Quand Hatsune Miku s’invite dans la peinture traditionnelle japonaise
La ville de Kyôto s’invite depuis quelques années maintenant à Japan Expo, et est devenue l’un des stands incontournables pour les amoureux de culture japonaise. Après la venue de l’équipe du film Uzumasa Limelight l’année dernière, l’un des évènements à ne pas manquer cette année, c’était la présence du peintre Tsutomu HIRAO, venu faire découvrir son art au public français.
Rencontre avec un maître aussi charismatique que chaleureux et abordable !
Sur le stand de la ville de Kyôto, cette année on pouvait admirer les spectacles des danseuses en kimono ou des acteurs de chambara, porter de jolis kimonos ou se faire tirer le portrait (version manga), déguster un thé froid parfumé au Yuzu, ou encore s’essayer à la peinture à l’encre de Chine sous l’égide du maître-peintre Tsutomu HIRAO. Avant de participer à l’un de ses ateliers, nous avons eu la chance de pouvoir le rencontrer et échanger avec lui sur son parcours, et sur l’exposition qu’il présentait cette année à Japan Expo.
Retour sur une rencontre avec un monsieur impressionnant mais passionnant !
Rencontre avec l’artiste
Bonjour et enchantée de vous rencontrer ! Pour commencer, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Enchanté ! Je suis ravi d’être ici, c’est mon premier voyage en France. Je suis venu pour participer aux évènements sur le stand de la ville de Kyoto, et principalement pour présenter mes peintures, dans lesquelles j’ai représenté des personnages de mangas et d’animés avec les motifs traditionnels du Japon.
Parmi les visiteurs, s’il y en a qui peuvent ainsi commencer à adorer la peinture japonaise et l’aquarelle à l’encre de Chine, j’en serais très content ! Je m’amuse beaucoup tous les jours à Japan Expo ! (rires)
Nous aussi, à venir vous voir peindre tous les jours sur votre stand ! (rires)
Merci !
Vous peignez depuis votre adolescence. Et le déclic est né en admirant une œuvre célèbre… Se découvrir une vocation à 15 ans, ce n’est quand même pas banal ! Qu’est-ce qui vous a fasciné dans « Les dieux du tonnerre et du vent » de Sotatsu TAWARAYA ?
Et était-ce évident au milieu des années 60 de se lancer dans une carrière de peintre ?
Pour moi, 15 ans, ce n’était pas trop tôt pour décider de ce que je voulais faire.
Quand j’étais petit et que je lisais le manga de Osamu TEZUKA, Astro Boy, ça m’a donné envie d’être dessinateur de mangas comme lui. Puis j’ai eu l’occasion d’admirer Les dieux du tonnerre et du vent de Sotatsu TAWARAYA et ça a vraiment été un choc !
Devenir dessinateur de mangas pour gagner sa vie, c’était très bien, mais ce qui m’a encore plus marqué, c’est la portée et l’importance de la peinture traditionnelle japonaise. Et si je pouvais y arriver, je voulais être le successeur de cette peinture-là. Donc prendre ma décision à ce moment-là, ce n’était pas trop tôt.
Et depuis, comme j’aurai bientôt 65 ans, cela va faire 50 ans que je peins…
Une sacrée carrière ! (rires)
Oui en effet !
Vous travaillez en collaboration avec le Musée International du Manga à Kyoto, ce partenariat a-t-il justement un lien avec votre venue en France à Japan Expo, sur le stand de la ville de Kyoto ?
En fait, je ne connais pas trop les détails de l’organisation. (rires)
L’interprète précise : Ce que je peux expliquer, c’est que M. Tsutomu HIRAO travaille dans un atelier de kimonos à Kyoto, Toyowado. C’est un atelier haut-de-gamme, où les kimonos et les ceintures (obis) relèvent de la haute-couture, et où il réalise de la peinture sur tissus. Peu de personnes ont un tel niveau technique pour réaliser ce type de peinture.
Au départ, ce qui s’est passé, c’est qu’un grand éditeur de mangas, Kadokawa, s’est intéressé à sa technique, afin d’allier la représentation de personnages de manga avec les motifs traditionnels japonais de l’école Rimpa. Cela permettrait ainsi aux jeunes de découvrir la peinture traditionnelle du Japon. L’exposition au Musée International du Manga a d’ailleurs vraiment bien marché (NDLR: exposition Rimp-A-nimation, cf. affiche ci-dessous) !
Kadokawa a également, forcément, beaucoup de liens avec les autres éditeurs et les ayants-droits des personnages, et participe aussi au festival Kyomaf (Kyoto Anime Fair).
Tout cela a donc un lien avec la venue de M. Tsutomu HIRAO sur le stand de la ville de Kyoto aujourd’hui.
Comment s’est déroulée cette collaboration, entre Kadokawa et vous ?
L’année dernière, on fêtait les 400 ans de l’école Rimpa. À première vue, les motifs de ce style de peinture peuvent sembler très vieux. L’idée, c’est que si l’on y ajoute devant un personnage contemporain, cela peut permettre de s’intéresser à ce qu’il y a derrière. Car même pour les japonais, les peintures traditionnelles sont un peu oubliées alors qu’elles recèlent plein de belles choses. Les jeunes ne sont pas trop conscients de l’existence de cette belle culture. Alors il faut que les japonais puissent redécouvrir cet art, et l’idée était de pouvoir le présenter à l’étranger également.
Comment composez-vous vos tableaux, du premier plan aux motifs choisis pour le fond ? Avez-vous une méthode particulière pour créer vos œuvres et choisir les personnages que vous allez représenter ?
Pour le choix des personnages, il y a des propositions qui peuvent venir de l’éditeur, ou des différents agents qui s’occupent du personnage. Par exemple si l’on parle des personnages de Osamu TEZUKA, vous pouvez voir le résultat sur les œuvres exposées sur le stand.
Pour Le Phénix et le Mont Horai (NDLR : cf. vidéo ci-dessus), ce n’était pas trop difficile de trouver l’association avec le motif japonais. Après tout, je travaille comme peintre depuis 50 ans, donc j’ai des idées et de l’expérience ! Et ce dessin de la montagne, parmi tous les autres motifs, je l’adore vraiment. Donc ce choix-là n’était pas trop difficile à faire.
Et puis parfois, ce que je dessine avec ces personnages, il faut qu’on en discute avec les éditeurs, mais le choix du motif japonais derrière ce n’est pas compliqué à faire, je fais des propositions et cela se passe plutôt bien. Mais je pense que cela vient de mon expérience.
Par rapport au choix des couleurs, on voit que certaines techniques produisent des teintes très typiques. Comment les harmoniser avec les couleurs des personnages de mangas qui sont parfois plus vives ?
Cette fois-ci, dans les œuvres que j’ai apportées en France, je n’ai pas mis beaucoup de couleurs très vives. Mais des personnages comme Hatsune Miku ou ceux de Osamu TEZUKA ont été créés par des japonais, donc je pense qu’on y retrouve quand même un petit peu les bases de la peinture traditionnelle. Donc harmoniser les couleurs de la peinture traditionnelle japonaise et celles plus vives des personnages, pour moi ce n’était pas trop difficile. C’est vrai qu’il faut parfois coloriser de manière un peu plus sombre que l’original, mais je n’ai pas trouvé que c’était compliqué d’avoir un rendu harmonieux entre ces deux univers qui peuvent paraître éloignés.
Des tableaux du maître, avec Princesse Saphir, Hatsune Miku,
Hiiragi Kagami (Lucky Star), Rilakkuma, Korilakkuma et Kiiroitori
Là c’est mon premier voyage en France, donc évidemment, je vois que la sensibilité aux couleurs est différente par rapport au Japon. Mais si le peintre que j’adore, Sotatsu TAWARAYA, avait pu venir en France, il aurait peut-être remarqué aussi cette différence de couleurs. En même temps, il a essayé d’harmoniser les couleurs depuis sa naissance. Donc je pense que c’est un peu la même chose, d’essayer de mélanger les couleurs de différents pays, ou celles de personnages d’animés avec la peinture traditionnelle japonaise.
À Japan Expo sur votre stand, on peut vous voir esquisser assez rapidement de grandes aquarelles à l’encre de Chine sur d’immenses feuilles blanches. Mais combien de temps prenez-vous pour réaliser un tableau tel que celui de « Hatsune Miku dans les Iris » par exemple ?
Par exemple, pour le paravent de Hatsune Miku, on n’a pas amené le vrai car il est énorme, sans compter le problème des frais de transport, donc on n’a pas pu (rires). Mais le vrai mesure 6m de largeur sur 1m50 de hauteur.
Normalement pour un tel tableau, il me faut 3 mois de travail. Mais comme la date de l’exposition était déjà fixée, j’ai été obligé de le finir en seulement 3 semaines !
Sans dormir et sans manger ? (rires)
(rires)
Trois semaines c’était trop court, ça m’a demandé beaucoup de concentration, et de rapidité aussi… C’était assez dur.
Un vrai défi !
Oui (rires). Mais c’était une belle occasion, car il n’y a pas beaucoup de travaux tels que celui-là. Donc c’était dur, mais je me suis bien amusé ! J’ai beau avoir plus de 60 ans, comme ce genre de travail demande de la rapidité, je pense également que cela me permet d’améliorer encore ma technique.
Par exemple, les sportifs professionnels commencent à travailler très tôt, mais terminent parfois leur carrière à seulement 30 ans, comme des joueurs de foot qui ne pourraient pas continuer leur carrière en tant que joueur pro jusqu’à 60 ou 70 ans.
Mais ce que je pense c’est que moi qui ai 65 ans, je suis encore débutant dans la peinture traditionnelle japonaise, et que ce n’est que quand j’aurai 90 ans que ma technique sera enfin parfaitement accomplie.
Ah, vous ne comptez pas prendre votre retraite alors ? (rires)
Ah jamais. Quand je serai mort ! Il n’y a que là que ma carrière sera finie (rires).
Le jour où mes yeux ne verront plus et que mes mains trembleront. Mais en attendant, tant que la santé suit, je dessinerai jusqu’à ma mort, et c’est justement ça qui est bien dans mon métier et qui me plaît.
Auriez-vous un conseil à donner à la jeune génération qui voudrait se lancer dans une carrière artistique ?
Ce que je pense, c’est que si vous avez déjà choisi d’être artiste-peintre, vous avez de la chance, car ce n’est vraiment pas facile de trouver ce qu’on veut faire dans la vie. Mais une fois qu’on a choisi son métier pour la vie, il faut avancer tout droit, c’est ça qui est important.
J’ai 65 ans et j’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de jeunes qui arrivent à trouver ce qu’ils voudraient faire, et à avancer. Mais des expériences dans la vie vous aideront à trouver ce que vous voulez faire. Et si vous vous trompez de chemin, ce n’est pas grave, ça deviendra une belle expérience dans votre vie. Donc il faut continuer, si vous avez déjà décidé.
Et pour ceux qui n’ont pas encore trouvé ce qu’ils veulent faire faire, il faut être curieux, et essayer beaucoup de choses…
Après, quand j’étais jeune, c’était beaucoup plus facile de trouver ce qu’on voulait faire comme métier, contrairement à cette époque. Aujourd’hui il y a beaucoup trop de choix, alors c’est difficile de trouver un métier. Peut-être que j’ai eu de la chance d’être né il y a 65 ans ! (rires)
Mais je pense que vous aussi un jour, vous trouverez ce que vous voulez faire.
Une dernière question, cela fait trois jours que vous rencontrez le public de Japan Expo. Aviez-vous déjà eu l’occasion d’échanger avec le public, qu’il soit connaisseur ou néophyte, et avez-vous l’intention de participer à d’autres manifestations comme celle-là, ailleurs qu’en France ?
En fait, c’est la première fois que je participe à ce genre de festival. De métier, je suis peintre sur tissu, mais je vends aussi les kimonos et les obis que j’ai peint, donc j’ai tout de même l’occasion de communiquer, même si c’est plus avec les clients qu’avec le public.
Donc c’est la première fois que je vois autant de monde et autant de jeunes surtout, c’était vraiment une expérience inattendue. J’ai vraiment de la chance, à 65 ans, de vivre encore de nouvelles expériences que je n’attendais pas du tout, donc pour moi cette participation à Japan Expo était vraiment importante dans ma vie. Alors si j’ai encore l’occasion de participer à d’autres évènements ou expositions de ce genre, je veux bien ! (rires)
Merci beaucoup !
Merci à vous.
Participation à l’atelier de peinture
Le lendemain de cette rencontre, le dimanche, avec deux amis, nous avons eu l’occasion de participer à l’atelier de peinture du maître. Avec une dizaine d’autres personnes assises autour de petites tables, M. Tsutomu HIRAO nous a proposé de reproduire ou de nous inspirer d’un modèle qu’il a tracé devant nous (photo ci-contre). Avec une grande maîtrise dans ses gestes, il a ainsi peint une tige de bambou avec ses nœuds et ses branches. Vous me croirez si vous le voulez, mais la précision et la beauté dans la manière dont il a réalisé cette esquisse, en apparence simple, était véritablement émouvante !
Même avec de bonnes notions en dessin, j’avoue que maîtriser la fluidité de l’encre de Chine, quand on ne s’en est jamais servi, n’est pas évidente. Chacun a cependant fait du mieux qu’il a pu, et si nos modestes aquarelles étaient toutes convenables, certains ont fait preuve d’un talent remarqué par le maître ! Après avoir complimenté ses meilleurs élèves d’un jour, M. Tsutomu HIRAO a ensuite fait le tour de nos travaux pour y apposer à l’encre orangée des cercles concentriques (manière de « noter » la qualité de l’œuvre, mais pour nous encourager, on a tous eu de bonnes notes je crois !), ainsi qu’un petit commentaire en japonais.
Un chouette moment, convivial et touchant, qui figure parmi les petits instants rares de Japan Expo à ne pas manquer !
Plus d’infos sur le site officiel : http://www.toyowado.com/index.html
Twitter : https://twitter.com/Info65380350
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Merci à Charlotte NAUDIN pour l’organisation de cette rencontre, à Mme Yasuko FUJIMORI pour la traduction, ainsi qu’à M. Tsutomu HIRAO pour sa passion aussi enthousiaste que communicative !
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