme Les misérables ou Roméo et Juliette.

Le but recherché n’est pas de retranscrire l’intégralité de l’œuvre, mais bien de la rendre abordable, compréhensible. Les principaux personnages et les lieux sont présentés dès l’introduction (dessinée), la trame de l’œuvre est respectée : chronologie, apparition des personnages, actions. Mais le contenu est simplifié pour que le jeune lecteur se sente dans un univers qu’il comprend, avec des personnages qui parlent simplement, de l’action qui donne lieu à des dessins très dynamiques et des onomatopées nombreuses, comme dans un manga classique. Le chapitrage est clair et équilibré, il permet au lecteur de s’arrêter et reprendre la lecture tranquillement le lendemain. Les décors sont simples mais suffisants pour se plonger dans l’ambiance souhaitée. Les personnages sont tendres et attachants avec leurs « classiques » grands yeux brillants ; leurs vêtements correspondent bien aux tenues des personnages de l’œuvre adaptée. Cela crée donc un ensemble harmonieux, facile à aborder et se révèle être une bonne façon de s’initier à la littérature pour ceux que cela effraie. Évidemment, beaucoup de l’œuvre initiale n’apparaît pas (descriptions fines, digressions, contexte historique, qualité littéraire), mais si cela peut donner envie, c’est déjà une très belle initiative !

nilsholgerssonDans cette collection, c’est Le merveilleux voyage de Nils Holgersson qui paraît ce mois-ci. Ce classique fabuleux de la suédoise Selma Lagerlöf (la première femme a avoir obtenu le prix Nobel de littérature en 1909) ravira les enfants qui rêvent de grands voyages.

Nils est un jeune garçon qui aime bien jouer de mauvais tours (en particulier aux animaux). Lorsqu’il s’en prend au lutin de la maison, celui-ci lui jette un sort : Nils rétrécit ! Le jars Martin de la ferme dans laquelle vit le garçon ne rêve que d’une chose : partir avec les oies sauvages. Nils se retrouve alors embarqué sur le dos du jars et voyage à travers toute la Suède en compagnie des oies sauvages dirigées par Akka qui aidera le petit tout au long de cette aventure périlleuse (le renard Smirre ne cessant de lui jouer de mauvais tours).

Portant ses traditionnels sabots et coiffé de son bonnet, Nils affronte les dangers (les scènes avec le renard sont très drôles et très réussies, les expressions du renard feront à coup sûr rire les enfants). Il partage des moments joyeux avec les oies, mais il a également des périodes de cafard lorsqu’il pense à sa famille, à la taille qu’il a. Les animaux qu’il rencontre sont très nombreux et joliment dessinés (hiboux, corneilles, grives, grues, rats, lapins, chiens etc.). Amitié, solidarité, partage parcourent tout le livre… Nils grandira d’une autre façon pendant ce beau voyage !

N’hésitez pas à mettre ce manga dans les mains de votre enfant… et invitez-le ensuite à découvrir l’œuvre originale qui l’emportera encore plus longtemps et plus loin dans la Suède des oies sauvages !

Chez Soleil Manga : une vaste culture à portée de tous !

Orgueil_Prejuges-soleilAvant la collection de nobi nobi !, l’éditeur Soleil Manga lançait en 2011 son label Classique avec comme vocation de vulgariser de nombreux textes, parfois bien au delà du simple champ littéraire, en proposant aussi bien du Marcel Proust que la Bible, Les misérables de Victor Hugo ou la Théorie de l’évolution de Charles Darwin.

Depuis octobre dernier, cette collection s’est vue enrichie de nouvelles œuvres. Ces dernières vous invitent à nouveau à vous initier à certains grands classiques de la littérature comme Orgueil et Préjugés de Jane Austen, ou à aborder quelques grands ouvrages des sciences humaines, comme la sociologie et la philosophie avec Du Contrat Social (Jean-Jacques Rousseau) et Ainsi parlait Zarathoustra (Nietzsche). La collection va même, enfin, explorer des sciences dures comme la physique avec La théorie de la relativité d’Albert Einstein.

theorie-relativite-soleil-tempMême s’ils sont loin d’égaler les ouvrages sources ou de constituer, en soit, des mangas inoubliables, ces ouvrages sont idéaux pour qui cherche à découvrir les idées et les histoires que renferment les originaux, sans avoir à affronter des œuvres parfois pointues, massives et complexes. Pour les rendre abordables, ces adaptations en manga varient dans leur narration : le récit évolue entre exposé simplifié pour certains, qui s’adresse directement au lecteur, ou un mélange entre récit romanesque en 2D et l’insertion d’un présentateur / professeur qui explique les enjeux de l’époque ou l’histoire de l’auteur. Tout ceci a une vocation des plus pédagogiques, ce qui les prédestine naturellement à un public d’adolescents ou de jeunes adultes, mais aussi de curieux en général.

De quoi faire un premier pas vers une culture personnelle plus solide et s’ouvrir l’esprit à des grandes œuvres ou grandes théories de ces derniers siècles. Bientôt des mangas dans nos programmes scolaires, qui sait ?!

Tabous, péchés et révoltes : quand l’Europe inspire le Japon

De Hugo à Baudelaire : la France révoltée, vue par le Japon…

Les misérables KurokawaVictor Hugo est l’un des symboles de la littérature française à travers le monde. Une œuvre, plus que les autres de son auteur, ne cesse d’être adaptée dans toutes les versions possibles depuis sa parution en 1862 : Les misérables est pour beaucoup un chef d’œuvre. On le retrouve d’ailleurs dans nos deux collections précédentes, en one-shot.

Il était donc logique qu’un mangaka finisse par s’en emparer pour une adaptation de plus grande envergure. Depuis 2013 Takahiro ARAI puise donc fidèlement dans la version japonaise des Misérables, alias Oh impitoyable de Toshio TOYOSHIMA. Ce manga, publié en France aux éditions Kurokawa, nous conte les incroyables destinées de Jean Valjean, Cosette, Javert, Marius et tous les autres au cœur d’un 19e siècle mouvementé.

C’est dans une société dure et sans pitié que l’on voyage pendant plusieurs décennies : tout commence avec le vol d’un morceau de pain par Jean Valjean, puis ses nombreuses années de prison qui font de lui un fauve indomptable. miserables-7-kurokawaMais la haine laisse la place à d’autres sentiments et il entame, progressivement, un chemin de rédemption et d’altruisme. Il est ensuite l’observateur de la génération suivante, tout aussi miséreuse qu’il a pu l’être : chacun des personnages d’Hugo se retrouve confronté aux plus grandes des souffrances, aux plus abjects des êtres humains. Le lecteur fait face à l’injustice, la pauvreté, la faim, l’avidité, l’exploitation, le chantage, la mort, la lâcheté, l’oppression… Impossible de rester insensible à la lecture de ces destins meurtris qui recherchent – et qui trouvent, parfois – un peu de réconfort ou d’espoir.

L’accusation que semble dresser Hugo, et donc ARAI, envers la société pourra freiner l’immersion lors des premiers chapitres. On pourrait y voir du drame pour du drame dans un excès indigeste, mais il en est ainsi de l’œuvre originale, de la vision humaniste et sociétale de Victor Hugo, dont l’esprit finit en quelques volumes par emporter le lecteur. Cette porte d’entrée se révèle donc des plus prenantes et, se déroulant pour l’instant sur huit volumes, rend un bel hommage à l’original. Elle représente l’idée d’une France révoltée et aspirant à nouveau, quelques décennies après la Révolution, à une nouvelle équité.

Mais la libération ne se clame pas toujours dans la rue…

Dans Les Fleurs du Mal, c’est une délivrance de soi-même, en brisant si nécessaires plusieurs tabous, qui est le cœur de l’œuvre. Cette immense classique de la Poésie, d’ailleurs enseigné à certains de nos lycéens, est écrit comme Les Misérables dans la seconde moitié du 19e siècle, et traite des souffrances terrestres, du dégoût du mal et de soi-même, de l’expiation et du rêve d’un monde idéal. Impossible à transposer stricto sensu en manga, les 163 pièces des Fleurs du Mal ont donc été librement adaptées par Shuzo OSHIMI et publié dans l’hexagone aux éditions Ki-oon.  

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On va y suivre, pendant 11 volumes, le tourment  de Takao, élève banal, moyen et timide d’un collège tout aussi quelconque, perdu quelque part dans une ville de province japonaise. Sa seule échappatoire est la lecture, notamment la fascination qu’il voue à la fameuse œuvre de Charles Baudelaire. Sa passion lui permet de se différencier de ses camarades, ou du moins il l’espère, mais sans vraiment y parvenir. Celle qui se démarque du groupe c’est plutôt Sawa, assise derrière lui en classe, qui insulte tout ceux qui croisent son chemin : « Cafards ! », « Larves ! ».

Rien à voir avec la belle et si pure Nanako dont Takao est évidemment épris… Et c’est bien cet amour qui va lui faire commettre l’irréparable : quand il tombe nez à nez avec les vêtements de sports de Nanako, oubliés en classe, il s’emporte et s’enfuit avec ! Mais Sawa l’a vu commettre son forfait, et son visage s’éclaire : elle veut désormais tout mettre en œuvre pour prouver à Takao qu’un pervers se cache en lui et qu’il doit le libérer de ses chaines. Sawa n’hésite pas une seconde à faire chanter Takao, le menaçant de tout révéler sur son forfait !

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C’est donc l’histoire de cette torture et de cette souffrance de Takao, dégoutté de lui-même, qui espère un amour idéal et immaculé. Pour autant, dans une ironie qui rajoute une couche supplémentaire à son supplice, il va approcher la merveilleuse Nanako de plus en plus près, devenir son ami et plus encore au fil des pages, le transformant en équilibriste, suspendu sur un fil entre le paradis et l’enfer. Le récit transpose donc les tourments de Baudelaire dans une vie lycéenne tout ce qu’il y a de plus japonaise pour en briser de nombreux interdits.

De Hugo à Baudelaire, la littérature française du 19e siècle est donc, 150 ans plus tard, un fantastique outil pour que les mangakas nous parlent de révolte et de révolution, contre la société ou contre soi-même. Et, au bout de cet aller-retour France – Japon – France, c’est aussi une façon inédite et prenante de découvrir ces deux classiques de notre propre littérature !

Retrouvez les informations sur ces séries sur les sites des éditions Kurokawa et Ki-oon.

La Divine Comédie : une plongée hallucinante dans l’Enfer de Dante avec Gô Nagai

la-divine-comedie-go-nagai-1-blackboxC’est un sacré défi que s’est fixé Gô NAGAI en s’attaquant à La Divine Comédie.

Ce grand poème de Dante Alighieri plonge le lecteur en enfer, au purgatoire puis au paradis (chacune de ces trois parties étant composée de trente trois chants). Accompagné du poète Virgile, Dante doit voyager au cœur de l’horreur : les personnes qui ont péché sont soumises à des tortures d’autant plus violentes que leurs péchés sont grands (neuf cercles infernaux se succèdent). De nombreux personnages mythologiques et historiques sont présents en enfer. Lorsqu’ils finissent enfin par en sortir, Virgile et Dante arrivent au purgatoire, les mélodies douces remplacent les cris affreux. Ceux qui ont expié leurs fautes peuvent gravir la montagne et arriver aux portes du Paradis. C’est Béatrice, la muse de Dante, qui l’y reçoit. Les Saints y sont nombreux. C’est là que s’achève ce long périple.

Adapter cette œuvre titanesque en manga permet de mettre en images les horreurs écrites en poèmes. Le mangaka réussit à plonger le lecteur dans la noirceur, il suit fidèlement la succession d’événements, reproduit les scènes (la forêt, la rencontre avec Virgile, la plongée dans les cercles successifs des enfers). L’enfer est le corps du manga : deux volumes sur les trois lui sont consacrés. Le dernier ramenant le lecteur « à la lumière » avec le purgatoire puis le paradis.

Celui qui commence cette série doit savoir qu’il va voir la noirceur pendant des dizaines de pages, qu’il va se sentir mal, très mal, avec la sensation d’étouffer, la nausée face aux tortures dessinées avec une précision chirurgicale : corps abîmés, hurlements… De très mauvais moments à passer ! Le personnage de Dante voit tout cela, se questionne : est-ce justifié, les personnes punies ont-elles mérité cela ? Toutes ses interrogations apparaissent dans des textes qui accompagnent les images très puissantes. Peut-être que Dante aurait mérité des traits un peu plus humains, expressifs… il donne surtout une impression froide et fort peu agréable (ce qui ajoute au malaise).

dante-gustave-doréMais ce qui est impressionnant, c’est la qualité graphique exceptionnelle de ce manga ! Rarement on a vu une représentation aussi fine de l’enfer. Gô NAGAI s’est inspiré de l’œuvre de Gustave Doré et les ressemblances sont flagrantes. La même noirceur (comment peut-on créer autant de noirs, autant de profondeurs sinistres !), les mêmes myriades de personnages qui s’enchevêtrent, se mêlent, se suivent. Minos est effrayant, sa façon de s’enrouler autour de ses victimes glace le sang. Cerbère saute au visage du lecteur. Les serpents grouillent, on les entend siffler…

Une œuvre magistrale !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Les exemples que vous venez de lire, déjà nombreux, ne sont pourtant que la partie émergée de l’iceberg : on pourrait parler de l’amour des japonais pour les œuvres de Shakespeare (Le Requiem du roi des Roses)… Mais le manga aime aussi mettre en avant ses propres auteurs, dans l’Anthologie Yuko des éditions Delcourt, sur la littérature japonaise du début du 20e siècle, ou dans l’original Bungo Stray Dogs aux éditions Ototo, qui réunit les auteurs les plus célèbres et leur confère des pouvoirs extraordinaires pour des affrontements sans merci !

Et la liste est encore longue, vous avez donc l’embarras du choix pour conjuguer livres et mangas. Donnez-nous vos combos préférés en commentaires !

2 réponses

  1. 24 janvier 2017

    […]   […]

  2. 27 mars 2017

    […] (Dark Sweet Nightmare, Bloody Mary), un peu de shônen fantastique (Valkyria Chronicles III), et de nouvelles adaptations de classiques (Ainsi parlait Zarathoustra, Du contrat social, La théorie de la relativité, Orgueil et […]

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