[Interview] Thomas Romain : un gaijin à la conquête de l’animation japonaise !
Et si on pouvait très bien réussir au Japon dans le secteur de l’animation sans être Japonais ? Ce n’est pas Thomas Romain, un français expatrié au Japon qui vous dira le contraire !
Journal du Japon a eu l’occasion de le rencontrer en juillet dernier lors de son passage à Japan Expo, pour un échange aussi passionné que percutant. Sa passion, son parcours, son point de vue sur le sujet, ses projets et sa réussite : tout est tiré au clair pour le plus grand plaisir de ses fans comme de tous les passionnés par le milieu ou qui souhaite travailler dans le secteur de l’animation japonaise !
Découvrez cette interview vraiment riche qui devrait répondre à plusieurs de vos interrogations.
Thomas Romain, son parcours, sa motivation, sa passion
Journal du Japon : Bonjour et merci de nous accorder de votre temps. En parcourant le salon durant ces quelques jours, on a vu que vous étiez un très grand passionné du Japon, prêt à échanger avec un maximum de personnes. La première question sera de savoir comment vous-mêmes êtes tombé dans ce milieu du manga et de l’animation ?
Thomas Romain : Ça s’est fait en plusieurs étapes je dirais. On parle souvent de la génération Goldorak, celle d’Albator, la génération Dorothée… À notre époque lors des années 1980, on voyait pas mal d’anime japonais à la télévision : ça nous a tous pas mal marqué, mais ça a surement joué un rôle d’influence aussi dans notre passion et motivation future. Quand on est gamin nous sommes comme des éponges, on absorbe tout : cette culture, cette pop-culture même, ces visuels, cet esprit familier. Au Japon, quand on parle d’anime avec des collègues de bureau, on a tous les mêmes références. Ils sont même surpris parfois. Mais à l’époque on avait tellement de dessin-animés qui passaient à la télé. Donc il y a un peu de ça déjà. Ensuite, côté adolescence, ce fut le repos de l’animation japonaise, mais aussi le début de vrais passionnés du milieu qui font revenir l’animation japonaise en France.
Au départ c’était plutôt les chaines qui cherchaient à remplir leurs programmes et qui achetaient au Japon car c’était pas cher. Il n’y avait aucune volonté de diffuser et distribuer la culture japonaise, mais ils ont ouvert une boite de pandore. Cela a crée des générations de créateurs influencés par le Japon. Dans les années 1990, ce sont ces fans qui la font revenir, dont les distributeurs vidéo… Et là ce fut une deuxième claque : diffusion de Akira au cinéma, de Ghost in the Shell aussi, début des premiers mangas à acheter chez Glénat, notamment avec Dragon Ball, Gunnm… Première série éditée en VHS, j’ai acheté comme ça Cowboy Bebop ou encore Evangelion. Et tout ça c’est arrivé au moment où je voulais faire du dessin mon métier, car j’adorais ça. Au début j’étais parti dans une formation scientifique : j’étais bon élève donc j’ai suivi ce que mes parents voulaient, puis j’ai eu mon bac S, j’ai été dans une fac de mathématiques. Et en fait dans ma classe il y avait un mec qui avait comme passion tous les weekends de créer des circuits imprimés et électroniques.
Je me suis juste dit : « ce gars-là il est passionné, il passe son weekend à faire des recherches scientifiques, moi je passe mon temps à regarder des anime et jouer à des jeux vidéo, je pourrais jamais réussir dans la vie face à lui, surtout avec les mêmes études. » Donc je me suis rendu compte que ce n’était pas mon truc. Au départ je pensais même que tous le monde était comme moi, mais non. Si dans la vie pour réussir, il faut choisir sa passion, c’est là que j’ai réalisé qu’il fallait que j’utilise ma passion pour le dessin et cette culture populaire dans laquelle je baignais, et y mettre mon énergie pour en faire quelque chose. J’avais 17 ans.
À ce moment-là je découvrais toutes les œuvres des années 1990, donc je me suis redirigé vers des études d’animation : j’ai été pris à l’école des Gobelins. J’y ai rencontré d’autres passionnés, et j’ai pu aller dans les premiers salons qui faisaient venir des Japonais : j’ai fait quelques rencontres lors de ces derniers. On découvrait qu’il s’agissait de véritables personnes derrière, que l’on pouvait parler avec eux, donc c’était vraiment chouette. J’ai même eu de la chance en 2001 car il y avait la masterclass avec Yatsuo OTSUKA, le mentor de Hayao MIYASAKI, venu une semaine pour faire étudier l’animation japonaise. On était une dizaine, et j’en faisais parti. On lui montrait nos dessins vu qu’on faisait des études d’animation, et il était vraiment intéressé, « c’est super ce que vous faites. »
On pensait que c’était pour nous faire plaisir qu’il disait ça mais en fait c’était sincère : en France on est vraiment bien formé à l’animation, beaucoup de jeunes ont du talent. Il énonçait simplement « vous devriez venir au Japon, si vous cherchez du travail, vous pourrez sans problème. » Là on était vraiment tous surpris. Quasiment le jour-même je me suis inscrit à un cours de japonais, car si je devais aller là-bas, il fallait savoir parler japonais.
J’avais 25 ans à ce moment-là. En même temps avec des amis on développait un projet, Oban Star Racers, qu’on pensait mettre en place en France au départ, et au final on s’est dit qu’il y avait possibilité de le faire au Japon, comme on avait des contacts, tout ça. Bon ça a mis du temps, quelques années, mais on a creusé là-dessus, et on a réussi à convaincre des personnes. On a fini par réussir, et on est parti au Japon en 2006 pour faire cette série. C’était parti, on était au Japon pour créer une série d’animation. Tout s’est super bien passé, et j’ai souhaité rester sur place. Suite à quoi j’ai été embauché par le studio Satelight où je suis encore, treize ans après.
C’est un peu long désolé. (Rires)
Animation française, animation japonaise : état des arts
Il parait donc qu’on est bien formé en France niveau animation. Est-ce que d’après vous c’est toujours le cas aujourd’hui ?
Ah oui, plus que jamais.
Donc il pourrait encore y avoir des artistes japonais qui pourraient revenir par exemple dire « vous, vous pourriez venir travailler au Japon… » ?
Oui sans hésitation. Le talent des étudiants en France est incroyable, je dirais même que c’est trop (Rires). Je dirais que certains sont trop bien formés et qu’ils pourraient être déçus en arrivant dans le milieu professionnel. C’est souvent le cas d’ailleurs. En école, ils créent et font de super court-métrages, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Une fois qu’ils sortent de l’école, ils ne trouvent donc pas de travail à la hauteur de ce qu’ils recherchent ou du potentiel qu’ils ont. En France en tout cas. Le milieu de l’animation y est un peu morose. Beaucoup sont frustrés ou déçus. Je l’avais déjà ressenti à l’époque. Je ne voulais pas travailler en France.
On a quand même fait Code Lyoko, mais je suis parti au moment où ça décollait, donc je n’ai pas travaillé sur la série car je ne voulais pas d’une série à épisodes séparés, je voyais plus grand. Je voulais quelque chose style grande saga, on a donc fait Oban Star Racers. Je voulais travailler également avec des animateurs japonais, je souhaitais un bon niveau, une belle qualité d’animation, et c’est ça qu’on n’aurait pas pu avoir en France. Donc oui les étudiants français sont très bien formés et peuvent tout à fait travailler partout. D’ailleurs il y en a qui le font, on est maintenant une vingtaine au Japon, aux États-Unis encore plus. On parle souvent de ceux qui sont partis chez Disney, et on parle moins de ceux partis au Japon. C’est aussi pourquoi on est là, à Japan Expo, car il faut aussi se tourner du côté japonais car c’est tout aussi intéressant voir plus.
C’est peut-être à cause d’un problème de langue ? On est baigné dans l’anglais dès le collège, c’est plus facile de se tourner vers les États-Unis ?
Non, c’est aussi l’énorme bulldozer qu’est l’animation américaine. Elle laisse peu de place au reste. Le fait d’aller au Japon, c’est aussi le fait pour moi de contrer ça, aller à l’Est c’est aussi décider de ne pas aller à l’Ouest forcément. Je me suis un peu construit en opposition à ces réactions à ces boites qui se sont construites comme Disney.
Justement, ça ne pose pas de problème aux bons animateurs de voir qu’il y a maintenant de plus en plus de sous-traitance en Chine ou en Corée du Sud notamment ?
Tu parles du Japon ?
En gros tous les animateurs français ou d’ailleurs qui viennent au Japon, du fait de leur haut niveau, est-ce que finalement cela ne les gêne pas de constater quand ils arrivent que ça se passe ailleurs et que ça peut être mal fait ?
Déjà ce qu’il faut savoir c’est que le Japon est encore le pays qui a réussi à conserver le plus sa production sur place. Sans hésitation. En France, on n’a jamais fait la production sur place, depuis le départ, même dans les années 1990, car ça coûtait trop cher. Aux États-Unis c’est pareil, ils ont tout délocalisé très vite, donc il y a peu de débouchés pour les animateurs. Au Japon c’est plus flou. Il y a des avantages et des inconvénients en fait : plus dur, moins bien payé, mais ils ont réussi à garder les choses sur place. Et même s’il y a un peu de sous-traitance, ce n’est pas l’essentiel. Si on veut faire de l’animation, ça reste le Japon le pays pour ça.
C’est quand même dommage qu’il y en ait, notamment sur de grosses séries comme Naruto ou One Piece. Elles sont quand même populaires, mais au final du fait de la demande, il faut que ça soit fait rapidement et donc la qualité passe à la trappe…
Ça, ça dépend des politiques du studio concerné. Chaque studio a sa politique. Ensuite le fait que ce soit populaire, des sociétés comme TOEI par exemple, qui ont des studios en Malaisie et vont produire en qualité inférieure des titres majeurs car ils savent que derrière, ça marchera dans tous les cas. Les plus petites séries ont besoin d’une animation plus flamboyante à l’inverse. Donc ça dépend vraiment du studio et de sa politique. Tous les studios ne pensent pas de cette manière.
Mais nous ce qui nous dérange, c’est qu’on est parti de quelque chose comme Ghost in the Shell par exemple, pour arriver à ce qu’on a aujourd’hui : une baisse de qualité dans les anime où la malfaçon est visible, alors que la norme auparavant, c’était d’atteindre le haut niveau. C’est un constat un peu triste…
Je suis d’accord. Ça devient même inquiétant. Mais c’est parce qu’on est en totale surproduction, on est à quatre fois plus de séries qu’auparavant. Et la courbe ne cesse d’augmenter. Il y a eu une petite baisse autour de 2010 mais c’est remonté depuis. Et tout le monde le sait. On en discutait encore pas plus tard qu’hier avec un animateur de Satelight qui m’a accompagné. Il dit qu’il « faudrait diminuer la production, réduire drastiquement le nombre de séries, au moins de moitié, et ça changerait tout » mais ce ne sont pas les studios qui décident.
On est impuissant par rapport à ça. Ce sont d’autres sociétés qui sont tentaculaires qui veulent juste faire du profit, et les studios souffrent de ça. Les studios japonais sont des petits studios, des PME, avec peu d’argent et peu de pouvoir. Si tout le monde s’unissait, peut-être, mais si on faisait une grève on détruirait l’industrie et on devrait repartir à zéro. C’est impossible de syndiquer les japonais et de faire des mouvements comme ça.
C’est un sport français ça ! (Rires)
Tout à fait (Rires). Mais c’est super intéressant. Quand on voit la différence entre ici en France et là-bas… Quand on voit les grèves, que dès qu’un truc ne va pas les gens stoppent tout, ça fait une différence tellement folle. C’est impressionnant. Mais je suis d’accord avec vous. Et les Japonais en ont conscience. Il faut que les choses changent, et ça va changer, mais cela va prendre du temps.
Déjà le fait que le studio Ghibli tombe un peu, enfin, tire un peu sa révérence…
Déjà le studio Ghibli, c’était le seul studio qui avait un modèle différent, car il embauchait tout le monde en CDI. Ce qui n’est pas tenable dans cette industrie. Personne ne fait ça. En France, il n’y a qu’Ankama qui le fait. Et pourquoi ils y arrivent ? Parce qu’ils ont un jeu en ligne qui marche et leur rapporte beaucoup d’argent chaque mois. Et c’est pour ça que le régime des intermittents du spectacle existe en France, et concerne aussi l’animation, car on ne peut pas embaucher à plein temps des personnes dans ce secteur. Ce n’est pas possible, ce n’est pas adapté. Et donc quand Ghibli fait ça, ça marche tant qu’il continue à produire des films qui ont du succès. Mais les coûts de production des films Ghibli, à niveau équivalent, sont de l’ordre de cinq à dix fois plus que tous les autres films japonais. Au Japon ce n’est pas un système vraiment tenable. Donc dès l’instant où ils décident de ralentir la production, ils sont obligés d’arrêter. Là il reste encore quelques animateurs mais certains ont ouvert d’autres studios ou sont partis ailleurs… ils ont changé de statut. Tout se ré-uniformise, Ghibli était vraiment une exception.
Est-ce que cela peut avoir des conséquences ? De savoir que ce système-là a pu marcher un temps ?
Non car dès qu’on réfléchit de manière économique, on voit bien que ça ne peut pas être prometteur ou efficace. Et que ce n’est donc pas possible. Ce n’est pas adapté à la production. On produit une série, on a besoin de gens à tels moments pour tel poste… Au début il faut un scénariste, puis un storyboarder, après il faut un animateur, puis une fois que c’est fini, et bien c’est terminé si tu n’as pas un autre projet derrière. Il faut que tous les projets s’enchaînent. Donc il peut y avoir des risques. S’il y a un problème dans la production, on doit s’arrêter.
Ce n’est pas comme si on faisait un travail à la chaîne, et qu’on faisait des pièces de voiture… En fait, c’est comme si chaque dessin animé était un prototype unique. Ça ne peut pas être industrialisé. On parle d’industrie mais ce n’est pas vraiment industrialisé, c’est de l’artisanat en fait. Chaque plan est différent, chaque dessin est différent. Il n’y a rien de reproduit à l’identique. Une fois que le dessin est fait, on presse des dvds, ça c’est industriel. Mais chaque plan, chaque dessin, chaque décor est unique.
Les projets à venir et en cours : entre collaborations japonaises et étrangères
Justement, si on parlait de vos différents projets à présent. Vous-même vous avez eu plusieurs genres de projets différents. Vous travaillez sur des méchas, des décors…
Oui j’ai un profil assez rare. Je suis réellement polyvalent car j’aime bien me lancer de nouveaux challenges. Je n’aime pas faire toujours la même chose, j’aime bien changer.
Et comment vous faites pour rebondir à chaque fois ? Des influences ?
Et bien je suis pas mal influencé par tous les créateurs qui m’entourent, tout simplement. Je vois des magazines, j’y vois de supers robots, donc j’ai bien envie de faire du robot aussi. Dès qu’il y a une opportunité j’aime bien essayer, et j’essaie de me donner à fond pour faire quelque chose de correct. Je suis encore très enthousiaste : la flamme, l’envie est toujours là. Mais ça, je pense que c’est aussi parce que je suis parti sur place au Japon. Je ne veux pas être blasé.
C’est bien d’avoir la tête sur les épaules, d’être relativement critique, mais il faut garder l’envie car c’est quand même une chance incroyable de travailler dans ces métiers-là. Je vois les gens qui viennent ici à Japan Expo : « je regardais Code Lyoko, Oban Star-racers, j’adorais ça ! » C’est un vrai bonheur de voir l’impact et le plaisir que peuvent avoir les gens en regardant ces anime. Faut pas être blasé.
Pourtant vous avez dit hier lors de votre conférence que vous ne regardiez pas forcément les anime que vous faisiez.
Je regarde très peu d’anime ou de film d’animation en effet.
Même en général ?
En fait quand je regarde un anime, j’ai l’impression de travailler aussi un peu. Parfois je préfère faire une partie de jeu vidéo ou autre chose à la place. Car en plus ça me met la pression. Quand je regarde un anime, quand c’est trop bien, je me dis « rhalala, j’aimerais être aussi bon que ça, j’ai encore du chemin à faire… » Et quand c’est raté à l’inverse, je vois les erreurs et là je me dis « aïe ».
Une déformation professionnelle en fait ?
Exactement. Donc je ne peux pas regarder un anime de manière totalement décontractée, ou prendre du plaisir comme le public.
Donc si on vous posait une question sur quel anime du moment vous a marqué, on n’aurait aucune réponse ?
Non car je n’en visionne pas vraiment. Par contre, je sais à peu près les choses qui marquent les gens, comme One-Punch Man ou L’attaque des titans. Je n’ai jamais regardé un épisode de One-Punch Man, juste des extraits, mais je sais que c’est bien. D’ailleurs le réalisateur, c’est quelqu’un que je connais bien car c’est le réalisateur de Space Dandy, Shingo NATSUME. C’est un jeune réalisateur hyper talentueux. Donc je connais des gens qui animent dessus, mais je n’ai pas regardé. Alors je ne vois pas les épisodes car ça va me déprimer, parce que ce sera bien fait et ensuite ce sera « rholalala » (Rires).
Justement, au Japon, il y a pas mal de collaborations à droite et à gauche, mais aussi certaines qui se passent avec l’étranger maintenant. Comme en ce moment, avec vos travaux sur Cannon Busters. Comment ça se passe concrètement avec le réalisateur américain ?
C’est top. C’est une rencontre vraiment géniale que j’ai eu avec LeSean Thomas. On s’est connu par le net, via Twitter. D’ailleurs j’ai rencontré énormément de gens via ce réseau. Tous les japonais sont sur Twitter, tous les créateurs aussi, ce qui est vraiment génial. Avec LeSean Thomas, on a beaucoup de choses en commun. Bon bien sûr lui il est Américain et moi Français, mais on est tous les deux passionnés par l’animation japonaise. Et tous les deux on était un peu déçus de nos industries locales respectives : moi je suis parti de la France car l’animation y était morose et fermée, lui travaillait dans l’animation aux États-Unis mais il s’est dit « où sont les animateurs ? » Là-bas ils ne font que les scénarios, les designs, les storyboards comme en France et après l’animation est faite en Corée. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il est parti trois ans en Corée pour voir comment cela s’y passait.
Donc on a eu tous les deux une démarche similaire d’aller en Asie pour être sur le terrain. On est de la même génération, quasiment le même âge aussi, du coup le contact est très bien passé entre nous. C’est vraiment quelqu’un de très professionnel, mais aussi très ouvert et passionnant. Il a souhaité se tourner vers la création car il était superviseur d’animation ou designer sur différents projets comme Legend of Korra par exemple. Il a voulu voler de ses propres ailes donc il a ressorti de ses cartons un vieux projet BD débuté il y a une quinzaine d’années, Cannon Busters, vu qu’à l’époque il avait sorti deux comics, et il s’est dit qu’il allait en faire un dessin animé. Il a lancé une campagne sur Kickstarter (ndlr : site de financement participatif) pour financer un épisode pilote, et il m’a demandé de faire le mécha-design d’une sorte de cadillac géante qui se transforme car il avait adoré ce que j’avais fait sur Space Dandy, dont il est un grand fan, tout comme de Cowboy Bebop. Comme c’est moi qui ai fait le mecha-design sur Space Dandy, et qu’il m’a vu sur twitter, il me l’a proposé. J’ai accepté et j’ai aussi appris à le connaitre par-là aussi. Je l’ai vu à travers une conférence Ted (ndlr : cf. vidéo ci-dessous) où j’ai vu qu’il avait l’air vraiment sympa. On se respecte mutuellement, nos parcours aussi.
Je lui ai indiqué que j’étais partant mais que je bossais pour Satelight, et que je ne voulais pas en sortir, donc je lui ai dit qu’il fallait mettre le studio dans la boucle. On a commencé les meeting avec les Japonais, j’ai fait le mecha-design, la campagne Kickstarter a bien marché, donc on a eu les fonds pour l’épisode pilote. Lui à la base il comptait le faire en Corée, vu qu’il avait beaucoup de contacts là-bas. Mais comme il m’avait en contact sur le studio Satelight, autant faire quelque chose sur place au Japon que de faire quelque chose en Corée qui fasse japonais. Donc j’ai réussi à convaincre Satelight de bosser sur le projet, LeSean Thomas de bosser directement avec des Japonais, et on vient de finir l’épisode pilote. J’ai supervisé le travail car j’étais la personne la mieux placée pour cela : je parlais et échangeais avec lui en anglais, j’ai fait le mecha-design du projet, j’ai ramené le projet au studio, donc j’ai pu passer à la réalisation sur ce projet comme j’étais le plus légitime pour. On vient de donner l’épisode justement à ceux qui ont soutenu la campagne (ndlr : quelques jours avant Japan Expo) et au vu des réactions sur twitter, ça semble bien positif. Donc on commence à le montrer à différents partenaires, et c’est bien parti pour qu’on puisse faire la série dans son ensemble. C’est toujours un projet mais on a l’épisode pilote et de bonnes réactions, donc je pense que ça va se faire.
Quand on regarde le trailer de Cannon Busters, on voit tout de suite un petit côté Cowboy Bebop. C’est voulu ?
Oui. On est deux gros fans de Cowboy Bebop et le personnage principal, c’est vrai, ressemble un peu à Spike.
Et le robot qui peut ressembler à Ed un peu dans sa folie.
Oui tout à fait. On est de cette génération où on a été marqué par cette série donc ça fait partie de nos influences.
Animation américaine VS animation japonaise : point de vue d’un animateur français passionné
Est-ce qu’il y a une différence entre travailler avec des américains et avec des japonais ?
En fait c’est la première fois que je travaille avec des américains.
Et puis là, c’est aussi un créateur américain indépendant qui connait l’animation japonaise et qui veut travailler avec le Japon. On travaille vraiment à la manière japonaise. En tout cas, je l’impose : « si tu veux travailler avec le Japon, ça se passe comme ça. » Travailler aux États-Unis dans des grosses boites comme Disney ou DreamWorks et travailler au Japon ça n’a rien à voir, c’est clair et net.
Ce n’est pas du tout le même confort de travail, le même temps de production, le même budget, le même esprit, les mêmes locaux, et le même matériel. Je n’y ai jamais travaillé mais j’ai des amis qui y travaillent. J’ai eu par exemple l’occasion d’aller passer l’été chez Disney pour voir un ami qui a bossé sur Zootopia, alors qu’il travaillait au Japon avant. Il a travaillé sur Basquash! avec moi par exemple et il m’a montré comment cela se passait. Et c’est fou, c’est un tout autre monde. Moi, j’aime bien le côté modeste, le côté « shônen » où avec peu de choses voilà ce qu’on arrive à faire. Ce sont deux modèles vraiment différents à deux extrémités vraiment opposées.
Au Japon, on a peu de moyens, mais on a la flamme et on va se défoncer pour faire les choses et sortir quelque chose. Aux États-Unis, ils ont autant d’argent qu’ils le veulent, car même s’ils coupent des scènes ou que ça coûtera genre 300 millions de dollars, ils savent que derrière ça va marcher. Ils ont tout, Marvel, Star Wars… Alors qu’est-ce qu’un million de dollars ? Cela ne change rien pour eux, ils dominent le monde, en terme d’Entertainment ils sont clairement au-dessus. Rien qu’avec Zootopia, ils ont une rentrée d’argent d’un milliard de dollars. Pour dire plus simplement, un milliard de dollars c’est l’intégralité de la masse salariale de toutes les personnes qui travaillent en France dans le secteur de l’animation durant dix ans, et ils ne font ça qu’avec un seul film, comme Zootopia par exemple. Et à équivalence, c’est le chiffre de l’animation japonaise durant un an : tous les studios, tous les films, des dizaines de films, des centaines de séries… Pour vous donner un aperçu. C’est totalement disproportionné. C’est une autre planète.
Ça ne vous plairait pas d’y être, de travailler là-bas ?
Je ne sais pas, j’aurais l’impression que ce ne serait que pour l’argent. Et ce ne serait pas la meilleure des motivations. Un jour peut-être, on ne sait jamais. Mais actuellement, non.
Ça remonte mais un peu avant que le parc ne soit construit, Walt Disney était encore là, et il y avait déjà beaucoup d’animateurs qui partaient, parce que justement il y avait cette sensation de grosse machine, de techniques d’art etc. Si déjà à l’époque ce problème existait…
Ça dépend des gens en fait, du caractère, de ce qu’on veut faire dans la vie. Des gens vont à Disney car ils veulent travailler là-bas. De même que les gens qui n’aiment pas l’animation travaillent comme manager parce que c’est Disney, car c’est le confort absolu, la plus grande marque de réussite qui existe. Moi, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je veux réussir d’une autre façon, et c’est ce qui est en train de se passer. Et j’en suis hyper fier. Faire son trou dans un endroit où à priori ce n’était pas possible de le faire, où c’était trop difficile. Et pourtant je suis en train de le faire. Et je ne gagne pas forcément très bien ma vie. Mais moi ça m’éclate beaucoup plus d’être à Tokyo et de bosser avec des personnes que j’admire.
Le bonheur n’a pas de prix. (Rires)
Exactement.
C’est peut-être pour ça aussi que vous arrivez à avoir pas mal de libertés sur certains de vos projets ? Comme Basquash! par exemple et ses mechas si particuliers : les big foot.
C’est pour ça aussi oui. Plus le budget est petit, plus le projet est facile à contrôler, et plus on a de libertés. À Disney, quand on travaille avec des équipes de 400-500 personnes, où chacun fait un petit morceau, on n’a quasiment aucune liberté, surtout que ce qu’ils vont faire sera peut-être coupé au montage. Ils peuvent travailler par exemple un an sur une séquence, et la voir couper au montage. Mais ce ne sont pas eux qui décident, et de toute manière, ils ont le salaire qui va avec derrière.
Ce n’est pas ce que je recherche. Je préfère que ce soit plus difficile, être sur un projet moins ambitieux avec plus de libertés et plus de contrôle dessus. Si j’étais à Disney, peut-être que je passerais deux ans à faire des rochers. J’ai une anecdote, un ami (qui était avec moi à l’école des Gobelins) me l’a donnée. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est vraiment un homme talentueux, un artiste. Il a travaillé sur le film d’animation Dragon, chez DreamWorks. Et il a passé quatre ans à créer des rochers à tout va pour le film ! Mais c’est comme ça qu’ils travaillent, ils ne peuvent pas travailler dans l’économie.
Les Japonais travaillent dans l’économie et l’efficacité. Au Japon, pour réaliser un film, c’est trois millions de dollars de budget en moyenne. En France c’est entre six et dix millions. Aux États-Unis pour un blockbuster d’animation il faut compter au bas mot 100 millions et ça peut monter bien plus haut. On ne peut pas travailler pareil. Là on réfléchit avant de faire chaque dessin, on prend le temps pour, on essaie de savoir si on en aura vraiment besoin, etc. À Disney, on demandera aux gens de dessiner, puis ils vont choisir quelques dessins parmi ceux qu’ils ont sous les yeux. C’est comme ça que ça se passe. Moi je serais triste de travailler là-dedans, en sachant que mon dessin ne serait pas forcément choisi, ça me déprimerait. Et il y a beaucoup de personnes qui le vivent mal. Donc je préfère avoir un projet qui soit moins gros avec moins d’argent, avoir moins de temps pour le faire, mais que ce soit mon truc, et être fier de me dire que je l’ai fait. Et puis j’ai travaillé sur plein de choses différentes depuis dix ans et à différents postes, et c’est ça qui est passionnant.
Donc votre collaboration avec Satelight se passe au final plutôt bien ?
Oui très bien. Ils me font de plus en plus confiance pour devenir un élément clé du studio. Au Japon, la progression hiérarchique est très importante. Ça fait dix ans que j’y suis, j’ai fait mes preuves. Et au bout d’un moment ça va porter ses fruits, et ça a déjà commencé. Je vais être de plus en plus en position de pouvoir faire mes projets, de les diriger, d’avoir une influence plus grande sur la direction du studio. Mais tout ça ne vient pas du jour au lendemain, il faut vraiment voir à long terme. Les efforts au quotidien paient avec le temps, dont on récolte les fruits plus tard. J’ai toujours eu cette mentalité. Aujourd’hui j’ai l’impression que les jeunes veulent tout, tout de suite, que ça se passe vite. Mais moi je suis de la génération d’avant encore, d’avant internet, où il fallait faire ses preuves. On en parlait entre amis l’autre jour, j’en ai un qui est professeur et il disait que « des jeunes, il n’y en a plus des comme nous capable de se projeter aussi loin pour en arriver là, de se projeter dans vingt ans en faisant ça, ça et ça, par étapes. » Pourtant c’est ce qu’il faut faire pour avoir une carrière, car ça se passe sur une vie entière.
Il n’y a plus de patience.
Non. Et quand on voit qu’aujourd’hui il y a par exemple un youtuber de 17 ans, qu’il a dix milles fans, cent mille, qu’est-ce tu veux faire (Rires). Il y a des personnes qui viennent me voir pour signer, et qui me connaissent. Ils viennent et ils se disent « c’est incroyable, y’a personne pour venir vous voir ou vous parler, alors qu’il y a des gamins, des youtuber qui font salle comble », mais c’est normal. Ce n’est pas la même génération. C’est autre chose.
Ils n’existeront plus dix ans après. Mais vous oui ?
Ah oui (Rires). De toute façon on ne fait pas ça pour la célébrité, pour cela il faut choisir une autre branche (Rires). Même sur Twitter, quand on regarde les comptes de réalisateurs, il y a peu de monde. Les gens s’intéressent au projet, pas forcément aux créateurs derrière. On est en coulisse en fait, et pourtant je pense que c’est important de se faire connaître, d’avoir des figures, des guides, des modèles… Ça arrive un peu pour le jeu vidéo. C’est aussi pour ça que je fais ça, car se faire connaitre ça ouvre des portes. Des promotions, faire des interviews, c’est agréable, mais au Japon beaucoup sont timides. Moi j’aime bien me prêter à ce jeu-là car j’en suis fier, je suis fier de cette carrière et de le faire savoir. Ça sert derrière aussi. Il pourrait y avoir un génie du dessin en France, mais si on ne le connait pas, on ne pourra pas le chercher.
Est-ce qu’il y aurait une collaboration particulière justement ces dernières années au Japon qui vous aurait marqué sur laquelle vous auriez travaillé ? Au point de vous pousser à donner encore plus le meilleur de vous-mêmes ? Qui aurait ravivé la flamme : oeuvre mineure ou non ?
Je n’ai rien qui me vient à l’esprit comme ça. Hum… Cannon Busters, un bon projet et collaboration… Hum.. Mais collaboration comment ça ?
Aussi bien un échange humain avec un créateur ou réalisateur qui vous aurait vraiment marqué ? Ou alors plutôt une œuvre sur laquelle c’était vraiment génial de travailler et sur laquelle vous recommenceriez, avec la même équipe ?
Ah je dirais peut-être Space Dandy quand même. Car l’animation était faite dans un autre studio, Bones. Ils m’avaient demandé de bosser avec eux et j’étais surpris à la base qu’on me le propose. Mais il y a plein d’entraide entre studios, ils se connaissent. Comme si on était tous dans l’enfer, la même galère, et qu’il faut se serrer les coudes pour finir les délais etc. Donc Space Dandy c’était vraiment génial. Cannon Busters aussi car c’est une super collaboration. Je me suis toujours construit un peu en opposition avec les Américains comme je le disais, mais je n’avais jamais été là-bas, ni rencontré d’Américain. J’y suis allé l’an passé pour rencontrer cette personne incroyable qu’est LeSean et c’est vraiment une belle surprise de pouvoir travailler avec lui. Je suis aussi un gros fan de jeux vidéo et j’ai eu la chance de bosser avec CAPCOM sur le spin-off Phoenix Wright il y a quelque temps, ils en ont fait un qui se passe à la fin du XIXe à Londres et j’ai pu bosser sur les décors de ce jeu.
Et ça ne vous plairait pas de vous tourner vers le jeu vidéo ?
Si, ça me plairait de bosser sur des productions de jeux vidéo. Ça arrive en fait car je peux déjà le faire maintenant, et je n’ai pas besoin de m’arrêter de travailler dans l’animation pour autant. Il y a des échanges entre ces milieux. Par exemple sur la série Macross Delta sur laquelle on bosse actuellement (ndlr : au moment où il était à Japan Expo), le character design est fait par une designer qui travaille à CAPCOM, et on a déjà bossé ensemble sur quelques projets. Les échanges entre jeux vidéo et animation sont nombreux. Il y a plusieurs collaborations possibles, ce n’est pas parce qu’on est dans une société A qu’on ne pourra pas bosser avec la société B : ça se fait régulièrement, c’est très ouvert au Japon. Si j’étais à Disney je n’aurais pas pu le faire. Tout est bloqué, en rivalité. Au Japon on est beaucoup plus libre.
Si on reste dans l’idée de jeu, plutôt dans l’une de vos séries, s’il y avait un robot ou un personnage qui vous a plu, lequel ce serait ?
Quelque chose que j’ai fait moi, que j’ai créé moi ? Vu que c’est récent je dirais le robot de Cannon Busters. Le héros principal a une grosse cadillac rose qui se transforme en robot mecha taureau. Je me suis éclaté à faire ce design et je suis assez content du résultat. On a fait le pilote où j’ai pu le faire bouger et le réutiliser. D’habitude je fais les design et les autres animent, là j’ai pu le faire moi-même, et redessiner directement dans les animations. Et on a fait une figurine exclusive bien massive fait main pour la promotion du projet. Une belle figurine unique pour l’occasion. C’est ce genre de trucs qui me fascine. J’ai presque quarante ans, mais on reste comme des gamins pour ces trucs-là, ce plaisir qu’on a à bosser, tout comme Stanislas Brunet. On est très professionnels mais on n’oublie pas pour autant la passion.
C’est donc ça qui vous attire dans les robots ? La possibilité d’avoir une imagination débordante ?
Robot et puis n’importe quoi, les univers, les décors. J’aimerais travailler plus l’écriture aussi. Au Japon la barrière de la langue est encore un obstacle, mais pour l’instant la plupart des projets sur lesquels j’ai travaillé, les design ont contribué à la construction des histoires. Mais écrire soi-même, orienter les projets, c’est ce que j’ai envie de faire, donc je vais essayer de m’y orienter. Mais voilà, il faut que je me fasse un nom avant. Je suis connu pour les robots, les décors, pas pour l’écriture. Il faut pouvoir saisir l’opportunité au bon moment et jusqu’à présent ce sont beaucoup de choses comme ça qui se sont passées : il faut donc être patient, non pressé mais présent.
Comme ce que vous disiez hier lors de votre conférence : que si les jeunes veulent percer au Japon, ils doivent beaucoup travailler et persévérer.
Je ne sais plus qui a dit ça, mais ceux qui réussissent n’ont pas forcément plus de talent que les autres, ils sont plus endurants. Certains abandonneront, mais ce sont ceux qui resteront le plus longtemps qui réussiront. Il ne faut pas non plus attendre que ça se passe mais provoquer la chance.
Anecdote de travail et conseils aux animateurs en herbe…
Est-ce que vous auriez une anecdote de travail à nous donner ? Un peu marrante ? Un moment un peu critique ?
J’ai une petite anecdote racontée à ma conférence. J’arrivais pour Oban Star Racer et j’étais surpris car pour moi une série d’animation c’était vingt-six épisodes. Quand on sait comment est produit l’animation, notamment comme on nous l’apprend à l’école des Gobelins, la méthode américaine où on fait beaucoup de dessins, où il faut du temps etc, j’avais l’impression qu’il fallait des milliers de personnes. Et en effet il faut du monde. Mais quand je suis arrivé au Japon et qu’on a commencé à travailler sur les décors de la série Oban, et que je rencontrais les gens qui s’occupaient des décors, ils m’ont dit qu’ils travaillaient avec un autre studio car ils étaient peu nombreux, et on passait dans le quartier où il se trouvait à ce moment-là.
Le producteur me dit « on va passer à côté du studio Rubido qui va nous aider pour les décors des prochains épisodes. » Comme j’étais curieux de voir les locaux j’ai demandé si c’était possible de voir où ils travaillaient pour les rencontrer. Il a passé un coup de fil, et c’était plié. Là on est arrivé devant un immeuble d’habitations. Car ce qu’il faut savoir, c’est qu’au Japon c’est souvent ce genre de chose. C’est-à-dire que les studios ne sont pas forcément dans des immeubles de bureaux. On ne peut pas louer en permanence de gros locaux car les loyers sont trop chers, donc ils louent plutôt des compléments. Et donc parfois des appartements. Alors on arrive au studio Rubibo et là un petit gars vient nous ouvrir. Il se présente, dit qu’il fait parti du studio Rubido, sur place il y avait un ordinateur et un bureau… mais il était seul. Le studio Rubido c’était ce gars-là, seul dans une chambre ! Mais il était vraiment super fort.
Aujourd’hui c’est le directeur artistique de toutes les séries Monogatari. Et ce gars-là a donc bossé sur Oban, il est hyper fort. En fait il n’était pas réellement tout seul car il bossait avec des assistants qui travaillaient de chez eux, ou parfois l’un d’eux se mettait dans un coin de la chambre. Et c’est ce côté artisanal, modeste et petit de l’industrie japonaise, ce contraste entre les studios un peu bordéliques, des gens humbles qui gagnent peu d’argent, et à l’autre bout, quand on voit ce qui sort de la chaîne, des séries qui vont fédérer des fans dans le monde entier, c’est ça qui me plait. Ce contraste est incroyable, et moi ça me passionne, je trouve ça génial. J’aimerais que les créateurs aient plus de confort, mais l’argent est mal redistribué, c’est l’un des problèmes, c’est le système qui est comme ça, mais j’aime ça. Voilà pour l’anecdote.
Pour terminer cet échange, est-ce que vous auriez un message précis à donner, par exemple à la nouvelle génération qui resterait peut-être trop bloquée par rapport à internet, la 3D, tout ça ?
(Hésitation) Je ne sais pas… Je ne suis pas leur père, je ne vais pas leur dire ce qu’il faut faire, il faut qu’ils trouvent seuls leur voie. Mais pour ceux intéressés de faire comme nous, on a lancé un site, Furansujin connection, une initiative. On sait que c’est un truc de niche, on ne cherche pas à faire beaucoup de vues : c’est vraiment pour une petite branche de personnes, passionnées, qui dessinent déjà, qui veulent faire de l’animation leur métier et bosser au Japon. On pense que c’est important de le faire, même si c’est pour une poignée de personnes seulement, car on est une petite communauté très soudée qui grandit au fil des années. On était quatre au début, il y a dix ans, on est une vingtaine aujourd’hui. On essaie de se voir souvent, et on est la plus grosse communauté d’occidentaux au Japon (il n’y a pas autant d’américains, d’anglais…) dans le milieu car on a créé ce réseau de manière informelle.
On aimerait le mettre en avant pour dire qu’il y a des gens au Japon qui ont réussi dans ce secteur. Donc c’est possible. Car on est toujours en contact avec des écoles d’animation, on a des messages de jeunes avec différentes questions… donc on explique et réexplique à chaque fois. Alors on s’est dit qu’on allait faire un site, que tout serait là, qu’ils n’auraient qu’à tout lire… Tous ceux qui pensent « moi je dessine bien, j’adore les anime, je vais y aller », ils vont découvrir le site et ils vont se dire : « ah ouais non, faut bien se préparer avant. » Et il y aura ceux qui vont se dire « ah non, c’est trop dur au Japon, ils bossent tout le temps, j’y arriverai jamais » : ils vont aller sur le site, ils vont voir que c’est dur, mais ils vont savoir quoi faire. Donc on a cette initiative-là, où on explique comment fabriquer un anime au Japon, et donc montrer les différences, les subtilités… Et même pour les fans qui aiment analyser, qui veulent découvrir les coulisses, là ils pourront tout voir concrètement.
On présente certains studios, dont ceux qui acceptent les étrangers, mais on compte ajouter d’autres interviews. On s’interview nous-mêmes aussi, on se pose des questions à nous-mêmes. Certains sont venus et sont repartis, donc on indique pourquoi, etc. C’est une sorte de retour d’expérience qui peut être utile, et en même temps qui permet de montrer des visages souriants qui ont réussi sur place. Globalement on a des expériences très positives. Même si on est moins bien payés, on est content de bosser sur place. On a aussi mis un lexique en place, notamment par rapport à l’animation. On propose des conseils pour aider à se loger, les formations à faire, etc. On a lancé le site et on continue de l’alimenter. Mais ce n’est pas un site d’actualité et de choses à vendre, c’est informatif, comme un ascenseur qu’on renvoie car on ne l’a pas eu nous-même, et qu’il faut bien commencer.
Merci beaucoup à vous pour cet échange !
Journal du Japon tient à remercier particulièrement Thomas Romain pour sa bonne humeur, et sa disponibilité. On remercie également Japan Expo d’avoir permis cette interview.
Génial cet entretien !
Bonjour Xavier,
Paul OZOUF, rédacteur en chef.
Merci de nous avoir lu et ravi que ça t’ai plu : On a pris beaucoup de plaisir à la faire également ! 🙂