[Japanime] Shortcoms et anime chinois : les outsiders de l’automne
On le sait depuis longtemps déjà, le milieu de l’animation japonaise connait une phase de transition dans son processus créatif. Outre le raccourcissement des saisons, passant de 26 à 13 épisodes et faisant grimper le nombre de séries par an, nous avons vu émerger des alternatives à la production traditionnelle. Des changements qui peuvent se décliner dans la forme, avec des épisodes très courts, mais aussi dans les circuits de production, avec des séries produites en dehors du Japon. Un phénomène que nous avons pu découvrir en France récemment, en particulier grâce à Crunchyroll.
Petit tour d’horizon de ce que l’automne dernier a pu nous proposer d’intéressant parmi ces nouveaux outsiders de la japanime.
La comédie au service de la culture
Comme nous l’avions déjà vu en 2013, alors que le phénomène des séries courtes commençait à nous parvenir, ce format est d’abord une réponse à une problématique budgétaire. Un épisode classique de 23 minutes coûte en moyenne plus de 100 000€ tous frais confondus au Japon, à multiplier par 13 ou anciennement 26 pour avoir une saison, ce qui est énorme. Pour amoindrir encore les frais, la délocalisation (en Chine, en Corée du Sud ou au Viet-Nam) des travaux mineurs est donc devenue monnaie courante.
Présents depuis longtemps au Japon, les animes au format court sont donc une résultante de cet enjeu financier (entre autres). Grands oubliés de par chez nous, seul Crunchyroll en propose depuis quelques années, et à quelques exceptions près, il s’agit toujours de séries au ton humoristique. Un gag n’ayant pas besoin de 20 minutes pour se mettre en place, le découpage des séries courtes est plutôt approprié. D’ailleurs, même les animes humoristiques au format classique, comme School Rumble, Nichijou ou Osomatsu-san, utilisent un système de « sketchs » au sein de leurs épisodes, comme dans leur format d’origine.
La saison automnale ayant vu la diffusion de plusieurs animes de 10 minutes ou moins, en voici quelques uns qui nous ont particulièrement plu.
Nobunaga no shinobi – Crunchyroll
Studio TMS Entertainment
Format : 3 minutes 30, 15 épisodes disponibles, série encore en cours de diffusion.
En 1555, tandis que les royaumes se livrent à des luttes intestines, un homme est porté par un rêve un peu fou : arriver à unifier le Japon par la force. Son nom : Oda NOBUNAGA. Admirant le but qu’il s’est fixé, une jeune apprentie ninja, Chidori, rêve à son tour d’assister celui qui deviendra le plus célèbre seigneur de guerre du Japon.
Adapté du Yonkoma du même nom, la série s’attarde sur l’ascension du seigneur de guerre et son lien avec les clans ninja, de manière chronologique. L’anime pourrait s’apparenter à un petit cours d’histoire illustré, car c’est bien les événements majeurs des guerres de l’ère Sengoku qui nous sont contés.
Si le fond repose sur l’humour, la forme tend vers le kawai, et on peut dire que le contrat est rempli de ce côté-là. Les personnages en SD sont très réussis, leur caractère transparait dans leur chara-design et celui-ci est très agréable.
Le contraste entre l’apparence de Chidori et son métier impitoyable de ninja est souvent l’occasion de tourner la situation au ridicule. Le tandem avec Tsuke, son side-kick, marche également très bien lorsque celui-ci contrebalance l’ignorance totale de Chidori sur les notions de la vie ordinaire. En somme un anime agréable à suivre qui vous tiendra en haleine soit par son graphisme, soit par sa vulgarisation de l’histoire du Japon.
Sengoku Choju Giga – Crunchyroll
Studio ILCA
Format : 3 minutes, 13 épisodes disponibles, série encore en cours de diffusion.
L’histoire des plus célèbres seigneurs de guerre du Japon de l’ère Sengoku (entre le XVe et le XVIe siècle), racontée à travers des animaux.
Encore une fois, c’est la période d’unification du Japon qui nous est narrée. Cette période extrêmement riche en batailles et personnalités « culte » est une source intarissable pour les scénaristes japonais. Cependant, contrairement à Nobunaga no shinobi, l’anime nous relate des anecdotes relatives aux différentes personnalités de l’ère Sengoku, sans chronologie précise. Nous y apprendrons par exemple le rapport qu’entretient Toyotomi HIDEYOSHI avec les sandales de Nobunaga…
La principale originalité de l’œuvre tient dans son aspect graphique. En effet, les épisodes prennent l’apparence d’emaki japonais, ces longs rouleaux peints dont l’âge d’or remonte au XII siècle qui racontent une histoire à mesure qu’on les déroule horizontalement. Le studio Ghibli avait justement produit une courte vidéo sur ce principe en 2015, en rendant hommage à l’emaki Chōjū-jinbutsu-giga, pour une publicité.
Sengoku Choju Giga respecte donc tous ces principes : le sens de lecture avec un scrolling horizontal, la dérision, les teintes sépia du papier, et surtout le chara design dessiné à l’encre de Chine, reprenant les codes visuels typiques de l’époque ainsi que des personnages anthropomorphes, Chogu Giga signifiant « caricatures d’animaux ».
Tous les protagonistes sont donc grimés sous les traits d’animaux et rien n’est fait au hasard. Si certaines représentations sont le reflet de leur personnalité, d’autres peuvent faire référence aux armoiries du clan ou à un surnom. Ainsi le grand Oda NOBUNAGA est un pigeon râleur, tyrannique et capricieux, tandis que Hideyoshi est un singe, symbole de sa ruse pour gravir les échelons aristocratiques.
S’il faut avoir quelques notions globales de l’histoire du Japon et de ses grands chefs pour en saisir toutes les subtilités, cela reste malgré tout tout public. Chaque épisode est l’occasion de développer une anecdote, on peut donc facilement recoller les morceaux sans être perdu.
Notons enfin le générique de fin totalement délirant façon Euro Dance / Para Para où chaque seiyuu ayant participé à l’épisode se retrouve croqué sous les traits de l’animal qu’il double.
Miss Bernard said – Crunchyroll
Studio Creators in Pack
Format : 3 minutes 30, 12 épisodes disponibles, série encore en cours de diffusion.
Sawako Machida se fait appeler « Miss Bernard » et veut passer pour une férue de littérature. En réalité, elle est plutôt paresseuse et ne lit quasiment jamais ! Pourtant, elle passe son temps à la bibliothèque et pense qu’elle peut apprendre ses classiques sans effort, simplement en fréquentant ses camarades de classe.
Voilà une série qui parlera à tous les férus de livres. Vous êtes du genre à vous énerver de voir des adaptations ratées au cinéma, et à rappeler à votre entourage que « le livre est mieux ! » ? Au contraire, les gens qui ont toujours un élément à critiquer sans faire la part des choses vous tapent sur les nerfs ? Quel que soit votre profil, vous risquez de vous retrouver dans un des personnages de Miss Bernard said.
Les protagonistes de la série cristallisent ainsi les différents comportement que l’on retrouve dans les milieux culturels : celui qui spoile, celui qui parle d’un livre tel un expert alors qu’il n’a fait que lire des avis dessus, le fan absolu d’un auteur qui part dans des monologues enflammés dès qu’on aborde son sujet fétiche… tout y est.
Un anime qui aborde finalement assez intelligemment tous ces travers d’aujourd’hui auxquels nous sommes confrontés d’une manière ou d’une autre, et ce avec beaucoup d’humour.
De la japanime pas très japonaise
En plus de la poignée de séries courtes désormais disponibles chaque saison, Crunchyroll nous a également permis de découvrir un autre phénomène, relativement récent cette fois : la production d’anime par la Chine. En effet, comme nous l’avons évoqué plus haut, le Japon délocalise depuis longtemps maintenant certaines étapes dans la production de l’animation de ces séries animées. Et il semblerait que cela ait donné des idées à certains sous-traitants.
Ainsi au début de chaque épisode de To be Hero et Cheating Craft, vous pourrez voir un petit jingle de Haoliners Animation, la compagnie produisant ces séries. Si vous avez suivi Hitori no Shita: The Outcast la saison dernière, celle-ci ne devrait pas vous être inconnue. En effet, derrière cette structure, se cache l’ambition de la Chine de produire sa propre animation, notamment pour adapter ses manhua. Haoliners, qui a produit près de la moitié des séries d’animation 2D en Chine depuis 2013, a ainsi développé une branche de sa société au Japon sous l’entité du studio Emon. Si les œuvres et une partie de l’équipe créatrice sont donc d’origine chinoise, le staff final lui, est essentiellement japonais.
Pour en revenir au petit générique d’Emon Haoliners, des séquences animées empruntent clairement aux codes visuels de Koji MORIMOTO, ou encore Range MURATA. Ce sont des artistes adulés par nombres de fans qui aiment leurs univers denses et leurs talents en illustration ou en animation. Voir cette griffe dans un projet a donc de quoi mettre plus d’un otaku en ébullition !
Cependant pour l’instant pas de délire steampunk en perspective, cette vitrine fait surtout figure de poudre aux yeux. S’il est louable que la Chine se mette à faire des animes, force est de constater que beaucoup de titres souffrent encore de lacunes. Animation d’un autre âge, histoire vue et revue, character design limité à un patchwork de ce qui plait en ce moment… Des séries comme Huyao Xiao Hongniang (Fox Spirit Matchmaker), Bloodivores, Spiritpact ou Hitori no Shita: The Outcast ne brillent pas par leur originalité et manquent cruellement d’animateurs confirmés (si vous êtes de ceux qui ont eu quelque chose à redire à l’épisode 5 de Dragon Ball Super, passez votre chemin). Des défauts certainement dû à un manque d’expérience des équipes d’animation.
En effet, les équipes de productions nipponnes comptent toujours beaucoup de membres, notamment tout un éventail de superviseurs (un animateur clé pour valider le travail des intervallistes, un directeur d’épisode, un superviseur d’animation, etc). Ce système hiérarchique contrôle le travail fait par chaque secteur, permettant ainsi d’élever la qualité globale, mais surtout d’inclure des animateurs débutants dans le staff, reprenant leurs erreurs le temps qu’ils soient parfaitement formés. Lorsqu’une production comporte peu de personnel expérimenté pour gérer les novices, la qualité s’en ressent donc irrémédiablement.
Dans cet arrivage d’animes qui fera donc tiquer plus d’un habitué au standard nippon, nous retrouvons cependant deux séries qui sortent leur épingle du jeu.
To be Hero – Crunchyroll
Studio Emon Haoliners
Format : 11 minutes, terminé en 12 épisodes.
Il est beau, divorcé et vit avec sa fille adolescente. Notre « héros » est cependant un mauvais père qui travaille comme concepteur… de lunettes pour WC ! Un jour, alors qu’il est sur le trône, il est aspiré par les toilettes et se voit confier l’importante mission de sauver la planète. Mais le prix à payer pour devenir un superhéros est étonnant : il doit devenir un homme très laid ! Il mène désormais un drôle de combat pour protéger la Terre et sa fille…
To be Hero est une série humoristique assez délirante dans son concept, ce qui permet aux défauts cités plus haut de ne pas venir peser sur le visionnage. Le design général est en raccord avec le synopsis : décalé, qui ne se prend pas au sérieux, et presque expérimental. Comme un Mob Psycho 100 qui use et abuse des couleurs vives et des angles de vue alambiqués, To be Hero apporte une touche graphique qui s’affranchit des notions de beauté. Le parti pris étant d’aller à fond dans le délire du résumé, autant dire que si vous n’accrochez pas au premier épisode cela risque d’être une corvée de continuer.
À noter qu’une version chinoise de l’opening existe, mais n’a malheureusement pas été proposée en générique alternatif.
Cheating craft – Crunchyroll
Studio Emon Haoliners
Format : 12 minutes 30, terminé en 12 épisodes.
Dans un monde où la place de chacun dans la société est déterminée dès l’enfance, seuls les meilleurs peuvent accéder au bonheur. Lors d’un l’examen décisif, s’affrontent ceux qui ont choisi d’étudier (classe L / Learning) et ceux qui ont opté pour la triche (classe C / Cheating). Mumei Shokatsu (classe C) et Koi Oh (classe L) se retrouvent le jour des épreuves et devront se résoudre à s’affronter… ou à s’unir.
Assez semblable dans l’idée à Baka to Test to Shōkanjū, nous retrouvons ici un univers composé de détenteurs de pouvoirs qui vont user de toutes les stratégies possibles pour arriver à leurs fins : réussir l’examen final. Les duels en salle de classe sont souvent matérialisés sur des terrains de combats, de quoi rajouter de la surenchère à ces joutes improbables.
Adaptation d’un light novel, voici certainement parmi les séries issues de studios chinois celle qui se rapproche le plus des standards nippons. Le chara-design ainsi que l’utilisation des techniques propres à chaque personnage sont dignes des derniers shônens à la mode et devraient donc plaire aux aficionados du genre.
Pour conclure, que pouvons-nous dire sur cette tendance d’animes produits par la Chine ? Cela peut être un tremplin en faveur de projets qui n’auraient pas pu voir le jour au Japon à cause d’un scénario qui s’éloigne trop des normes japonaises. C’est aussi une bonne occasion pour de jeunes animateurs de se faire la main.
Les séries courtes dans leur ensemble sont quant à elles un formidable moyen d’expression tant sur la technique que sur les scénarios.