Les polars de l’automne : de très bonnes feuilles !
Quoi de mieux que de se plonger dans un bon roman policier quand la nuit tombe… Journal du Japon vous propose une sélection palpitante… trois livres que vous aurez du mal à lâcher !
Gasa-Gasa Girl de Naomi Hirahara : un jardinier à New York
Voici le deuxième volume de l’histoire de Mas Arai, un jardinier kibei (natifs d’Amérique ayant grandi au Japon avant de retourner s’installer dans leur pays natal) que le lecteur a pu découvrir dans La malédiction d’un jardinier kibei. Mais rassurez-vous, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier volume pour plonger dans ce nouvel opus.
Cette fois-ci, l’histoire se déroule non pas en Californie où vit Mas, mais à New York où vit sa fille Mari. Mari est partie s’y installer avec Lloyd, son mari jardinier lui aussi. Ils ont désormais un fils, Takeo, trois mois et une santé fragile. Quand Mari (qui ne communique pratiquement plus avec son père, le décès de sa mère les ayant petit à petit éloignés l’un de l’autre) appelle celui-ci pour lui dire qu’elle a besoin de lui, Mas arrive immédiatement. Que se passe-t-il ? Takeo va-t-il très mal ? Le vieux jardinier (70 ans) a à peine le temps de prendre ses marques dans cette ville « gasa gasa » (toujours en mouvement, comme sa fille depuis qu’elle est petite !) qu’il découvre un cadavre dans le bassin du jardin de la propriété d’un riche homme d’affaire (qui avait créé une fondation pour restaurer un vieux jardin japonais à l’abandon). Très vite la famille de Mas se trouve en plein cœur de l’enquête policière (Lloyd travaillait pour ce millionnaire désormais mort, il devait l’aider à restaurer la beauté de ce jardin). Mas décide alors de mener sa propre enquête car il sent bien que certains points échappent aux policier. Il a l’habitude de repérer tous les détails, de sentir quand quelque chose cloche. Avec l’aide de Tug, son ami de toujours, qui répare aussi bien les objets que les gens, Mas suivra la piste d’une fleur de gardénia et remontera jusqu’au passé lointain d’un autre riche homme d’affaire, de ses enfants, de ses domestiques … et jusqu’aux camps d’enfermement où furent placés de nombreux japonais américains pendant la guerre. Il prendra beaucoup de risques pour sauver sa famille.
Mas est un personnage très attachant, le lecteur « l’entend surtout penser », car il est d’une retenue toute japonaise lorsqu’il s’exprime, même envers sa fille qu’il aimerait serrer dans ses bras dans les moments difficiles. Ses pensées sont parfois poétiques, parfois drôles, et on y trouve beaucoup de mots japonais. Le lecteur découvre avec lui une ville à la fois hyper active (le métro l’angoisse la première fois qu’il doit le prendre, il se sent perdu), mais aussi le quartier où vit sa fille et où tous les habitants se connaissent et s’entraident. Mas apprend également à apprécier son gendre et à profiter des moments précieux que la vie leur offre, malgré les gros soucis rencontrés pendant leur enquête (poursuites, menaces avec armes etc.).
C’est un roman où la violence, si elle est bien présente, est passée par le filtre des impressions de Mas, une esthétique très japonaise s’en dégage. Même dans la description des personnages, menaçants, effrayants ou ridicules : « Worm Lewis ressemblait à un bonhomme de neige humain – tout chez lui était parfaitement rond : son ventre, sa tête, ses yeux verts et même les boutons argentés de sa veste. Mais au lieu d’arborer un sourire en morceaux de charbon et de fumer la pipe, il esquissait une moue boudeuse, un cigare éteint coincé entre les lèvres. » Ou encore : « Anna Grady portait une robe noire moulante qui laissait apparaître une partie de ses chichi. A son âge, ses seins auraient dû lui tomber jusqu’au heso, le nombril. Alors, soit cette femme portait des sous-vêtements ultra-perfectionnés, soit elle était très bien conservée. » Les mots japonais en italique dans le texte donnent un charme particulier à ces romans policiers très bien ficelés et qui tiennent le lecteur en haleine jusqu’à la fin ! Car là est tout l’art de Naomi HIRAHARA, dresser une galerie de personnages assez importante et laisser planer le doute sur chacun avant de resserrer l’étau petit à petit, mais pas de façon évidente et linéaire. Car beaucoup d’hommes et de femmes rencontrés par Mas ont des choses à cacher !
N’hésitez pas à rejoindre Mas, ses doutes, ses douleurs (qu’il tait), ses angoisses, ses cauchemars venus de son enfance à Hiroshima (où il était lors de l’explosion de la bombe), mais aussi ses chouettes amis, sa famille attachante … Vous aurez l’impression de découvrir un ami, et vous ne voudrez plus le quitter !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Intrigue autour d’une fleur …
Les romans policiers de Keigo HIGASHINO sont toujours admirablement construits et le lecteur est promené de page en page, d’énigme en énigme jusqu’à la découverte finale !
Cette fois-ci, le livre démarre avec deux événements a priori sans aucun rapport entre eux : un massacre au sabre dans une rue d’un quartier résidentiel, et une rencontre entre deux collégiens, Sôta et Takami un été au marché aux ipomées (une famille de fleurs), amour naissant brusquement interrompu sans explication par Takami.
L’intrigue véritable démarre ensuite. Le cousin de Lino, Naoto, a mis fin à ses jours alors que son groupe de musiciens commençait à connaître un beau succès. Lino se rapproche alors de son grand-père, lui rend visite, admire avec lui les nombreuses fleurs qu’il cultive et lui crée même un blog pour qu’il puisse partager sa passion. Mais il refuse qu’elle poste des photos d’une mystérieuse fleur jaune. Lorsqu’elle découvre son grand-père mort et qu’elle remarque que le pot de cette fleur a disparu, elle décide de mener l’enquête en commençant par mettre une photo de celle-ci sur le blog. Elle est vite contactée par un homme haut fonctionnaire de police qui lui dit de supprimer la photo et de lui donner cette fleur. Il lui apprend que cette fleur n’existe pas à l’état naturel.
Lino sera accompagnée pendant son enquête par le jeune demi-frère du haut fonctionnaire, Sôta, curieux de savoir ce qu’il lui cache. Ils iront de laboratoire en ferme dans la campagne, de bibliothèque en concert de musique. Un duo, une amitié naissante pour ces deux jeunes personnes en quête d’avenir : Lino a été une grande nageuse mais sa carrière qui aurait pu la mener aux Jeux Olympiques s’est brusquement arrêtée lorsqu’elle a été prise de vertige en pleine course et Sôta étudie le nucléaire et se demande quel est son avenir après la catastrophe de Fukushima.
En parallèle, l’agent de police chargé de l’enquête avance également pas à pas. Il a une dette envers ce grand-père qui a disculpé son fils dans une affaire de vol. Séparé de sa femme, ne voyant plus son fils, c’est l’occasion pour lui de retrouver un peu d’estime auprès de ce jeune homme qu’il n’a pas vu grandir.
Les personnages sont touchants, avec leurs doutes, leurs angoisses, mais aussi leur sensibilité, leur intelligence. Le lecteur avance dans le brouillard de l’enquête avec eux, essaie de comprendre le rôle de chacun, émet des hypothèses … et tout s’éclaircit à la fin de façon magistrale.
Le thème abordé est lui aussi déroutant : la botanique, les biotechnologies, les manipulations génétiques, les couleurs que l’on peut donner artificiellement à une fleur. Une fois de plus, Keigo HIGASHINO s’est très bien documenté pour fournir des éléments crédibles et détaillés sur un domaine scientifique (il a en effet commencé par travailler comme ingénieur et donne toujours à ses romans une dimension scientifique passionnante).
Un roman policier original, des personnages attachants et une intrigue finement ciselée pour un grand plaisir de lecture !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Une enquête entre réalité et Pays des Merveilles !
La toute jeune maison des Editions d’Est en Ouest propose cet automne un deuxième roman policier très déroutant : des meurtres ont lieu à la fois dans une université bien réelle et dans le Pays des Merveilles. Et si ces mondes étaient liés ?
Tout commence par le meurtre d’Humpty Dumpty : il est retrouvé mort, sa coquille en mille morceaux au pied de son mur, sur lequel des traces d’huile sont retrouvées. A l’université, c’est Ôji, un étudiant un peu rond qui est retrouvé mort en bas d’un bâtiment, il serait tombé accidentellement.
Alice est accusée du meurtre au Pays des Merveilles. En parallèle, Ari, une étudiante qui rêve régulièrement de ce Pays, décide de mener l’enquête. Malheureusement pour elles deux, les morts se succèdent dans les deux mondes et la simple coïncidence n’est plus crédible.
Mais il est difficile d’avancer car au Pays des Merveilles, « les gens et les animaux y sont tous soit idiots soit fous à lier, donc il semble plus simple d’y commettre un meurtre ». Les dialogues surréalistes s’enchaînent en effet à un rythme effréné et le lecteur est emporté dans cette folie. En effet, quand le Chapelier fou est chargé de l’enquête accompagné du Lièvre de mars, la tâche s’avère ardue ! Certaines choses qui semblent claires à Alice sont en réalité plus complexes, ceux qui semblent détenir une vérité ou au contraire être totalement à côté de la plaque ne sont pas aussi « simples » qu’ils le paraissent. Dans un monde de fous, il ne faut pas juger trop vite !
Ce « polar fantastique » est totalement déroutant. Certes il y a de nombreux meurtres, beaucoup de sang au Pays des Merveilles, des scènes parfois totalement baignées de rouge … mais on est au Pays des Merveilles, alors ce n’est pas pareil pour le lecteur. Le lien entre les deux pays est difficile à comprendre, il semble y avoir des avatars dans chaque monde, mais qui est qui ?
L’auteur maîtrise parfaitement les ouvrages de Lewis Carroll et le lecteur y retrouvera tous les personnages qu’il a créé, du Griffon au Lapin Blanc en passant par la Duchesse et même les petites huîtres. Les personnages y sont aussi bizarres que dans l’oeuvre originale et leurs caractères sont bien brossés. Alice est intelligente, Bill le lézard est gentil mais stupide, le Lapin est curieux mais tête en l’air. Et dans l’université, élèves et professeurs cherchent à comprendre comment les deux mondes sont connectés.
Vous serez emportés de l’autre côté du miroir et basculerez à chaque chapitre entre rêve et réalité, vous frissonnerez, pleurerez et serez bluffés par cette aventure brillante !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Voilà, trois polars de styles très différents, beaucoup de frissons en perspective !
1 réponse
[…] pourrez découvrir les deux autres romans de l’auteure dans cet article de Journal du Japon et dans cet article du blog Lire le […]