[Découverte] Bashô, poète voyageur et Seigetsu, poète errant …
Journal du Japon vous emmène à la découverte de deux grands poètes japonais : Bashô, qu’on ne présente plus, probablement le plus connu des poètes japonais au Japon mais également en occident, et Seigetsu, beaucoup moins connu, mais dont les haïkus illustrent sa vie d’errance dans une nature majestueuse.
Bashô : Journaux de voyage…
Les éditions Verdier ont eu la très bonne idée de publier en un seul ouvrage l’intégralité des sept journaux de voyage de Bashô, présentés et traduits par René Sieffert, un des plus éminents connaisseurs de la littérature japonaise. Ce sont des journaux en prose, des notes prises au fil de ses déplacements sur ce qu’il voit, les personnes qu’il rencontre, les lieux connus qu’il visite. Et à l’intérieur de ce récit se trouvent des haïkus qui s’y intègrent parfaitement. Cela donne un ensemble cohérent et très agréable à lire. La prose et la poésie se complètent, et les haïkus prennent tout leur sens et toute leur saveur au milieu du récit.
L’introduction permet de retracer l’histoire de la poésie japonaise, la vie de Bashô (né en 1643, qui décide à trente-huit ans de se retirer dans son ermitage pour se consacrer à la méditation, l’étude, la poésie et entrecoupe sa retraite de nombreux voyages à travers différentes provinces japonaises, accompagné d’amis, de disciples), et de nécessaires explications sur les différents voyages et notes qui en découlent (où il va, pourquoi, avec qui). Des clés de lecture permettent de comprendre certaines références présentes dans les journaux (les sites connus, les références artistiques au Dit des Heiké par exemple, au Dit du Genji, à des pièces du théâtre Nô). Une introduction très complète pour bien aborder la lecture des carnets qui suivent.
Le premier récit s’intitule Dussent blanchir mes os … Notes de voyage. Entre rencontre d’amis, de connaissances, impressions sur les choses vues, c’est avant tout à son pays natal, à son frère et à sa mère morte qu’il consacre de superbes lignes.
Au début de la lune longue, revenu au pays natal, je trouve les carex du jardin de l’aile nord desséchés par le gel, si bien qu’à présent il ne reste plus même la trace [de ma mère]. Tout est transformé, les tempes de mon frère ont blanchi, les rides barrent ses sourcils, mais la vie du moins nous reste, constatons-nous …
Dans Notes d’un voyage à Kashima, il décide d’aller voir la lune.
Ceux qui m’accompagnent sont deux, l’un est un samouraï de la vague, l’autre un moine qui suit les eaux et les nuages.
Mais la lune a décidé de ne pas se montrer … Cela n’empêche pas ces compères d’écrire de très beaux haïkus.
Le carnet de la hotte fait l’éloge de la nature, des fleurs, des pêcheurs, car en matière d’art, il convient de suivre la nature créatrice et de faire des quatre saisons ses compagnes.
A profusion
fleurs de corète se répandent
bruit de la cascade
Le jour sur les fleurs
décline et sombre déjà
l’ombre des cèdres
Il est encore question d’aller voir la lune dans les Notes d’un voyage à Sarashina. C’est donc à l’automne avec un ami qu’il s’engage dans les montagnes escarpées, les lacets, souffre de vertiges sur un pont suspendu, mais aime boire le saké dans une coupe au décor maladroit à la poudre d’or.
Les gens de la ville jugeraient pareil objet de mauvais goût et n’y toucheraient même pas, mais j’y prends un plaisir imprévu, autant que si elles étaient coupes de céladon ou de jade, car elles s’accordent à ces lieux.
Le voyage est plus long dans La sente étroite du bout-du-monde. Bashô, possédé par le dieu de la bougeotte, laisse sa demeure à un ami et s’en va accompagné de Sora. Reçu chez des amis ou dormant dans une cabane dans laquelle pénètre la pluie, il écrit un poème sur un pilier, en offre un autre à un palefrenier. Il va voir les saules d’un poème célèbre, la barrière de Shirakawa où les fleurs sont comme de la neige, et se rend à Matsushima, qui est bien pour lui le plus beau site du Japon. Lorsque Sora souffre du ventre et doit retourner dans sa famille, il sent la séparation qui pèse.
La tristesse de qui part, le dépit de qui reste, sont ceux de l’oiseau qui, privé de son compagnon, entre dans les nuages.
Le journal de Saga raconte la paisible aisance dans laquelle se trouve Bashô en résidence dans la villa d’un ami. Les nuits à bavarder, les nuits d’insomnie, les lettres d’amis et de disciples. Des moments d’apaisement.
Pour moi qui ne suis
bon à rien et somnolent
rossignol perd sa peine
Le livre se termine par les Notes de la demeure d’illusion. Le poète est devenu un homme des montagnes et clame son amour de la solitude, se réjouit de son choix de vie.
Le livre est un indispensable pour connaître l’oeuvre et l’homme, ses perceptions de la nature comme ses sentiments profonds.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Jours d’errance, 109 haïkus de Seigetsu
C’est à un petit éditeur, les Editions des lisières, que les lecteurs doivent la découverte de ce poète errant qu’est Seigetsu. Tout démarre avec une rencontre, celle du producteur d’un film sur le poète avec un traducteur et un amoureux de cet auteur méconnu. Makoto Kemmoku et Patrick Blanche accompagnent le producteur et traduisent ses haïkus, permettant ainsi de faire connaître cette oeuvre aux lecteurs français. Les haïkus sont présentés dans une édition bilingue (japonais, rômaji et français). Leur traduction respecte l’esprit du haïku plus que la lettre, et permet au lecteur d’apprécier le moment fugace saisi dans chaque poème.
Les 109 haïkus sont précédés d’une biographie, bien que l’on sache peu de choses de ce poète errant. Il est né en 1822 à Nagaoka, dans la préfecture de Niigata aux hivers très froids. Guerrier puis vagabond, il arrive à Ina, pays de montagnes, région agricole où l’on élève les vers à soie. La nature majestueuse captive le poète qui décide de s’y installer. Entretenu par les propriétaires terriens aisés en échange de poèmes, vivant dans des ermitages ou des abris abandonnés, il vit chichement mais profite pleinement de la nature … et du saké ! Il est affable, courtois, érudit, admire Bashô (l’oeuvre qu’il connaît par coeur et dont il calligraphie les textes avec beaucoup de raffinement, mais également l’homme). Malgré la guerre civile qui sévit à Nagaoka (shogunat contre armées gouvernementales de l’empereur) et les conseils de ses amis qui l’incitent à se réinstaller dans son pays natal (le vagabondage est désormais interdit), Seigetsu reste dans la vallée d’Ina (il serait retourner discrètement au pays pour les funérailles de sa mère). Mais les portes se ferment petit à petit, le poète devenant trop encombrant (toujours le nourrir, le fournir en saké qu’il consomme en grande quantité). Lorsqu’il est retrouvé étendu au bord d’une rizière, c’est dans la chaumière d’un ami (avec un beau châtaignier) qu’il finit ses jours. Il meurt en 1887. Santôka, un autre poète voyageur, sera un de ses plus fervents admirateurs.
Les 109 haïkus sont présentés classés par saison, comme cela se fait classiquement dans les recueils au Japon.
Le printemps est pour ce vagabond la saison de toutes les fleurs.
Moi le vagabond
suis aussi le compagnon
de ces mille fleurs
C’est bien sûr la saison des cerisiers qui fleurissent, symbole de l’éphémère … comme le saké.
Journée de printemps
Ephémère lui aussi
ce quart de saké
Le lecteur y retrouve la traditionnelle fête des poupées, mais également des éléments plus spécifiques à la région : l’élevage des vers à soie.
Mille vers à soie
qui se bousculent l’un l’autre
en parfaite entente
L’été fait la part belle à l’eau, aux lucioles, aux nuages … et aux sandales du poète qui s’usent !
Oh volubilis …
Mes sandales quoique solides
finissent par s’user
L’automne arrive avec la lune, les érables, les châtaignes, mais aussi le froid.
Ce froid du matin …
C’est la compassion d’autrui
qui me garde en vie
L’hiver le rend philosophe.
Vie sans lendemain
En cet îlot de beaux jours
on fête Bashô
La route du Nord,
mon errance est ma maison
Lointain feu de bois
Au Nouvel An (qui est au Japon une saison à part entière, en particulier en poésie), sa vie lui pèse un peu trop.
Même aux jours de fête
je dépends toujours des autres
Nouvel An d’errance
Une dernière partie offre aux lecteurs des poèmes « hors saison » dans lesquels la mort rôde.
A l’insu de tous
sur le chemin je recueille
une tête de mort
Un auteur à découvrir, un livre de grande qualité chez un éditeur à suivre !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
N’hésitez plus désormais, et partez en voyage avec ces deux grands poètes, ces deux regards grand ouverts sur le monde et sa beauté !
1 réponse
[…] passé de découvertes. Un des premiers livres que j’ai lus dans le domaine japonais, c’était Les Journaux de voyage de Bashō traduits par René Sieffert, un souvenir […]