[Cinéma] EXTE : Les cheveux de la vengeance
Si vous êtes coutumier des colonnes cinéma de ce site, vous n’êtes pas sans ignorer que nombre de nos rédacteurs affectionnent grandement le cinéma de Sion SONO, un réalisateur – et même artiste à part entière – définitivement punk.
Si très peu de ses films bénéficient de sorties cinéma dignes de ce nom, le réalisateur jouit cependant d’une réelle notoriété chez nous et est un habitué des festivals. Beaucoup des films de ce stakhanoviste sont maintenant distribués en DVD et Bluray par HK et Metropolitan.
Aujourd’hui, c’est un film un peu oublié qui arrive enfin dans nos contrées avec 10 ans de retard : EXTE.
Rien que pour vos cheveux : Transcender le film de commande
Nous sommes en 2007. Mis sur le devant de la scène depuis Suicide Club en 2001, Sion se voit pour la première fois proposer un film de commande. Il ne se contente cependant pas d’encaisser son chèque et de torcher un film, vite fait mal fait. Non, EXTE est un film de Sion SONO de bout en bout. Il en a, comme à son habitude, écrit le scénario, et du thème même du film à son exécution, on retrouve sa patte.
Ici, l’auteur pose son empreinte dans le genre du film d’horreur et plus spécifiquement du film de fantôme japonais, très en vogue depuis Ring, pour en détourner un des motifs emblématiques : la figure fantomatique vengeresse féminine aux longs cheveux. Un motif qui, bien avant le cinéma, fait partie intégrante du folklore japonais.
Ici, c’est simplement dans les cheveux même d’une femme ayant subie les pires horreurs que s’incarne le désir de vengeance.
Le réalisateur choisi pour cela un sujet qui peut paraître bien terre-à-terre, voire ridicule sur le papier : les extensions capillaires.
Petit résumé : la douane découvre le corps mutilé d’une jeune femme dans un container. Caché au milieu d’une nuée de cheveux qui ont même colonisé l’intérieur du cadavre, la personne en question semble avoir subi l’horreur d’un trafic d’organe alors qu’elle était encore vivante. Un employé de la morgue, fétichiste capillaire (incarné par Ren OSUGI) dérobe le cadavre lorsqu’il se rend compte que les cheveux en questions continuent de pousser, comme animés d’un irrépressible désir de vengeance. Il va alors commencer à les distribuer comme extensions capillaires dans les salons environnants. C’est justement dans un de ces salons (du nom de Gilles De Rais !) que Yûko (Chiaki KURIYAMA, alors en pleine hype post-Battle Royal et Kill Bill), une innocente jeune fille à la longue chevelure aussi parfaite que son cœur est pur, exerce sa profonde passion pour la capilliculture …
Parce qu’elles le valent bien : Les cheveux de la vengeances
C’est donc sur ce postulat de départ relativement absurde s’il en est – des extensions capillaires qui tuent – que Sion SONO bâtit son film, poussant ainsi au bout du bout le concept de la J-horror (après les cassettes vidéos et les téléphones portables hantés, les cheveux possédés !). Il le fait avec malice en détournant habilement un motif récurent chez les spectres féminins du folklore japonais : la longue chevelure, elle même devenue synonyme de fantôme assoiffé de vengeance (Sadako n’était que la réactualisation moderne de cette figure folklorique classique).
Mais il n’en reste pas là, puisqu’il utilise ce motif du cheveux aussi pour son autre valeur symbolique : la chevelure, incarnation de la féminité voire de la dignité humaine. Subir une tonte du crâne a toujours été vu comme un acte fort et même une agression violente lorsqu’elle est subie, que ce soit les humiliations lors de la libération, la perte de cheveux chez les personnes atteintes de cancer, le crane de la chanteuse irlandaise Sinead O’CONOR rasé en signe de protestation politique, où plus récemment, la tonsure infligée à Minami MINEGISHI des AKB48 en signe de contrition. Et c’est aussi ce qu’a vécu la pauvre victime dont le cadavre est le déclencheur de l’histoire : tondu avant de se voir disséquée vivante, totalement consciente de l’horreur qu’elle était en train de vivre. C’est ce traumatisme, ce viol qui empêche ce cadavre de totalement mourir, puis voit son désir de vengeance incarné dans ses cheveux qui continuent de pousser de manière incontrôlable. Pire, ils saignent littéralement quand on les coupe.
Et justement, ce thème de la maltraitance est véritablement au centre d’EXTE ; aussi représenté dans le film à travers le personnage de Mami, la nièce de Chiaki KURIYAMA, et de sa mère abusive, autre vecteur d’horreur cette fois bien réel et traitée sur un ton résolument plus sérieux, exempt de comique. Les plans glaçants où la silhouette de celle qui est le véritable monstre du film (avec dans une certaine mesure le personnage du fou Yamazaki) ne sont d’ailleurs pas sans évoquer The Shinning.
The SONO Horror Picture Show : le grotesque macabre chez Sion SONO
A la découverte de ce thème, on pourrait présager un film sombre et lourd, mais c’est mal connaître le bonhomme ! Car si ce thème de la maltraitance est traité avec sérieux et se révèle être le moteur des véritables moments d’horreur que recèlent le film, on retrouve aussi tout le ton décalé, le goût pour l’absurde et le grotesque macabre qu’affectionne le réalisateur. On est avant tout dans le grand-guignol, l’horreur cartoonesque à souhait, plus proche d’Evil Dead 2 que de Ring.
Ce goût pour le grotesque se voit personnifier par Yamazaki, interprété avec jubilation par Ren OSUGI. Ce personnage de fou totalement ridicule mais pas moins dangereux craque avec délectation l’allumette qui mettra le feu aux poudrse, déclenchant ainsi les horreurs à venir dans la joie et la bonne humeur. S’il semble inoffensif, il est en réalité bien conscient de ses actes, qui trahissent une profonde haine. Il faut le voir, hurler « ils poussent ! Ils poussent ! » dans un hommage à Frankenstein, ou chanter constamment à tue tête « my hair, my hair » (présente dans les bonus du dvd), rengaine ridicule et horripilante à souhait comme les affectionnent Sion SONO. Il constitue aussi bien une source de rire qu’un vecteur de malaise.
SONO nourrit aussi le décalage avec une scène de présentation de sa personnage principale et de son environnement que n’aurait pas renié Godard, Chiaki et ses camarades s’adressant directement à la caméra et détaillant leurs propres actions comme si elles lisaient le scénario, didascalies incluses.
Quand à la mise en scène des séquences de meurtres, si les effets spéciaux accusent un peu leur age sur certains plans, ils sont généralement bien intégrés et servent l’aspect cartoonesque surréaliste du film, donnant à son horreur un aspect organique vintage fort bienvenue.
Un blu-ray estampillé « Horreur Capillaire vintage »
Comme on l’a déjà souligné, le film date de 2007, un certain age qui implique qu’il a été tourné en pellicule. D’où l’importance du transfert HD pas toujours évident pour les vieux titres. Ici, justement, on évite l’erreur souvent faite de gommer le grain naturel inhérent à ce type de tournage, qui est bien présent. À ce titre, le transfert est parfait. Éventuellement se posera la question de l’intensité des noirs, un peu délavés, mais cela s’accorde bien avec la photo générale du film et reflète donc probablement le travail d’étalonnage effectué à l’époque.
Les bonus datant de la sortie cinéma du film sont aussi bien présents : vidéo de la conférence précédent l’avant-première, événement dans un café décoré aux couleurs du film, clip de la chanson du film, une rencontre avec Chiaki KURIYAMA et des scènes coupées … Si on regrette de ne pas avoir de making-of ou documentaire plus détaillé, cela reste sympathique et permet aussi de glaner quelques informations via les courts extraits de conférences présentées.
On peut donc rendre grâce à HK et Metropolitan (qui avaient déjà sorti le fantastique Love Exposure du même réalisateur) d’exhumer cette petite pépite méconnue de Sion SONO.
Le film dépasse son postulat de base de film de j-horreur trash pour aborder d’autres thématiques plus sérieuses. Mais il le fait via le goût pour l’absurde et la folie du réalisateur, ce qui donne à son film une dimension surréaliste et cartoonesque (voire comédie) renforcée par le style des effets spéciaux. Sous ses atours de « petit film de commande insolite », Exte est donc en réalité un véritable film de Sion SONO qui ravira les aficionados du réalisateur comme les amateurs d’horreur comico-grotesque à la Evil Dead 2 ou encore La Main Qui Tue.
EXTE est disponible en Bluray et DVD chez HK vidéo et Metropolitan Filmexport depuis le 12 octobre 2016