[Manga] Votre Fantasy, vous la voulez comment ?
La fantasy, ce terme issu de l’anglais pour désigner l’imagination, est un genre littéraire que les fans de mangas connaissent tous, de près ou de loin, et qui revient de temps à autre, par vague, dans la BD nippone. Dans les mangas, comme dans la littérature ou le jeu vidéo où ils sont très présents, il existe beaucoup de variantes et de sous-genres : light, dark, heroic, science, medieval, etc. Chacun a ses spécificités et ce n’est pas le choix qui manque… D’ailleurs, depuis plus d’un an dans notre hexagone, une nouvelle déferlante de manga fantasy témoigne de cette diversité.
Journal du Japon vous propose donc une petite sélection des nouveautés 2015-2016 pour découvrir ou re-découvrir une thématique qui a de multiples façons de s’exprimer et de vous embarquer dans des mondes pleins de mystères !
Les univers des mangas fantasy
Comme nous le disions, tout le monde a une idée (au moins vaguement) de ce qu’est la fantasy. Mais sachez tout de même qu’il en existe plusieurs définitions. Parfois évoquée comme le synonyme de merveilleux, terme censé prévaloir dans notre langue, sa définition officielle demeure assez vague : « genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique, qui prend ses sources dans l’histoire, les mythes, les contes et la science-fiction » (Journal Officiel, 2007). On commence à mieux le cerner si on complète cette première version par celle de l’écrivain André-François Ruaud : « La fantasy est une littérature fantastique incorporant dans son récit un élément d’irrationnel qui n’est pas traité seulement de manière horrifique, et présente généralement un aspect mythique et est souvent incarné par l’irruption ou l’utilisation de la magie. »
Magie, irrationnel, mythe…ok, on y voit un peu plus clair… mais demeure un certain enchevêtrement entre fantastique et fantasy, la place du second comme sous-genre du premier faisant encore débat. Pour notre article et pour faire simple, disons que le fantastique se définit comme l’intrusion du surnaturel dans une réalité telle que la nôtre ou qui y ressemble. Dans la fantasy, l’univers est intrinsèquement surnaturel et la magie ou autres créatures extraordinaires ne posent pas question, elles sont acceptées comme parfaitement naturelles par le lecteur. Avec la magie, l’influence médiévale et la notion de quête plus ou moins manichéenne comme ingrédients de base, des séries comme Slayers, Lodoss, Berserk, Dragon Quest, Bastard!!, Übel Blatt, Spice and Wolf et Fullmetal Alchemist ou Fairy Tail sont quelques incontournables, mais nous sommes encore loin d’avoir atteint les limites de ce genre.
Petit résumé, donc, des univers déployés dans les nouveautés 2015-2016 pour parfaire ce portrait ou tout simplement renouveler vos lectures en la matière…
Le plus « ancien » titre de notre sélection, Minuscule de Takuto KASHIKI, paru chez Komikku début 2015, appartient en partie à la fantasy animalière qui contient des animaux anthropomorphisés et a aussi un petit goût de conte de fées. Deux héros, Hakumei et Mikochi, mesurent 9 centimètres et habitent dans un tronc d’arbre. Ils se déplacent à dos de scarabée, construisent des tentes avec des feuilles de mandarinier et travaillent tous les jours avec le peuple de la forêt. Chez le même éditeur, The Ancient Magus Bride de Koré YAMAZAKI est plus proche de notre monde réel, et s’apparente en ça à de la low fantasy. Mais cela n’empêche pas Chisé Hatori, 15 ans, et le sorcier Elias, qui l’a récemment rachetée pour en faire sa disciple et son épouse, de vivre dans un monde de fées, d’esprits de la nature et de dragons…
Le succès fantasy de l’année dernière est publié par Kurokawa et s’est vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires : il s’agit de The Heroic Legend of Arslân de Hiromu ARAKAWA. Cette adaptation du best-seller nippon de Yoshiki TANAKA est un bel exemple de fantasy orientale, avec une petite touche de fantasy médiévale. Comme l’explique le résume officiel, le récit évolue aux confins de l’orient où, suite à une trahison, l’armée du royaume de Parse est défaite par ses ennemis traditionnels, les Lusitaniens. Seuls le jeune Arslân, l’héritier du trône, Daryun, un général demeuré fidèle et Narsasse, un ex-stratège militaire retiré dans la campagne avec son disciple Eram, parviennent à s’enfuir. Ils seront bientôt rejoints par Guibu, un musicien errant, Alfrid, l’héritière du pays des voleurs qui s’est entichée de Narsasse, et la magnifique Farangis, prêtresse dévouée dès sa naissance à la protection d’Arslan.
Décidés à reconquérir le trône, Arslân et ses amis devront se battre contre celui qui s’est proclamé seul héritier légitime : Hirumes, le Chevalier au Masque d’argent. Ainsi débute une longue et pénible lutte pour Arslân, ce jeune homme de 14 ans n’aimant pas la guerre, mais qui va chercher à libérer son pays de l’esclavage et à briser le carcan de l’aristocratie…
En 2015 ces premiers exemples de fantasy ont assez bien rencontré leur public, donc il n’est pas étonnant que les choses s’accélèrent en 2016 avec six nouveautés dans notre viseur en un seul semestre, plutôt orientés high fantasy – un monde alternatif d’inspiration médiévale où la magie joue un rôle prépondérant – ou heroic Fantasy, qui s’en rapproche mais avec une quête souvent plus solitaire. Ces univers se rejoignent à merveille avec les scénarios des RPG et on retrouve logiquement des mangas venant de cet univers, comme Drakengard et Dragon’s Crown directement adaptés des jeux vidéo éponymes. Dans le premier, un héros sans pitié capable de contrôler un dragon et un elfe pervers et arbalétrier de génie s’adonnent au massacre des individus aux yeux rouges, en brûlant leurs villes et en perpétuant toutes sortes d’atrocités… Dans le second on suit six valeureux aventuriers dans des labyrinthes peuplés de créatures fantastiques où ils devront faire face aux plus terribles des épreuves pour obtenir un artefact légendaire : le « Dragon’s Crown ».
Autre seinen de 2016, Re : Monster est publié depuis juin par les éditions Ototo et utilise les notions de level up et d’acquisition de compétences, caractéristiques des RPG, pour créer une épopée inattendue : celle d’une tribu de gobelins menée par un être malin et puissant qui se réincarne un beau jour en l’un d’eux. Kanata Tomokui, c’est son nom, va évoluer de façon fulgurante pour prendre rapidement la tête de sa race et la faire entrer dans une nouvelle ère !
Au milieu de ces éléments bien connus des amateurs, d’autres titres proposent des univers plus exotiques, comme Dodoma, nouveau shônen de Komikku, qui puise dans des influences sud américaines pour construire Orbis, un monde de pierre clos avec en son centre un arbre de vie. Mais ce monde est éprouvé par de multiples tremblements de terre et, un beau jour, un séisme d’une violence sans précédent frappe Orbis puis la cité est attaquée par un peuple étranger. Deux frères, Mana et Shino, vont alors percer les secrets de leur petit monde et découvrir une réalité des plus cruelles !
Autre possibilité, celui de mélanger les mondes : Gate, publié aux éditions Ototo, va mixer dans la violence et par le truchement d’un portail dimensionnel des ingrédients célèbres de la fantasy (magie noire, les dragons, caractère médiéval,…) et de notre monde actuel, avec ses armes modernes et son ingénierie militaire des plus développées. Les Forces japonaises d’autodéfense, les FJA, vont donc s’installer chez l’ennemi et y entreprendre une mission d’exploration…
Enfin, pour finir le voyage, ajoutons un autre seinen original, car il met une femme à la tête d’un récit typique d’heroic fantasy : Stravaganza aux éditions Casterman. Entre Berserk et Bride Stories, comme le dit l’éditeur, le lecteur découvrira le royaume d’Auroria jusqu’ici paisible et dont la capitale semble à l’abri derrière ses remparts. Mais c’est aussi un monde sauvage qui regorge de créatures aussi merveilleuses qu’hostiles. La jeune et insouciante reine Viviane, la Reine au masque de fer, va devoir affronter un immense péril qui menace son royaume et mener son peuple à l’abri en temps de guerre…
Les univers des mangas de fantasy sont donc des plus vastes et délimités uniquement par l’imagination de leurs créateurs : on pourrait ajouter Drifters de Kohta HIRANO comme exemple de fantasy historique ou encore Seven Deadly Sins de Nakaba SUZUKI pour parler de fantasy arthurienne que nous serions encore loin du compte.
Si les univers se déploient donc à l’infini ou presque, mieux vaut prendre un second point d’entrée, pour mieux appréhender tous ces titres : la quête du bien contre le mal, et où chaque manga place sa frontière entre lumière et obscurité…
Héros, guerres et barbares : dark ou heroic fantasy ?
Si la fantasy se caractérise par une épopée et un ennemi à abattre, on peut donc ranger les deux premiers titres de notre sélection dans une catégorie un peu « à part ». De quête et de nemesis, il n’est en effet nulle question dans Minuscule, qui s’apparente bien davantage à la comédie tranche de vie, mais dans un univers féerique. Rebâtir un moulin, préparer des cannelés, faire ses courses au marché ou encore régler un conflit entre les habitants d’une résidence, tel est, en effet, le quotidien de nos deux modèles réduits au centre de cette aventure, toujours gorgée de nature. Et comme tout est bien qui finit bien, pas de tragédie dans ce conte adorable pour lecteur de tout âge, qui garde finalement l’émerveillement comme seul vrai point commun avec le merveilleux.
Dans The Ancient Magus Bride, d’ennemi il est bien question. Dans le monde magique où vit Elias depuis plusieurs siècles, tout n’est pas rose et beaucoup d’âmes sont en errance, à la portée des êtres les plus vils. Mais, maintenant qu’il a Chisé auprès de lui, le but de notre sorcier n’est pas d’exécuter une vengeance, de répandre la justice ou de sauver le monde… Il s’en moque totalement à vrai dire, et le cœur de cette histoire reste avant tout la romance, même si l’émerveillement, développé par l’initiation de Chisé aux choses magiques, est là aussi présent. La jeune fille étant elle-même le véhicule d’une magie assez convoitée, notre jeune couple aura donc à lutter face à quelques ennemis dès les premiers volumes, mais il s’agira toujours de se défendre, de préserver l’un l’autre et tous ceux qui leur sont chers. Le travail de Koré YAMAZAKI tient donc en partie du conte féerique et en partie de la romance, pour un public un peu plus âgé que minuscule… Et amoureux de la nature, là aussi.
De quête il est bien question dans le reste de notre sélection, mais le triomphe du bien contre le mal n’est jamais évident. Seul Dragon’s Crown, avec ses six héros que peut incarner le spectateur dans la version vidéo ludique, tranche assez nettement la question du bien et du mal : vous êtes du côté du bien et vous devez vaincre d’hostiles créatures ou des humains malfaisants. Le chemin est fait d’adversité mais on se serre les coudes entre chevalier, nain, mage, amazone et sorcier, et c’est la gloire ou le sentiment d’avoir accompli un acte héroïque qui vous attend à l’arrivée. Simple et efficace.
Cependant, sauver son prochain n’est pas un métier si courant dans les mangas. C’est bien souvent un destin cruel et funeste qui pousse un héros ou une héroïne à prendre les armes. Si vous cherchez justement des héros en devenir le jeune Arslân ou la princesse Viviane sont des figures parfaites de l’heroic fantasy et partagent beaucoup de points communs. Tous deux appartiennent à la royauté et sont amenés à diriger un peuple un jour ou l’autre, mais cela constitue un futur lointain et ils pensent avoir le temps devant eux pour y parvenir. Jusqu’au jour où un imprévu va faire basculer leur destin. Pour le prince frêle et au tempérament passif, il faudra donc la trahison que subit son père, le redoutable roi Andragoras, pour l’obliger à fuir l’envahisseur lusitanien. La fuite sera également la seule option pour Viviane : notre princesse insouciante qui rêvait de voir le Monde va assister à l’assaut de sa capitale par une horde de Wumbas – sorte de gigantesques yétis féroces. Face à l’horreur d’une capitale en ruine et d’un peuple partiellement massacré, c’est l’exode des survivants qui s’annonce avant le retour des Wumbas.
Stravaganza © 2014 Akihito Tomi
Exil en petit nombre ou exode massif : voilà donc une tragédie commune qui fait notre point de départ, pour des héros qui mûrissent à vitesse grand V, ouvrant aussi leurs yeux sur le Monde qui les entourent. Avec seulement deux tomes, difficile d’esquisser tous les enjeux pour Viviane dans Stravaganza, mais avec cinq volumes parus, The Heroic Legend of Arslân a déjà pavé le chemin de nombreux combats et de magie occulte. Preuve de la richesse de l’oeuvre, il est aussi abordé des questions plus profondes sur le destin d’un Roi et ses responsabilités : abolir l’esclavage pose par exemple des problèmes insoupçonnés et la foi en une religion peut pousser à des massacres d’une ampleur effroyable. Le sang coule à flot dans les deux séries mais c’est seulement en se relevant de ces drames et en partant au combat contre un ennemi cruel et violent que se forgeront les deux figures clés de ces récits d’heroic fantasy.
Pour relier ces trois œuvres d’heroic fantasy à la quatrième, Drakengard, l’érotisme est une passerelle de choix, car elle est n’est pas exclusive à la dark fantasy, même si ce genre lui correspond à merveille : ambiance plus sombre, plus adulte et donc plus propice aux rapports charnels. Dragon’s Crown est par exemple parfumé de fan service, avec des bonnets F et G comme vous n’en avez jamais vu, mais Drakengard va nettement plus loin avec un érotisme assez sombre, que l’elfe sadique de cet histoire teinte de violence. Même pour les amateurs de Dark Fantasy, qui avait pu apprécier les scènes érotiques de Übel Blatt par exemple, l’adhésion ne sera pas unanime.
C’est tout l’inverse pour Stravaganza : à l’image de son premier volume souvent insouciant, la série aspire à des passages plus légers, que ce soit par des ressorts comiques ou, comme le qualifie à merveille l’éditeur, par des moments grivois… On ne saura donc pas surpris de croiser un vieillard dans la lignée d’un Tortue Géniale / Kamé sennin (Dragon Ball) : expert en art martiaux et qui aime bien reluquer sous les jupes des filles, et encore plus si cette dernière appartient à la famille des géants ! Enfin les femmes de Arslân sont belles, sans aucun doute, mais la série ne cherche pas à titiller le lecteur dans cette direction et assimile la belle plastique, comme dans la réalité, à un pouvoir de séduction et éventuellement à un outil politique redoutable.
Farangis (Arslân) et Viviane (Stravaganza)
Enfin, moralité et héroïsme sont abordés différemment dans Gate, Dodoma ou Re: Monster. Le premier possède un personnage principal assez inattendu : un otaku de fantasy est en effet en charge de l’unité d’exploration de ce monde qui s’est ouvert sur le nôtre. Bien qu’évidemment du coté des humains de notre dimension, ce héros éprouvera une certaine fascination (qui va s’avérer souvent réciproque) pour les chevaliers, sorciers et créatures de ce monde qu’il ne croyait appartenir qu’aux livres ! Heureusement le manga ne tombe pas dans la béatitude et le fantasme de fan puisque, même si la porte dimensionnelle est apparue au Japon, ce sont les puissances du monde entier qui vont bientôt œuvrer pour aller explorer ce monde pour en extraire – en piller même – les plus grandes richesses. Un héros et des compagnons attachant par leur humanité et qui vont devoir se forger leur propre code de conduite au milieu d’une guerre sans pitié.
Dans Dodoma aussi, notre héros n’appartient pas d’emblée et unilatéralement au camp des bons contre celui des méchants. Ce titre qualifié de shônen fantasy a beau être une aventure tout public, il n’en oublie pas pour autant de pousser par moment la réflexion sur le prix à payer pour survivre. En découvrant un monde beaucoup plus vaste et plus cruel qu’il ne l’aurait cru, Mana et Shino vont devoir opter pour la loi du plus fort et appliquer la règle du tuer ou être tué. Il découvriront alors les drames qui peuvent se cacher derrière la mort d’un ennemi et du peuple qui l’accompagne. La ligne entre bien et mal n’est donc pas droite mais en zig zag et évite ainsi le manichéisme trop étincelant.
Enfin dans le dernier récit de la liste, Re: Monster, c’est presque l’amoralité qui domine. Ici, on pousse la loi du plus fort un cran plus loin en débarquant chez les gobelins, des créatures maléfiques et souvent cataloguées comme stupides : c’est le bas peuple du côté obscur dans un grand nombre de récits. L’univers est donc sans pitié et l’ambiance n’est pas vraiment au sauvetage de la veuve et de l’orphelin. Pour régner sur les siens puis les emmener vers une nouvelle ère, Kanata Tomokui sait très bien qu’il faudra verser le sang, et il aimerait autant que ce ne soit pas le sien. D’autant que pour acquérir de nouvelles compétences la recette est assez simple : manger celui qui la possède ! Néanmoins son intelligence, bien au-dessus de celle de ses congénères, l’empêche de devenir un gobelin totalement sauvage et il fait parfois preuve d’une certaine clémence qui finira, d’ailleurs, toujours par lui profiter.
Comme dans la littérature, les mangas de fantasy s’aventurent donc sur des terres extrêmement vastes et leurs quelques points communs ne les empêchent pas, pour autant, de partir dans des directions diamétralement opposées. La seule chose qui est certaine, c’est que cet univers convient parfaitement aux bandes dessinées japonaises et à ses lecteurs, et que la thématique, qui nous a déjà offert de grands moments, ne semble pas prête de s’épuiser !
Et vous, quel est votre manga de fantasy préféré ?