[Live Report] Boredoms : aux frontières du réel
Bon sang, mais qu’est-ce que je suis allé voir ? J’en ai vu des concerts complètement barrés, mais celui-ci remporte la palme d’or du WTF, réellement. Il s’agit de surcroît d’un des groupes de musique expérimentale les plus populaires du Japon, j’ai nommé Boredoms, la troisième figure du podium de la musique extraterrestre, avec Boris et Merzbow. Oui, Babymetal est hors-jeu, désolé.
Et ce fût un groupe TRÈS attendu en ce jour de festival de la Villette Sonique car même s’il est actif depuis 1986, Boredoms se fait extrêmement rare en Europe. Et pour moi, ce fût une grande découverte. J’ai évidemment écouté quelques titres pour me mettre dans le bain, notamment ceux de l’album Wow 2, et j’avais alors affaire à une vraie avalanche rythmique chaotique, quelque chose de complètement fou, à la limite du musical parfois. Mais ce soir, comme toujours avec ce groupe, que cela soit dans leur discographie pléthorique ou avec leurs lives d’un autre monde, j’ai vu quelque chose de complètement différent de ce que je m’attendais à voir.
Ce soir, Boredoms, c’est de la musique qui forme très exactement un genre de drone polyrythmique, à la croisée du jazz et d’un genre de math-rock sauvage, avec des percussions tribales accompagnées (si vous restiez après les dix minutes moyennes de bordel bruitiste) des nappes ambiantes épiques. Pour piloter le navire, un batteur, Yamantaka Eye, 52 ans, qui crie à s’en arracher la gorge tel le frontman d’un groupe de grindcore et qui commande d’une main de maître l’orchestre OVNI, accompagné de Yojiro Tatekawa qui envoie des blast beats aléatoirement, sans oublier la troisième batteuse Yoshimi P-We qui accompagne ce rythme déjà extrêmement soutenu avec des battements plus traditionnels (ah oui tiens, savez-vous que ce groupe a fait une date avec 74 batteurs de plus dans leur line-up ?).
Shinji Masuko, l’homme derrière les ordis, synthés et guitares horizontales, complète en toute sérénité cette troupe et dans une concentration exemplaire, faisait revenir à l’aide d’une spatule métallique des crochets et des couvercles en métal dans des caissons de basse, exactement comme lorsque vous faites sauter vos crêpes à la chandeleur. Un joyeux bordel donc.
Le tout fut entrecoupé de quelques interludes prenant forme avec des sons cristallins, évoquant presque une sorte de douceur et d’insouciance incongrue via des barres de fer (?!) qui ressemblaient à une fusion entre un vibraphone et une scie. C’était ça Boredoms, soit le truc le plus perché et atypique que j’ai vu sur scène depuis bien longtemps. Depuis toujours, je crois bien.
Un analyste musical, qui visiblement ennuyait sa copine, chroniquait ce live vers la fin du set, au moment où une avarie technique est venue frapper le set du groupe (qui s’en est humblement excusé, japonais oblige). Il disait avec conviction « Ouais, j’trouve que c’est cassé… Ouais, c’est cassé…« , avant de conclure par un « c’est du kung-fu en musique« … Bon, il n’a visiblement jamais assisté à un concert de hardcore beatdown, et n’a pas non plus beaucoup d’arguments. Mais en soit, ce hipster du dimanche avait raison, leur univers était tout sauf linéaire, propre, attendu : personne ne pouvait prévoir ce que nous réservait le Boredoms, pas même les fans présents en masse pour ce concert, même si les rythmiques étaient parfois répétitives, donnant l’impression que les morceaux allaient s’achever en laissant ces boucles s’évanouir. Il n’en a en aucun cas été question !
Je peux m’estimer « privilégié » d’avoir vu cette prestation extra-terrestre que finalement seul un groupe japonais peut être capable de mettre en place avec autant de synchronisation, de précision et de folie, le tout en même temps. Réellement impressionnant, mais honnêtement, c’est parfois presque inquiétant… Puis fascinant, puis bluffant. Énormément de sentiments nous viennent à l’esprit après avoir vu ce groupe cuisiner des vis et jouer sur quatre batteries. Avec un groupe de musique conventionnel, ceci sonnerait comme une grosse blague. Avec eux, c’est du concret, et de l’Art. Oui, Boredoms, c’est plus de l’Art subversif que de la musique, au final. Je crois ?
Remerciements à Adrien Durand ainsi qu’à l’organisation du festival.
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