L’Ambient music japonaise existe et c’est tant mieux
Au pays des jardins zen existe un genre musical qui leur correspond parfaitement : l’ambient music. Né dans les années 70 en Europe, l’ambient music grandit en se nourrissant de tout, du trash métal, d’électro allemande des 80’s, de musique classique, du bruit d’une rivière, de visites de lieux, de peinture, etc. Sous des allures de mélodie bien trop sage, l’Ambient remue en réalité les émotions et l’esprit.
Cette musique possède au Japon une poignée de représentants doués et prolifiques dont Chihei HATAKEYAMA, tranquille petit gars qui mine de rien, déménage. Journal du Japon vous emmène à la découverte du genre…
Une musique singulière ciselée pour le voyage intérieur
Ambient, vous avez dit Ambient ? Mais qu’est-ce donc ? Voici une musique bien difficile à cerner et dont beaucoup doivent ignorer l’existence même alors qu’ils en ont peut-être déjà entendue. Techniquement, l’Ambient est un sous-genre musical rattaché à la musique électronique au sein de laquelle il se situe de l’autre côté du spectre, à l’opposé de la Techno et de la House. Brian Eno en est souvent considéré comme son père avec son album Music for Airports, sorti en 1978. Pour la décrire, on lui adjoint souvent des adjectifs musicaux aussi abstraits qu’impressionnants comme progressive, expérimentale ou alternative. Oui, tout cela l’Ambient l’est sûrement mais retenons surtout que c’est une musique instrumentale, minimaliste et visuelle, atmosphérique.
Brian Eno, Music for airports
Pour s’adonner à l’écoute de l’Ambient, il faut oublier la structure préconçue d’une chanson que l’on peut avoir en tête, voire de la musique en général. Ici, on marche sur le rebord du monde de la musique dite « mainstream » et l’on y plante esprit et oreilles dans une nébuleuse où les concepts de mélodie, de durée et de notes sont radicalement revisités… À partir de là, le voyage intérieur commence car, sous une impression générale de ronronnement des plus minimalistes et indistincts, se dévoilent alors des subtiles altérations de tonalités et des accords consonants qui semblent ouvrir pour notre subconscient un paysage fait de couches de sons en perpétuelles transformations. L’écoute devient alors une expérience très personnelle et changeante selon les émotions du moment.
L’esprit décolle.
Et le Japon dans tout cela ?
Le Japon possède une longue tradition de musique instrumentale dont l’une des expressions les plus populaires de nos jours se fait au travers des jeux vidéo et des animés. On peut mentionner, par exemple, les compositeurs Akira YAMAOKA ou Kow OTANI, auteurs des musiques de Silent Hill, Shadow of the Colossus, Tokyo Magnitude 8.0 et Colorful et dont certaines autres compositions sont des morceaux d’Ambient.
Kow Otani, Tokyo magnitude 8.0
L’existence d’un versant plus expérimental à cette musique instrumentale semble alors couler de source. A côté de cela, certains émettent l’hypothèse d’un lien entre la philosophie zen et les origines de l’Ambient. Quoiqu’il en soit, la scène Ambient de Tokyo grandit chaque année, profitant même de l’installation dans la capitale nippone de musiciens étrangers comme Celer ou Jim O’Rourke.
Néanmoins, au Japon plus qu’ailleurs, l’Ambient fait partie du milieu underground et c’est donc principalement au hasard des clics que l’on peut découvrir l’existence de cette branche japonaise, reconnue pour sa qualité par les passionnés du genre. De cette exploration, quatre noms émergent : Ken IKEDA et Toshimaru NAKAMURA les plus anciens et les plus expérimentaux dans leur musique, et Chihei HATAKEYAMA et HAKOBUNE, visages actuels du (sous)-genre. C’est au troisième cité que la suite de l’article est consacré car Chihei HATAKEYAMA est reconnu et distingué par beaucoup de critiques professionnels et amateurs comme étant rien de moins que le meilleur.
Un bosseur discret du son
Basé à Tokyo, Chihei HATAKEYAMA est compositeur et producteur, bidouilleur instrumentaliste, principalement à la guitare et au piano, et bidouilleur informatique, sur Mac et logiciels de création musicale. Il a produit une bonne trentaine d’albums en une petite dizaine d’années, les siens comme ceux d’autres, a créé son propre label et collaboré avec des artistes japonais et internationaux tels que Hakobune ou Dirk serries.
Storm of silence, (2016) collaboration avec Dirk Serries
it is, it isn’t, (2014) collaboration avec Hakobune
Bercé au rock des Beatles par papa et maman, Chihei crée son premier groupe de rock plutôt dur et s’échine à la guitare, notamment sur des reprises de Metallica ou Slayer. C’est quelques années plus tard, alors étudiant, qu’il découvre l’ambient en assistant à un set du DJ anglais Mixmaster Morris. Il s’y plonge tout en se forgeant une culture musicale entre post-rock, musique électro et musique classique contemporaine. En 2001, il lâche la guitare, investit dans un ordinateur et un logiciel de création musicale et se forme seul à la composition assistée par ordinateur. Fin 2002, il créé le duo instrumental Opitope aux côtés de Tomoyoshi DATE, dont le premier album, Hau, sortira en 2007 chez Spekk. Opitope est une collaboration récurrente de Chihei HATAKEYAMA qui sévit notamment dans la production studio et dans l’organisation de soirées de rencontre de musiciens et d’improvisation live.
A far room, extrait de Hau (2007), du duo Opitope
Entre temps, Chihei HATAKEYAMA sortira en 2006 son premier album solo Minima Moralia sous l’égide du label américain Kranky. Album remarqué par les amoureux et les spécialistes du genre, il place le jeune compositeur comme fer de lance de l’ambient japonaise alors en pleine effervescence. Depuis, Chihei HATAKEYAMA a sorti des albums sous divers labels internationaux (room40, home normal, soundscaping records, etc…) et sous son propre label, White Paddy mountains, crée en 2010 et sous lequel il produit également des artistes Ambient majoritairement japonais, ainsi que des collaborations internationales.
Loin des beats et des rythmes de la musique électro ou house, la musique de Chihei HATAKEYAMA développe des vagues tranquilles de sons construits dans la nuance, le suggéré. Pas de montée en puissance ou d’explosion soudaine, sa musique est douce, monocorde comme la surface d’une mer calme mais à l’intérieur de laquelle s’entrelacent des courants émotionnels profonds. La composition des morceaux repose sur de l’improvisation à la guitare, aux synthétiseurs et piano, enrichie d’effets possibles grâce aux pédales. S’ensuit un long processus de travail des pistes via les logiciels de création musicale. De l’aveu du compositeur lui-même, l’étape de montage est la plus longue, la plus cruciale et la plus fascinante puisqu’il s’agit de déterminer quand s’arrêter. Il y voit là la matérialisation des possibilités infinies offertes par la composition musicale et par l’ordinateur stoppées seulement par la main de l’artiste.
Sculpter des vagues d’émotion
L’ambition artistique derrière tout cela est de sculpter des paysages sonores imaginaires avec leurs propres espace-temps où l’auditeur se promènerait. Que l’inspiration soit des plus concrètes comme pour l’album Moonlight reflecting over mountains (2015), créé autour de la visite de la région d’Ana, ou des plus singulières, la balade est bien souvent superbement mélancolique.
C’est, par exemple, la rivière du film Apocalypse now, ses sonorités et variations, sa temporalité propre et non l’histoire ou les personnages qui a inspiré l’album The River (2009). Avec Alone by the sea (2013), Chihei HATAKEYAMA a tenté d’imaginer et transcrire en musique le changement drastique de la notion du temps et de l’état émotionnel engendré par une pratique ascétique de moines bouddhistes qui partaient seuls en mer à la recherche du paradis… et disparaissaient.
Au fil du temps, l’inspiration de Chihei HATAKEYAMA est devenue de plus en plus conceptuelle. Pour preuve, les albums Saunter (2009) élaboré comme une interprétation sonore du style pictural Sansui Ga (« paysage » en japonais) et Variations (2010) inspiré par l’analyse de sa propre démarche artistique. Cette conceptualisation se constate également dans l’utilisation qu’il fait des enregistrements de sons du quotidien. Assez peu présents dans son œuvre en général, on en trouve, par exemple, des traces dans les albums Saunter ou A long journey (2010). Bien au-delà de leur côté purement illustratif, les sons de pluie, de rues et autres sont travaillés et utilisés comme des notes le seraient et incorporés aux compostions jusqu’à s’y fondre. On retrouve dans ce travail de transformation abstraite de sons réels l’idée de vouloir sculpter des paysages sonores et traduire en musique ce qui est vu et ce qui est vécu.
Un dernier mot pour vous signaler la sortie toute récente du dernier opus de Chihei HAKATEYAMA : Requiem for black night and earth spiders (mars 2016) que vous pouvez écouter et acheter, comme la plupart de ses productions, sur le bandcamp de White paddy montains. Une playlist bien fournie est disponible également sur Deezer et You Tube offre pas mal de liens couvrant une partie de sa discographie et quelques performances live et vous pouvez le suivre sur son Twitter ou via celui de White paddy. N’hésitez non plus pas à jeter vos oreilles du côté des trois autres artistes japonais cités plus haut et notamment du prolifique Hakobune dont les compositions reposent essentiellement sur des samples de guitares.
Sur ce, bonne écoute… et bon voyage.
Pas un mot sur Isao Tomita? Il doit s’agir d’un oublie je pense car c’est une figure emblématique de la musique électronique Japonaise (mais pas que) et il a plusieurs œuvres Ambient a son actif.
Ce fut un des premiers Japonais a utiliser les fameux synthétiseurs modulaires Moog
Pas un mot non plus sur Haruomi Hosono, créateur de belles plages minimaliste, ethno & ambient depuis les années 80 (FOE, Mercuric Dance, Medicine Compilation From The Quiet Lodge, et tant d’autres).
Et le label Newsic, dans les années 2000…
Bonjour à vous deux,
Merci de nous avoir lu tout d’abord !
Ensuite ce n’est qu’un premier article sur le genre, donc il y a forcément encore beaucoup à dire… Et de quoi faire un second épisode !
Merci pour les références en tout cas 🙂