Roman Porno : La Vie en rose

À l’occasion de la vingt-deuxième édition de L’Étrange Festival, qui diffusait cette année en exclusivité deux titres issus du programme de reboot du roman porno par les studios de la Nikkatsu, Journal Du Japon vous propose un cours de rattrapage en matière de cinéma érotique japonais.

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Sexploitation(s)

À la fin des années 60 et au tournant des années 70, l’arrivée massive de la télévision dans les foyers japonais est accompagnée d’une chute brutale de la fréquentation des salles de cinéma. Forcés d’innover pour survivre, les studios de l’époque optent alors tous pour la même stratégie ; appâter le public avec un genre nouveau et exploitant sans vergogne les pulsions de ce dernier en misant sur un cocktail aguicheur, principalement composé de sexe et/ou de violence. Si cette orientation est dans un premier temps l’apanage des studios indépendants qui produisent à tour de bras des films d’exploitations à petit budget, les grands studios de l’époque se rendent alors à l’évidence et en viennent également à se tourner vers les productions érotiques. On entend alors parler massivement de pink eiga (film rose). Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on retrouve à la même époque aux États-Unis un phénomène similaire avec l’essor du cinéma d’exploitation.

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« Quand L’Embryon Part Braconner » de Kōji WAKAMATSU

Dans cet âge de compétition entre les studios, chacun se dote d’un style propre qui fera la spécificité de ses productions. C’est notamment le cas des studios de la Toei avec les films dits de pinky violence – mélange d’ero-guro (érotique gore propre à la culture japonaise) et de sado-masochisme un brin paternaliste – ou encore de la Nikkatsu avec son label nommé roman porno. En marge, on retrouve entre autres les films autoproduits de Kōji WAKAMATSU qui – bien qu’œuvrant dans les mêmes sphères que d’autres productions mêlant violence et érotisme – se distinguent de par leur fort message social et politique.

Il est aujourd’hui considéré que le premier pink de l’Histoire du cinéma nippon est le film Flesh Market réalisé par Satoru KOBAYASHI, un futur grand nom du cinéma érotique japonais. Projeté pour la première fois au public le 27 février 1962 dans un cinéma du quartier d’Ueno à Tokyo, le film est interdit dès le lendemain par les autorités, qui le jugent obscène. Flesh Market est en effet le premier film à montrer une poitrine féminine à l’écran. Toutes les copies et négatifs sont alors confisqués. Remonté par l’équipe du film à l’aide de chutes et de scènes coupées, Flesh Market ressort l’année suivante dans une version moins problématique et fait alors un véritable carton au box-office, fort de la couverture de la presse suite à la confiscation du film par la police de Tokyo. Ce n’est qu’en 1964 avec La Barrière De La Chair de Seijun SUZUKI que de la nudité sera visible dans un film produit par un gros studio ; la Nikkatsu en l’occurrence.

17 ans de bons et loyaux services

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« Apartment Wife: Affair In The Afternoon » de Shōgorō NISHIMURA

À l’instar des autres studios de l’époque, la Nikkatsu – plus vieux studio de cinéma du Japon – cesse sa production de films d’actions pour s’engager dans la course au film pink. Si le studio n’en est pas à sa première production érotique, ce n’est qu’en 1971 que le studio choisit de se focaliser sur son nouveau label ; le roman porno, diminutif très japonais de l’anglais romantic pornography. Le premier film du label est produit dans la foulée et sort dans les salles japonaises au mois de novembre 1971 ; il s’agit du film Apartment Wife: Affair In The Afternoon, réalisé par Shōgorō NISHIMURA. Succès tant commercial que critique, le film fait bonne presse au label de la Nikkatsu, qui donnera après coup vingt suites à la série Apartment Wife.

Dans le sillon du succès tracé par Apartment Wife: Affair In The Afternoon, la Nikkatsu produit sept autres films estampillés roman porno rien que pour les mois de novembre et de décembre 1971, explorant ainsi plusieurs styles cinématographiques – en parcourant notamment le spectre qui sépare le film d’action du mélodrame – ainsi que plusieurs pratiques sexuelles, allant du saphisme à l’anguille.

La réputation des romans porno se forge rapidement et les films sont des réussites commerciales. Le réalisateur Masaru KONUMA – qui a débuté sa carrière au sein du nouveau label de la Nikkatsu avec le succès critique Call Of The Pistil – commentera que « le processus de création d’un roman porno est le même que celui d’un pink, mais avec un budget plus élevé ».

Car en effet, si le roman porno suit les codes propres aux productions érotiques japonaises de l’époque, à savoir tournage express, durée réduite et quota de scènes de sexe ou de nu par heure, la Nikkatsu s’engage à produire des films érotiques à gros budget en missionnant – plus encore que pour les pink classiques – de véritables cinéastes. Même en se pliant toujours habilement à la censure inhérente à l’érotisme japonais, les réalisateurs de roman porno poussent l’esthétisme plus loin que d’autres productions parfois plus brutes.

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« Love Hunter » de Seiichirō YAMAGUCHI

Rapidement, le genre du roman porno s’élargit encore davantage à nombre de genres cinématographiques – de la comédie au soap-opera en passant par la science-fiction – et s’ouvre à tous les fétichismes – du fantasme de l’infirmière jusqu’au viol en passant par le voyeurisme. Et si le genre traîne son lot de casseroles – on peut notamment citer le film Love Hunter ; sorti en 1972 et interdit pour obscénité, ce qui vaudra notamment l’arrestation de son réalisateur Seiichirō YAMAGUCHI ; ou encore les multiples tentatives de créer une nouvelle série dans le style d’Apartment Wife, sans succès – la grande majorité des titres érotiques présentés par la Nikkatsu sont des succès commerciaux qui contribuent à créer la dimension culte du roman porno aussi bien auprès du public masculin que féminin. Jusqu’à la fin des années 80, le studio s’accordera même le luxe de ne produire quasi-exclusivement que ce genre de production, délaissant ses autres titres, plus classiques et moins lucratifs.

Vers la fin des années 80, l’essor du marché vidéo et l’arrivée massive de l’Adult Video (AV) ont écarté le roman porno du devant de la scène. Cette « brutalisation » du sexe à l’écran créée par l’AV ramène la sexualité à son plus simple appareil, délaissant l’esthétisme et la réalisation travaillée des romans porno, et la rendant immédiate, vulgaire et masturbatoire, à destination d’un public en quête de sensations toujours plus fortes. Si aujourd’hui, le marché de la pornographie japonaise est un des plus importants et un des plus riches dans son exploration des fétichismes et des paraphilies, force est de constater que l’on est désormais bien loin de la qualité et de la sensibilité des pinks d’alors, et a fortiori des romans porno.

Le dernier film produit par la Nikkatsu sous le label roman porno est Bed Partner, réalisé par Daisuke GOTŌ et sorti en 1988. Ce dernier film enterre le label qui laisse alors derrière lui plus de 700 films produits en dix-sept ans d’existence. La Nikkatsu se déclare en faillite en 1993, mais malgré la fin du label, le roman porno connaît un regain d’attention de la part de communautés cinéphiles jusqu’à devenir un produit culte.

Le Pink ne meurt jamais

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« An Aria On Gazes » de Hisayasu SATŌ

Même si l’arrivée de la vidéo et de l’AV ont eu raison du roman porno, le film pink  qui n’avait certes plus sa grandeur d’alors – n’est jamais vraiment tombé dans l’oubli et est même devenu un refuge pour le cinéma d’auteur. C’est d’ailleurs à l’aube de cette période charnière qu’ont émergé plusieurs cinéastes qui figurent encore aujourd’hui parmi les plus éminents réalisateurs du cinéma érotique japonais. Le meilleur exemple reste indubitablement l’émergence de ceux que l’on connaît comme les Quatre Rois Divins du pink, titre honorifique donné aux réalisateurs Kazuhiro SANO (Young Wife: Modest Indecency, Molester: Peeping On Masturbation), Hisayasu SATŌ (Promiscuous Wife: Disgraceful Torture, Lolita Disgrace), Toshiki SATŌ (Soaking Wet: Touching All Over The Body, Latest Bathhouse Sex Technique: Palace Of The Soapsud Princess) et Takahisa ZEZE (Tokyo X Erotica, A Gap In The Skin) en référence aux Quatre Rois célestes de la mythologie bouddhique. Le film pink évoluant désormais hors du marché commercial et loin des gros studios, les réalisateurs jouissaient de ce fait d’une liberté totale à la seule condition de respecter un certain quota de scènes de sexe. Ainsi, les films produits par les Quatre Rois Célestes du pink et par d’autres de leurs contemporains étaient principalement des films d’auteur complexes et sombres ponctués de scène de nu et explorant des thématiques sociales souvent plus violentes. Ces films rencontrèrent d’ailleurs un succès minime auprès du public de pinks traditionnels.

Il est également amusant de noter que c’est à cette époque pourtant considérée comme étant le déclin du genre qu’est né le festival du film pink de Tokyo ; le Pink Grand Prix. Créé en 1989 – soit l’année suivant le dernier roman porno ce festival est aujourd’hui un événement incontournable pour tout amateur de cinéma érotique.

La génération suivant celle des Quatre Rois Célestes du pink étant elle-même bien décidée à pérenniser le genre et à le faire entrer dans son époque, un nouveau titre honorifique fut donné aux sept nouveaux grands noms du cinéma érotique japonais : les Sept Dieux Chanceux du pink, en référence aux sept Divinités du Bonheur de la mythologie japonaise. Là où les Quatre Rois Célestes du pink s’attachaient à dépeindre la génération des laissés pour compte de l’éclatement de la bulle économique et la naissance des phénomènes otakus et hikikomori, les Sept Dieux Chanceux du pink explorent les problématiques contemporaines de notre société post-moderne ancrée dans le XXIe siècle. Si ces sept réalisateurs n’ont pas encore acquis la dimension culte de leurs aînés, force est de constater que le pink d’auteur et porteur d’un fort message social – à l’opposé des films de l’âge d’or du genre, qui étaient alors purement récréatifs – ne mourra jamais et trouvera toujours écho dans les questionnements d’une nouvelle génération.

Alors que l’on pensait le roman porno mort et enterré, la Nikkatsu a annoncé en début d’année 2016 la relance du label, à l’occasion des 45 ans de sa création. Pour l’occasion, cinq réalisateurs clefs du cinéma japonais ont été missionnés pour réaliser la première fournée de cette deuxième vague du roman porno. Ces derniers mois, les films produits dans le cadre de ce projet ont fait le tour des festivals internationaux, se payant notamment un arrêt à L’Étrange Festival, qui diffusait cette année deux des métrages de ce cru ; à savoir Antiporno de Sion SONO et Wet Woman In The Wind d’Akihiko SHIOTA, que nous vous présenterons très prochainement dans la suite de notre dossier dédié au cinéma érotique japonais.

3 réponses

  1. 23 octobre 2016

    […] Après quelques rappels historiques et thématiques sur le genre, nous sommes désormais fin prêts pour appréhender comme il se doit cette nouvelle cuvée de roman porno. […]

  2. 27 juin 2018

    […] lorsque la Nikkatsu a commencé sa nouvelle ligne éditoriale axée sur l’érotisme – le Roman Porno – pour empêcher le public de fuir vers la télévision, que KUMASHIRO a tiré son épingle […]

  3. 4 janvier 2021

    […] soucieuse de son image, c’est au virage opéré par la Nikkatsu en 1971 de ne produire que des Roman Porno, qu’elle prendra la tangente, ne souhaitant pas devenir une icône de la pornographie japonaise. […]

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