[Japanime] Bungo Stray Dogs : qui sont ces auteurs qui sifflent sur vos écrans ?
L’animation japonaise et le manga nous emmènent parfois vers des destinations impromptues. C’est exactement ce que fait Bungo Stray Dogs, série mêlant sans trop mal s’en sortir humour, action… et auteurs célèbres ! Bon, soyons honnêtes : si l’on retrouve quelques points communs entre les personnages et ceux qui leur ont prêtés leurs noms, cela ne va pas beaucoup plus loin. Mais plutôt que de passer sans s’y arrêter, pourquoi ne pas se pencher sur ces illustres personnages ?
À l’occasion de la sortie du dernier épisode de la saison 1 chez Crunchyroll, c’est exactement ce que nous vous proposons aujourd’hui, à travers une sélection de six auteurs majeurs extraits de cette série, pour un papier entre culture littéraire et critique japanime !
Osamu DAZAI, par amour de la déchéance
Né le 19 juin 1909 à Aomori, Osamu DAZAI (de son vrai nom Shuji Tsushima) est un auteur prolifique qui s’est illustré dans un genre japonais très populaire à l’époque, le Watakushi Shôsetsu (littéralement « roman du Je »). En pratique, ce genre est né de l’influence littéraire allemande du « Isch Roman » et trouve ses spécificités dans son point de vue à la première personne, censé refléter la vie de l’auteur et montrer la part sombre de la Société.
Osamu DAZAI se démarque par son cynisme, son pessimisme et, comme c’est le cas dans Bungo Stray Dogs, par sa fascination pour le suicide. Parmi ses œuvres les plus connues, on trouve notamment La déchéance d’un homme, qui aura notamment été adapté en manga par Usamaru FURUYA en 2009, et en film d’animation. Osamu DAZAI finira par mourir le 13 juin 1948, en compagnie de Tomie YAMAZAKI dans ce qui ressemble à s’y méprendre au double-suicide : l’objectif ultime, semble-t-il, de son alter-ego animé !
Quelques-unes de ses œuvres :
- La Déchéance d’un homme, aux éditions Gallimard, Collection Connaissance de l’Orient
- La femme de Villon, aux éditions du Rocher, Collection Nouvelle
- Soleil Couchant, aux éditions Gallimard, Collection L’Imaginaire
Doppo KUNIKIDA, l’idéaliste romantique
De son vrai nom Kunikida TETSUO, il est né le 15 juillet 1871 à Chôshi. Étudiant dans ce qui deviendra plus tard la prestigieuse université de Waseda, son attitude rebelle vis à vis de l’administration provoquera son expulsion en 1891. Il commencera un journal intime en 1893, qu’il intitulera un témoignage honnête, à l’image du personnage qu’il a inspiré et son carnet sobrement intitulé « Risô » (littéralement, « idéal »). Il travaillera en tant que reporter pendant la première grande guerre sino-japonaise, qui dura de 1894 à 1895.
Il est notamment connu pour sa première histoire courte, Gen Oji (littéralement oncle Gen) et pour sa poésie romantique lyrique, dont un des recueils, Doppo Gin, prêtera son nom au pouvoir dont il est doté dans Bungo Stray Dogs. Comme c’est malheureusement souvent le cas à cette époque, il mourra de la tuberculose le 23 juin 1908.
Quelques-unes de ses œuvres :
- Doppo Gin, inédit en France
- Gen Oji, inédit en France
- Musashino, inédit en France
Edogawa RANPO et l’art de la déduction
Né le 21 octobre 1894, Tarô HIRAI (de son vrai nom) s’avère être un fervent admirateur d’Edgar Allan Poe, et son nom de plume en est une preuve des plus probantes, puisqu’il s’agit d’une transcription phonétique plus ou moins fidèle du nom de son idole. Il est un des fondateurs majeur du genre policier au Japon, un certain nombre de ses récits étant centrés autour d’un détective nommé Akechi Kogoro.
En France, un certain nombre de ses romans ont été publiés aux Éditions Philippe Picquier. Au Japon, il a donné son nom à un prix littéraire récompensant les meilleurs histoires… policières, évidemment.
Quelques-unes de ses œuvres :
- L’ile Panorama, aux éditions Philippe Picquier
- Le Lézard Noir, aux éditions Philippe Picquier
- La Chambre Rouge, aux éditions Philippe Picquier
Ryûnosuke AKUTAGAWA : dur, dur d’être Japonais
Auteur particulièrement prolifique malgré sa vie particulièrement courte, Ryûnosuke AKUTAGAWA, né le premier mars 1892, a connu et subit de plein fouet les ères Meiji et Taishô, deux périodes de grand changement et de transition dans l’identité du Japon. Ses œuvres sont empreintes de réflexion sur la morale changeante de son époque et d’une nostalgie d’un Japon plus traditionnel. L’histoire courte Rashômon, qui lui a valu la reconnaissance de Natsume SÔSEKI, est également le nom de sa capacité.
Doté d’une santé mentale particulièrement fragile, il se suicidera finalement à l’âge de 35 ans, par ingestion de barbiturique. Le prix littéraire le plus prestigieux du Japon porte également son nom.
Quelques-unes de ses œuvres :
- Rashômon et autres contes, aux éditions Gallimard
- La Vie d’un Idiot, aux éditions Folio
- La Magicienne, aux éditions Philippe Picquier
Ichiyô HIGUCHI, l’aube du féminisme japonais
Née en le 2 mai 1872 et morte le 23 novembre 1896 de la tuberculose, elle n’aura connu que l’ère Meiji, et n’aura pu exercer son métier d’auteur qu’une poignée d’années, et pourtant elle a trouvé le temps de marquer suffisamment l’Histoire pour trouver sa place sur les billets de 5000 yens. Ses écrits se concentrent principalement sur les malheurs de la femme japonaise, qu’elle a eu l’occasion d’observer au cours de sa vie, notamment après la mort de son frère et de son père, en 1887.
Quelques-unes de ses œuvres :
- Qui est le plus grand ?, aux éditions Picquier
- La treizième nuit et autres récits, aux éditions Les Belles Lettres
- Ôtsugomori, inédit en France
Motojiro KAJII, un zeste d’amertume
Né le 17 février 1901 et mort le 24 mars 1932 de la tuberculose, Motojiro KAJII a malgré tout, lui aussi, trouvé le temps de marquer le monde littéraire : à l’image de son homonyme jetant des citrons explosifs à tours de bras, Le Citron est une histoire courte encore lue de nos jours, et dont on retrouve des traces jusque dans certains mangas, comme The World is Mine, de Hideki ARAI. Cette histoire courte pose un regard fataliste sur la condition parfois étouffante d’un malade.
Quelques-unes de ses œuvres :
Et l’anime dans tout ça ?
Avec une liste pareille, on serait en droit de s’attendre à une série à forte valeur culturelle… Raté ! Dans les faits, on retrouve régulièrement des éléments de la vie des auteurs, ou de leurs œuvres, mais ils sont surtout utilisés à des fins humoristiques ou pour faire avancer la fiction, et non pour exposer la réalité. On rit des tendances suicidaires d’Osamu DAZAI, on s’ébahit devant les capacités de déduction d’Edogawa RANPO (même s’il sert principalement de deus ex machina assez grossier), mais quelqu’un n’ayant jamais touché de près ou de loin la littérature japonaise passera complètement à côté de ces références.
De toute façon, soyons honnêtes, elles sont loin d’être indispensables à la compréhension de l’histoire. Les personnages auraient pu avoir n’importe quel nom, cela n’aurait pas changé l’histoire et l’attachement qui se créé pour Dazai ou Kunikida. Cela reste une belle performance de l’auteur du manga, Kafka ASAGIRI qui a su créer des protagonistes pour une série basée sur l’action et l’humour à partir d’une ribambelle de joyeux lurons morts il y a au moins 60 ans.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que lui et le scénariste de l’anime Yôji ENOKIDO (Star Driver, Utena) s’en sont plutôt bien sortis tant la galerie est attachante. Au point, au final, de rendre presque négligeable les références historiques et le récit très accessible. À l’écran, le character design de Nobuhiro ARAI (Hitsugi no Chaika) est très appréciable, notamment de par l’expressivité des personnages et leur vivacité. L’animation, sous l’égide du célèbre réalisateur Takuya HIGARASHI (Star Driver, Soul Eater, Ouran Host Club,…), n’hésite pas à déformer leurs traits pour accentuer le comique de situation, et cela fait généralement mouche.
Dans l’agence de détectives qui réunit nos célébrités, les rares enquêtes auxquelles sont confrontés nos « hommes de lettre » servent intelligemment l’exposition et le développement du scénario, même si ce dernier ne va pas non plus révolutionner quoi que ce soit. Au contraire, même, il utilise au mieux les codes du genre, avec son action nerveuse entrecoupée de scènes de débriefing plus calmes souvent ponctuées d’humour. La dynamique d’ensemble fonctionne plutôt bien et les combats sont agréables à l’œil. L’animation est d’une qualité légèrement supérieure à la moyenne, mais quand on est en lice contre des monstres comme Kôtetsujô no Kabaneri ou des OVNIs comme Kiznaiver, difficile de se démarquer sur ce point.
Au final, Bungo Stray Dogs est plutôt abouti à sa façon, et assez facile à apprécier pour ce qu’elle est, une série sympathique et sans grande prétention ponctuée de noms d’auteurs célèbres. Le ton n’est pas toujours très léger, et la tendance à l’apitoiement du personnage principal, Atsushi Nakajima, serait vite devenu agaçante si l’auteur n’avait pas choisi de la sublimer en cours de route : en le poussant à faire face à l’adversité, il lui permet de dépasser cette faiblesse psychologique pour en faire une force.
L’atout majeur de la série est donc, et surtout, ses protagonistes bien écrits, intelligents, drôles, et son mélange humour-action plutôt bien huilé. Un bon divertissement en somme, mais n’espérez juste pas en apprendre plus sur la littérature japonaise du début du vingtième siècle… Pour cela, et en attendant la seconde saison prévue pour l’automne, allez plutôt vous balader dans notre section littérature pour prolonger la découverte !
Visuels : ©2016 Kafka ASAGIRI,Sango HARUKAWA/PUBLISHED BY KADOKAWA/Bungo Stray Dogs Partners
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