Anime – Manga : quand la révolte gronde !
Amitié, sport, aventure, romance… Les mangas et les animes comptent une pluralité de thématiques à aborder. Aujourd’hui, Journal du Japon s’intéresse à l’une d’entre-elles, peu souvent évoquée mais qui sait marquer les esprits : la rébellion. En effet, qu’ils soient un élément central de l’intrigue ou relégués au second plan, les soulèvements de nos héros contre le pouvoir en place ont enflammé nos esprits dans de nombreuses œuvres…
Peu importe le genre, le lieu ou l’époque car, entre oppression et injustice ou illusion et réalité, quand le désir de changer la société est là, la révolte gronde !
Lutter pour soi-même, ses semblables ou ses idéaux
Pour les personnages, il existe tout un tas de raisons de se battre : par intérêt personnel, pour dénouer la complexité du monde et le changer, ou tout simplement pour protéger leurs proches. Et, dans cette logique, les notions de vie et de liberté sont omniprésentes.
Etre condamné à la peine capitale et accusé à tort d’un meurtre est sans aucun doute une raison suffisante pour lutter… D’autant plus si la prison dans laquelle le détenu en question se trouve suit ses propres règles au détriment des droits de l’Homme. Cette idée transparaît dans le manga Deadman Wonderland où Ganta, 14 ans, paye les frais d’une machination sans nom qui le conduit à subir un sort bien pire que la mort. Entre jeux mesquins, torture physique et psychologique et perte de repères, il tentera par tous les moyens de survivre et découvrir les sombres secrets de cette administration pénitentiaire plutôt… originale.
À l’origine, le personnage principal ne trouve aucun allié partageant sa sanité d’esprit, ce qui le différencie d’ailleurs des autres. Cette caractéristique permet au lecteur de s’identifier et de trouver des repères « normaux » dans ce complexe infernal. Ganta fait par la suite la connaissance d’un groupe ayant pour but de dénoncer les agissements de la prison. Mais révéler au monde entier la grotesque illusion à laquelle il fait face n’est pas une mince affaire ! Chaque membre croit en sa propre définition de la liberté et fera tout pour s’évader de ce terrain de jeu sanglant. La lutte individuelle devient alors le combat d’un groupe, où les désir de vengeance et les justice sont les principaux moteurs.
Dans Owari no Seraph, l’oppression et la révolte se transcrivent autrement : la série démarre sur l’esclavage subi par des enfants humains. Etant au service de leurs maîtres vampires, ils ne peuvent s’échapper sous peine d’être tués. En parallèle, un mouvement d’opposition est en plein essor : celui de l’Armée Impériale du Japon. Le protagoniste de l’intrigue décide de rejoindre ses rangs afin d’exterminer la menace des suceurs de sang et de se venger du mal qu’ils lui ont fait.
L’esclavage et la rébellion qui en découle sont des thèmes récurrents dans les mangas, on le retrouve notamment dans Arlsan Senki, Magi ou même One Piece. Dans cette série, la pratique de l’esclavage est monnaie courante. Et pendant que des individus sont déshumanisés, le Gouvernement Mondial, lui, ferme les yeux ! L’appât du gain semble plus fort… Face à cette corruption, un groupe anti-gouvernemental, les « Révolutionnaires », tentent de nuire à l’équilibre de la société en aidant les îles à obtenir leur indépendance et en venant en aide aux esclaves.
Au delà des raisons de la révolte, l’une des manières les plus frappantes de montrer son opposition à la société est le terrorisme. Terme à la définition ambiguë, il est illustré dans diverses séries telles Code Geass, Higashi no Eden, Gundam 00 ou Zankyou no Terror. La plupart de ces œuvres offrent une perspective distincte sur le sujet car ici, ce sont les terroristes eux-mêmes qui sont mis sur le devant de la scène, pour une remise en question des a priori. En effet, si ces derniers sont automatiquement associés à ce qui est « mal », « injuste », on comprend que, dans certaines intrigues, c’est un peu plus compliqué et moins manichéen que prévu. Le lecteur (ou spectateur) suit ainsi le parcours de criminels, découvre et comprend ( ?) leurs motivations. Il finit même par s’y attacher, parfois. Celui qui est considéré comme « l’allégorie du mal » devient alors un sauveur et parfois même, un héros.
Enfin, certains personnages vont à l’encontre de l’ordre établi pour protéger ou sauver les personnes chères à leurs yeux. C’est le cas dans Bleach : lors de l’arc Soul Society, Ichigo défie les Capitaines et Vice-Capitaines pour empêcher l’exécution de Rukia, une amie (voir plus comme nous l’expliquions ici). Même schéma pour One Piece avec le sauvetage de Nico Robin, rondement mené par L’Équipage du Chapeau de Paille.
Complots politiques, sadisme, réflexion sur des problématiques de société… Rassurez-vous, les mangas traitant de rébellion ne sont pas tous aussi sombres ! Cette thématique peut aussi s’aborder sur un ton plus léger à la manière de Kill la Kill. La série elle-même ne se prend pas trop au sérieux, parodiant des situations quotidiennes et jouant sur son humour pour mettre en avant des thèmes un peu plus matures.
Quoi qu’il en soit, on comprend donc que lutter pour soi-même, pour ses semblables ou pour ses idéaux sont des notions qui s’entremêlent souvent finalement. Mais il y a plusieurs manières de procéder et la révolte n’est pas toujours aussi frontale…
Changer la société… de l’intérieur
Si les exemples cités précédemment montrent des personnages luttant de manière explicite contre la société, certains sont plus subtils dans leur manière d’agir et tentent de bouleverser les codes directement de l’intérieur.
Le personnage de Suzaku (Code Geass) et Run (Akame Ga Kill) sont, en ce point, assez similaires. Leur but est de gravir les échelons au sein de la hiérarchie afin de transformer le modèle sur lequel repose leur société. Un objectif plein de bonnes intentions, mais est-ce le choix le plus efficace, ou même le plus simple ? Rien n’est moins sûr au vu de la tournure des événements. Ils s’associent à un système perçu comme injuste et obéissent aux ordres émanant d’une autorité, de leur point de vue, corrompue. Mais peut-être est-ce aussi le meilleur moyen de restreindre la coulée inutile de sang ?
La ressemblance entre les deux personnages s’arrête toutefois ici. Suzaku est un idéaliste souhaitant à tout prix protéger le plus de personnes possibles. Mais son désir de changer la société naît aussi d’un sentiment de culpabilité : il tente de se mettre dans une position moralement irréprochable, afin de se sentir mieux lui-même. Run, quant à lui, est un peu plus réaliste et pragmatique, ayant pris connaissance de la corruption de l’Empire le jour où son village fit passer sous silence le meurtre de plusieurs enfants.
Enfin, dans un tout autre registre et démontrant qu’une révolte ne s’accompagne pas forcément d’événements sanglants, le héros du manga Les deux Van Gogh tente également de détruire un système (artistique) de l’intérieur, en mettant en avant des peintres indépendants, et ce, au détriment de l’académisme. Après tout, qui a dit que l’Art était seulement destiné à la haute bourgeoisie ?
L’amitié, un remède contre l’oppression ?
Que ce soit pour survivre, dénoncer un abus de pouvoir ou encore revendiquer leur liberté, les personnages symbolisant la rébellion suivent souvent un schéma classique dont le pilier central est le lien qui unit les révoltés. Les soulèvements fonctionnent très rarement s’ils reposent sur un seul acteur. Pour s’opposer à un système bien en place, l’unité est alors l’ingrédient essentiel à la réalisation d’un plan et d’une lutte, et il arrive souvent que les rebelles partageant la même idéologie finissent aussi par forger des liens d’amitié intenses.
Cette amitié se retrouve notamment dans l’œuvre de George ABE et Masasumi KAKIZAKI : Rainbow ou encore dans le plus récent Prisonnier Rikku de Shinobu SEGUCHI. Ici, le concept de révolte prend un sens quelque peu différent car il s’agit surtout de résister moralement et psychologiquement à l’univers carcéral. Et quoi de mieux, pour tenir bon, que de se serrer les coudes entre détenus ! Les sept protagonistes font ainsi face à la solitude, à la violence et à une autorité prenant plaisir à les maltraiter grâce à leur solidarité. Dans cette lutte psychologique, un gardien vicieux et sans scrupule ou un docteur aux intentions malsaines ne les empêcheront pas de savourer le jour où ils pourront enfin accéder à la liberté et à leurs rêves.
Cette caractéristique peut également être expliquée par le genre du manga et se retrouve dans la quasi-totalité des shônen. Dans ces œuvres, l’amitié se révèle souvent être un élément essentiel de l’histoire, que la révolte gronde ou pas.
La justice : cette limite floue entre le bien et le mal
« Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil » disait Philippe Claudel. Ce point de vue n’est pas sans fondement et est à prendre en considération dans certaines intrigues telles que celles proposées par Death Note ou encore Psycho Pass. « Peut-on commettre des crimes sous prétexte de rendre le monde meilleur ? », autrement dit, « La fin justifie-t-elle les moyens ? » Sans donner une réponse tranchée et stéréotypée ni tomber dans la facilité, ces deux œuvres permettent au lecteur d’aborder sous différents angles cette problématique et l’incite à se faire sa propre opinion.
Le manga de Tsugumi OBA et Takeshi OBATA met en scène une société proche du réel et c’est probablement en raison de cette ressemblance que le lecteur réfléchit d’autant plus aux actions du protagoniste. [SPOIL] Suivant sa propre justice tout en allant à l’encontre de l’idéal défendu, Light établit dès lors un paradoxe : il punit les crimes… mais en commet lui-même. Si au début, ses intentions pourraient être d’une certaine manière « justifiées », ses actions ultérieures sont plus que douteuses. Il ne se restreint plus à tuer les criminels mais bien tous ceux qui se dressent sur son chemin, y compris les innocents. [/SPOIL]
La réflexion porte alors sur un sujet essentiel : les limites. Qui faut-il exactement considérer comme un criminel ? Un individu faisant preuve de violence doit-il subir le même sort qu’un meurtrier ou qu’un violeur ? Le fait qu’il élimine également les personnes allant à l’encontre de son idéologie ne démontrerait-il pas que ses motivations sont basées sur un modèle de domination, et même d’autorité ?
Son ambition de changer le monde qu’il juge « criminel, pourri et corrompu » se révèle donc être, au final, un désir égocentrique prenant racine dans un complexe de Dieu. Le pouvoir détenu aux creux de ses mains grâce au Death Note finit ainsi par le corrompre et le faire sombrer dans la folie. Néanmoins, le groupe opposé à Light n’est pas forcément exempt de toute amoralité non plus : L n’hésite pas à laisser périr des criminels pour se rapprocher de l’identité de K. Dix ans après la fin du manga, nous aurons une nouvelle occasion de voir cet affrontement en octobre avec un nouveau film : Death Note Light up tu NEW world, dont voici le dernier trailer en date :
L’intrigue de Psycho Pass, quant à elle, se déroule dans un univers futuriste où la population est contrôlée par un système mesurant, de manière immédiate, la stabilité psychologique d’une personne. Les individus susceptibles de commettre un crime, dû à une variation de leur « coefficient de criminalité », sont aussitôt arrêtés ou dans des cas extrêmes, abattus. La société reposerait, en outre, sur une sorte de dogme qui empêcherait chacun d’avoir sa propre perception des événements. Or, ce contrôle n’est en aucun cas perçu péjorativement puisqu’il n’est pas perçu tout court ! La grande majorité des citoyens est elle-même obnubilée par l’illusion que le système Sybille lui facilite l’existence et lui procure bonheur et réussite.
C’est, du moins, la vision de l’antagoniste de la série qui tentera dès lors de briser ce système autour duquel chaque vie humaine gravite et est aliénée. Son souhait le plus cher est de voir une personne aller à l’encontre de Sybille, par son unique volonté. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’associe à des malfaiteurs, les seuls à s’opposer au régime, et qu’il n’hésite pas à commettre des meurtres.
Akane, autre protagoniste, a un point de vue beaucoup moins tranché sur le sujet : elle a foi en Sybille mais n’hésite pas à défier ses décisions selon sa propre morale. Lorsqu’elle découvre la véritable forme du système, elle se rend compte de son imperfection mais accorde plus de valeur à sa nécessité de maintenir l’ordre social qu’à sa justification.
Le manga pose alors une problématique essentielle à notre thématique, : « Est-ce préférable de vivre dans une société qui maintient l’ordre et la prospérité, mais est construite sur un système moralement douteux ou alors de vivre dans une société de valeurs où criminalité, et parfois, mal-être sont au rendez-vous ? »
On ne pouvait finir cet article sans revenir, cette fois-ci plus en détail, sur l’un des plus célèbres animes porteurs du sujet : Code Geass. Les aventures de Lelouch Lamperouge nous mènent sur une route tracée par le sang, la vengeance, mais aussi le désir de bonheur et les idéaux. Code Geass, c’est l’histoire d’un jeune homme qui souhaite détruire un empire entier et faire payer les individus responsables de la mort de sa mère. Mais c’est aussi celle d’un garçon dont le souhait est de créer un monde prospère par amour pour sa sœur. Ces projets, qui semblent contradictoires sur la forme, mènent à une dualité entre bien et mal mais aussi à une certitude : « On ne peut changer le monde sans se salir les mains ».
Si certaines comparaisons peuvent être établies entre Lelouch et Light Yagami de Death Note, la personnalité du premier se révèle, au final, assez atypique : malgré ses actions, le protagoniste de Code Geass conserve tout de même une once d’humanité. Il est cependant très loin du héros archétype, ce sauveur de l’humanité souvent glorifié dans bon nombre d’œuvres antérieures japonaises. Le personnage possède un sens aigu de la manipulation, use de propagande et de mensonges pour arriver à ses fins : il n’hésite pas à combattre le mal par le mal. Néanmoins il inspire admiration et sympathie dans l’opinion publique, jouant la carte de « la défense de la veuve et de l’orphelin ». En soi, les projets de Lelouch et de son alter ego, Zero, semblent diverger sur la forme : sous son masque, Zero veut délivrer le Japon d’un envahisseur au profit du peuple tandis que Lelouch désire faire tomber l’empire Britannia par intérêt personnel. Mais, au fond, le but à atteindre n’est-il pas le même ? Lelouch est finalement présenté comme un anti-héros à la personnalité complexe, qui associe plus d’importance à ce qui doit être fait plutôt qu’à une action moralement défendable.
Finalement, l’un des seuls groupes révolutionnaires qui n’associe aucunement la notion de justice à ses actions est celui présent dans Akame ga Kill : les Night Raid. Dès le début de la série, la position des membres est très claire : s’ils s’opposent à la corruption de l’empire pour un meilleur avenir, ils n’en restent pas moins des assassins. Et la mort les rattrapera probablement bien assez tôt pour leur faire payer leurs actes… Mais ceci est une autre histoire !
Les thématiques citées dans cet article soulignent une nouvelle fois la maturité dont font preuve certaines œuvres, papiers ou animées, grâce au degré de réflexion qui les accompagnent. En se basant sur des faits de société réels, crédibles ou carrément fictifs, ils flirtent la réalité et nous poussent souvent à l’introspection. Car ces problématiques de révolte et de justice, ces notions de bien et de mal… ne sont-elles pas, au final, qu’une question de point de vue ?
Et donc vous, cher lecteur, chère lectrice, quel est votre héros ou anti-héros préféré ? Quelle est votre révolte ?