Coq de Combat : récit coup de poing d’un jeune homme en dérive
On voue aux anti-héros une fascination certaine, dû à leurs méthodes marginales qui flirtent souvent avec l’interdit. Quelques exemples connus pourraient être Dirty Harry (film de 1971), John Wayne Cleaver (série de roman de de Dan WELLS), Breaking Bad (série de 2008) ou encore The Punisher (personnage de comics apparu en 1974 et remis récemment au goût du jour à travers la saison 2 de Daredevil). Il en existe aussi dans le monde du manga : Ryo Narushima, personnage phare du seinen Coq de Combat s’inscrit dans cette lignée. Son histoire vient tout juste de s’achever, le 18 mai dernier, aux éditions Delcourt.
Retour sur un récit à la croisée des genres.
Un parcours éditorial en dent de scie
Coq de combat (Shamo dans sa version originale) est un seinen, écrit par Izō HASHIMOTO (co-scénariste du film Akira de Katsuhiro OTOMO) et dessiné par Akio TANAKA, qui retrace la vie d’un jeune délinquant au parcours atypique : alors que sa vie semble toute tracée, Ryô Narushima assassine sauvagement ses deux parents et se retrouve placé dans une maison de redressement… il devra faire face à la cruauté de ses « camarades » et s’en sortir seul, à la force de ses poings. Prépublié dans un premier temps dans le Weekly Manga Action (comme Lone Wolf And Club) de 1998 à 2003 (tome 1 à 19), le manga reprendra sa publication deux ans plus tard dans le Evening (Gunnm Last Order) de 2005 à 2015 (tome 20 à 34).
Ce changement d’éditeur a donc entraîné une réédition des premiers tomes, afin d’avoir un format homogène correspondant au tankobon de la Kodansha. En 2007 surviendra un autre « malheur » pour les fans de la série : la publication est arrêtée car Akio TANAKA intentera un procès à Izo HASHIMOTO, lui reprochant en l’occurrence un travail de scénariste très peu recherché et brouillon.
Il faudra attendre 2011 avant que le seinen ne reprenne dans le Evening à partir du tome 25 jusqu’au tome 34. A l’issue du procès, les deux mangakas semblent avoir trouvé un arrangement et le dessinateur (Akio TANAKA) sera donc seul aux commandes de la série jusqu’à sa conclusion.
Le premier tome de Coq de combat a été publié chez nous en 2003 aux éditions Delcourt jusqu’au tome 19 en 2007. Il nous aura fallu attendre la nouvelle édition et l’année 2012 pour connaître la suite des aventures de Narushima, toujours chez le même éditeur avec le tome 20 et la réédition des deux premiers volumes du manga la même année.
Entre initiation au Karaté et satire sociale
Dans Coq de Combat, tout est une question de dualité ou d’équilibre : les premières planches narrant les aventures de notre « héros » s’ouvrent sur une case nous montrant un papillon posé sur une branche ; la seconde un jeune homme tient un canif à la main et le corps de ses parents gisant inerte sur le sol, baignant dans une mare de sang.
L’hémoglobine, représenté par un ancrage très noir, contraste avec la lumière qui baigne la pièce et un Narushima mué en un meurtrier, à jamais changé. Encore plus frappant, le tout reste très contemplatif, froid et chaleureux à la fois. Tout ici amène à penser à une renaissance dans le sang, un nouveau départ via le parricide représenté par la symbolique du papillon : Ryô quitte le cocon familial et s’envole vers le crépuscule.
Les attentes, la pression sociale, la peur de l’avenir, la société japonaise ont mené Ryô à commettre l’irréparable. Lui qui était promis à un avenir radieux, il se retrouve seul et démuni dans une prison pour mineur où il subira les pires sévices : viols, passages à tabac et humiliations diverses seront son nouveau quotidien.
Mais loin de se laisser abattre, l’adolescent va se trouver un refuge dans le Karaté, enseigné par Kenji Kurokawa pendant sa détention. Un Karaté pour survivre, marginal et violent, bien loin du Karaté traditionnel : crever les yeux, mordre, viser les parties sensibles, feinter… des méthodes qui feront de lui une bête sauvage aux yeux de la société. Société dans laquelle il n’est possible de réussir que par la perfection, cette même perfection que Ryô va s’acharner à détruire chez ses nombreux adversaires. Au travers de combattants plus « scolaires », c’est un système bien trop codifié que ce voyou va tenter d’ébranler afin d’atteindre son objectif : être reconnu.
Libération et conséquences ; dessins et mise en scène
La libération de cet anti-héros vis-à-vis de la société ne sera cependant pas sans conséquence que ce soit pour lui ou encore son entourage. Ryô sera contraint d’employer des moyens peu scrupuleux afin de parvenir à ses fins, ce qui ne fera qu’enclencher une boucle de haine (pour ses adversaires) et de remords (pour lui, bien qu’il refoule ce sentiment).
Son passé ne lui permettra d’avoir que des métiers de l’ombre, de la prostitution au règlement de compte sur demande en passant par les tournois organisés. Ici, on est se situe plutôt dans une progression inversée contrairement à la plupart des spôkon comme Hajime No Ippo où les efforts sont récompensés, on observe ici un cheminement inversée : le crime de Ryô le condamne à rester dans l’ombre. Sa sœur, la seule once de lumière dans sa vie, se verra contrainte à mener une vie d’errance et de désespoirs. Son autre objectif sera donc de la retrouver et de la sauver, alors même qu’il est à l’origine de tous ses malheurs : il endosse à la fois le rôle du bourreau et celui du justicier.
Quel que soit le masque qu’il portera, ses actions seront sublimées par le talent de la mise en scène et le dessin. Le trait est à la fois fin et subtil, détaillés et aériens. Il sait par exemple à quel moment fournir une narration fluide (dans les instants de contemplation, de méditation, d’entrainement), dynamique (pendant les combats de rues où la rage du personnage exulte) ou encore détaillés (lorsque les duels plus « propres » sur le ring ont lieu, c’est l’occasion de voir le dépliement des doigts, des orteils, des genoux pour donner un coup précis).
Ryô mène une lutte impossible contre un adversaire invisible : le monde et ses règles. Si les différents arcs de la série sont inégaux qualitativement parlant, l’ensemble de l’œuvre vaut largement son pesant d’or. L’histoire mêle habilement art martiaux et satyre politique avec un dessin de toute beauté. Coq de combat, à l’image de son personnage phare, a donc su s’imposer comme une figure emblématique des anti-héros auprès de Akumetsu, Death Note ou encore Ichi The Killer. Même si sa morale pourra être éternellement remise en question, ses aventures et sa psychologie n’en demeurent pas moins fascinante à lire.
Article très intéressant mais on écrit « satire sociale ». Le satyre avec un y, c’est la créature libidineuse de la mythologie grecque…
Bonjour,
Merci de nous lire. L’erreur a été corrigée.