Radio Imagination : écoutez les voix des morts !
Le tsunami a été un traumatisme pour de nombreuses familles. Ces corps qui n’ont jamais été retrouvés, ces êtres chers dont on n’entendra plus la voix… De nombreux livres ont été écrits après le drame. En cette période de fête des morts en occident, Radio Imagination – publié chez nous par Actes Sud – offre une voix à toutes ces âmes errantes et permet au lecteur d’entamer une réflexion sur les relations entre les vivants et les morts, le rapport au temps, à la mort, à l’au-delà. Publié au Japon à l’occasion du deuxième anniversaire du tremblement de terre de mars 2011, il y a reçu un très bon accueil et a été couronné du prix Noma des nouveaux auteurs.
Pour fêter ce premier novembre, Journal du Japon vous invite à le découvrir…
Fuyusuke Akutagawa a 38 ans, il est né et a grandi dans « une bourgade du bord de mer aux longs hivers« . Fils cadet d’un grossiste en riz, il a joué de la guitare dans un groupe, est devenu manager, puis a décidé de rentrer au pays natal avec sa femme, leur fils étant parti faire ses études aux Etats-Unis. Mais c’est « accroché en haut d’un cyprès du Japon, à animer une émission de radio » que le lecteur le découvre. La tête en arrière, il voit la ville à l’envers depuis son cyprès. Son téléphone portable waterproof vibre dans sa poche. Il ne sait pas s’il est mort ou vivant. Ses souvenirs sont vagues, il a eu l’impression de flotter, d’être bousculé puis soulevé (par un aigle ?). Désormais il parle pour combler l’horreur du silence.
C’est une étrange radio qu’il anime : chacun peut choisir les morceaux de musique qu’il veut écouter, mais aussi la voix de celui qui se fait appeler « DJ Ark », ou bien encore opter pour le silence. Il apostrophe les auditeurs, leur livre ses souvenirs d’enfance, la rencontre avec sa femme qu’il aime temps, ses états d’âme.
« Parfaitement, je fais la promo de ma femme ! Un peu que je m’en vante, de ma femme, aujourd’hui c’est émission spéciale : « Ma femme est géniale ! » Eh, c’est mon émission alors je fais ce que je veux d’abord ! Je m’en fous pas mal si ça fait chuter l’audience ! »
Petit à petit, des voix lui répondent, des auditeurs se livrent, d’un village ou d’une rizière, de la région ou d’un point beaucoup plus loin du Japon. Certains ont réussi à mettre leur famille à l’abris sur une colline mais ont voulu redescendre chercher quelque chose lorsque la vague est arrivée, d’autres étaient dans leur maison et n’ont pas eu le temps de partir. Une femme tombe dans des ténèbres d’eau froide, la mer invisible à l’infini. Les récits sont tendres, émouvants, parfois terrifiants, mais tous parlent, se confient, s’écoutent. Les messages affluent de partout. Peut-être est-ce plus difficile pour les gens des grandes villes : à cause du bruit incessant l’imagination y est sans cesse arrachée.
Cette radio n’est ni AM, ni FM, mais IM : imagination modulation. Ceux qui l’écoutent se confient, se soutiennent, se rencontrent à travers leurs voix. Une chanson amène un souvenir, une image, un paysage. Amour et amitié se partagent via ces ondes imaginaires. Les auditeurs se questionnent : « suis-je un fantôme ?« , « suis-je vivant ?« . On se raconte un quotidien chéri : le bol de riz du matin, les paysages qui défilent dans le train qui conduit au travail, le sourire d’un collègue, les sorties entre amis. On se raconte ses proches, l’attachement qui est si fort : « L’âme qui garde une pensée ici-bas ne peut gagner l’autre monde. »
DJ Ark a pour compagnon sur son arbre une bergeronnette qui semble veiller sur lui. Il émet du milieu de la nuit jusqu’au lever du soleil, en ces heures sombres où le silence est si pesant, l’angoisse si forte que les âmes ont besoin de ce réconfort. Ensuite, le DJ a besoin de silence, à défaut du café en grain qu’il aime tant.
Les voix se succèdent, s’enchaînent, se répondent. Une chorale dirigée par DJ Ark chante aux oreilles du lecteur le chant des morts, chante la vie, l’amour, le bonheur, mais aussi la peur, les ténèbres, la séparation. Elle chante le Japon des villages, des petites gens, des personnes jeunes, des plus âgées, elle chante les anciens, elle chante les disparus, elle chante les catastrophes de maintenant et d’avant.
« M. Gamé l’a raconté aussi, quand la bombe a été lâchée sur Hiroshima, sur Nagasaki aussi, toutes les innombrables catastrophes, nous avons tenu les morts par la main et nous avons marché en première ligne, non ? Depuis quand ce pays ne sait plus comment serrer ses morts dans ses bras ? Et pourquoi ? »
Ce roman est comme un album géant consacré aux victimes. On y trouve leurs vies par fragments, leurs bonheurs préservés intacts dans des capsules sonores. Si DJ Ark passe des musiques rock, ce sont les textes des chansons qui résonnent dans la tête du lecteur. Des textes qui parlent si bien de ce qu’ont ressenti à un moment ou à un autre les personnes qui communiquent grâce à cette radio. Ces conversations intimes qui se succèdent comme des flashs lumineux puissants permettent au lecteur de sentir l’intensité de la vie, la force d’une humanité qui rime avec solidarité, beauté … et fragilité.
La plume est vive, les témoignages s’enchaînent rapidement. Il faut en effet garder en mémoire que l’auteur, Seikô Itô, est musicien, rappeur, et que cela se sent dans le rythme qu’il donne au roman (grâce à l’excellente traduction de Patrick Honnoré). Les dialogues sont intenses. Le lecteur reprend son souffle rapidement lorsque DJ Ark a la bonne idée de passer une chanson. Puis il replonge dans ce tourbillon sans fin. Les portraits des personnes qui se succèdent sont surtout intérieurs : ce qu’ils pensent, voient, sentent, ce qu’ils aimaient, ce qu’ils vivaient avant. Le lecteur plonge d’âme en âme jusqu’à l’étourdissement. Heureusement, le ton enjoué de DJ Ark vient souvent à sa rescousse lorsqu’il plonge trop profondément. Son humour, sa « joie de vivre », sa gentillesse mettent du baume au cœur de ceux qui l’écoutent, y compris du lecteur qui se fait oreille.
Un livre qui vous saisit dès la première page et l’emmène avec douceur et tendresse dans un voyage imaginaire entre la vie et la mort. Un livre puissant qui vous hante longtemps après la lecture et qui restera assurément l’une des plus grandes œuvres écrites sur le Japon post-tsunami.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.