Les petits sentiers d’Obaasan : une merveilleuse grand-mère japonaise
C’est un livre pour enfants doux comme une guimauve, à la « nostalgie heureuse »… Delphine Roux (l’auteur de Kokoro que nous avions plébiscité dans notre notre rentrée littéraire de septembre 2015) et Pascale Moteki (dessinatrice des livres de Madame MO que Journal du Japon avait interviewée lors de la sortie du deuxième opus consacré aux fruits et légumes japonais) l’ont créé à quatre mains, comme elles l’avaient fait une première fois avec Bonne nuit Tsuki-san !.
Deux auteures que nous apprécions donc, chez Journal du Japon. Nous avons donc profité de ce nouvel et sympathique ouvrage pour leur poser quelques questions sur sa genèse… Mais place à la présentation de cette fameuse Obaasan, pour commencer…
Notre grand-mère à tous !
Le livre s’ouvre sur la chanson traditionnelle Sakura. Le printemps est là avec ses branches de cerisiers en fleurs, et le souvenir d’Obaasan. Obaasan (qui veut dire grand-mère en japonais) est une charmante vieille dame de 70 ans qui habite à Kyoto dans une ravissante petite machiya (maisons en bois typique des centres-villes japonais, NDLR) près de la maison de la narratrice, Yuki, qui a alors 8 ans. Les cheveux blancs, vêtue d’une robe en lin ou d’une salopette en fonction de ses activités, elle partage avec la petite fille de nombreux moments de bonheur : la couture (qu’elle a enseignée plus jeune), la cuisine (des onigiris décorés, des mochi et de la limonade au yuzu savourés pour le goûter).
Obaasan est une personne généreuse : elle pose les légumes de son potager devant sa porte et chacun peut se servir, elle aime aider les touristes perdus et leur offre à chaque fois une grue en origami. Si elle a été mariée, elle n’a pas eu d’enfant. Elle a voyagé : en France où elle a pu admirer la Tour Eiffel et le Mont Saint Michel … et ses crêpes !. Elle aime surtout profiter des petits bonheurs qu’offre le quotidien : « dans le présent, ici et maintenant » est la devise que l’on peut lire au-dessus de l’évier de la cuisine.
La narratrice grandit, a envie de découvrir le monde (grâce aux récits d’Obaasan). A son départ, la vieille dame lui offre un kimono ancien et une kokeshi (poupée en bois) qu’elle tient de sa grand-mère. Malgré la distance, elles restent proches et Yuki lui écrit souvent, accompagnant son texte de haïkus de Sôseki.
Obaasan quittera ce monde à plus de cent ans, pour « coudre des guirlandes de nuages dans le ciel de Kyoto« . Yuki sera traductrice-interprète en France et guidera parfois les touristes japonais au Mont Saint Michel.
Le récit se finit au printemps parmi les cerisiers en fleurs. La boucle est bouclée et le souvenir d’Obaasan bien présent dans le coeur de Yuki.
Le livre dégage une douceur infinie, un bonheur intense fait de petits moments partagés. Cette impression est renforcée par les illustrations aux tons pastels et le sourire vermillon de cette grand-mère qui est un peu notre grand-mère à tous …
Les petits sentiers de Delphine Roux et Pascal Moteki
Journal du Japon : C’est votre deuxième collaboration (après Bonne nuit Tsuki-san !), comment vous êtes-vous rencontrées ?
Delphine Roux : J’ai découvert le travail de Pascale et son univers si personnel par le biais de la marque Madame MO, il y a de cela une dizaine d’années. J’ai d’emblée été conquise par la poésie, l’originalité et l’humanité se dégageant de ses diverses créations.
Un lundi de Pâques, alors que je venais de terminer l’écriture d’A la brune, sous la lune … (qui deviendra Bonne nuit, Tsuki-san !), j’ai envoyé mon texte à Pascale afin de savoir si elle accepterait de l’illustrer. Elle m’a répondu le jour-même. Elle était d’accord ! Voilà comment l’aventure a commencé et s’est ensuite très joliment poursuivie grâce aux éditions Picquier Jeunesse.
Comment est née l’idée de ce livre ? Après les deux enfants de Bonne nuit, Tsuki-san !, cette grand-mère est-elle issue de souvenirs d’enfance ?
Delphine Roux : La force de certains liens intergénérationnels me touche beaucoup. J’avais envie d’écrire une histoire de rencontre, de cheminement. Personnellement, je n’ai pas connu mes grands-mères, mais j’ai eu la grande chance d’être élevée en partie par une nourrice que je considère comme ma grand-mère de cœur. C’était une femme humble, généreuse, intègre. Je lui dois beaucoup. Chez elle, il y avait toujours du café chaud, une part de tarte ou de pudding pour qui venait en visite. Obaasan lui ressemble beaucoup, c’est vrai, et c’est volontaire.
Et puis il y a quatre ans, à Tokyo, perdue dans le métro, j’ai rencontré une vieille dame qui, spontanément, est venue vers moi pour m’aider ; elle parlait un peu le français, aimait la France, le Mont Saint Michel et La Fontaine ! Quand nous nous sommes quittées, elle m’a offert une grue en origami. Je suis émue chaque fois que je pense à cette rencontre, tout à la fois fugace et si riche de partage et d’attention à l’autre. Voilà comment est née Obaasan, entre la France et le Japon …
Delphine, votre plume (que les lecteurs ont pu apprécier en lisant Kokoro) est très japonaise : phrases courtes, mots choisis avec précision, style ciselé et très poétique. Quel rapport entretenez-vous avec la littérature japonaise ?
Delphine Roux : On me parle souvent de mon écriture comme « japonaise ». J’ai plutôt le sentiment qu’elle correspond à un tempérament, une énergie, une éducation peut-être. J’aime échanger, mais je ne crois pas être une grande bavarde. Alors oui, les fragments, les nouvelles, les aphorismes, les haïkus dans leur densité me parlent beaucoup. Dire un monde en peu de mots, cela me touche profondément. Quant aux auteurs japonais, ils me nourrissent au quotidien depuis plus de vingt ans. Mes repères sur la route sont les voix de Kenzaburo Oé, Yoko Ogawa, Natsumé Sôseki, Yasushi Inoue, Takiji Kobayashi, Hideo Furukawa, Katsumi Komagata et tant d’autres …
Delphine, on sent chez vous une grande sensibilité à la nature, aux petites choses qui créent l’émerveillement et le bonheur au quotidien. Quelle petite fille étiez-vous ?
Delphine Roux : Une petite fille plutôt curieuse, faisant feu de tout bois quand il s’agissait d’inventer des mondes. Une petite fille qui a grandi au milieu des pâtures, des animaux, des adultes et de leurs histoires de vies parfois épiques. En somme de quoi nourrir un imaginaire plutôt gourmand !
Pascale, les illustrations de cet ouvrage sont très différentes de celles que vous avez réalisées pour les livres de Madame MO ou Bonne nuit, Tsuki-san ! : contours moins marqués, tons pastels, comme « passés », créant une atmosphère douce et nostalgique. Comment avez-vous créé cet univers ?
Pascale Moteki : Comme pour le premier album écrit par Delphine, ce sont ses textes qui m’ont inspiré ce style. Cette grand-mère est l’incarnation de la douceur et de la bienveillance, de l’attention portée à l’autre, il fallait donc qu’elle gravite dans un univers baigné par ces valeurs. Je la voulais douce, comme la peau fripée des personnes âgées, sans aucun trait qui vienne perturber la lecture. Et puis il est aussi question de sa disparition, alors des couleurs tendres s’imposaient pour envelopper la tristesse dans un châle de mohair !
Pascale, Obaasan a les cheveux courts et blancs, des joues roses et des lèvres rouges. Son visage très expressif semble être celui d’une personne « réelle » dont vous auriez fait le portrait. Avez-vous eu un modèle ?
Pascale Moteki : Obaasan est une vieille grand-mère, mais j’avais envie qu’elle soit perçue comme une personne dynamique malgré son âge. Le choix des cheveux courts m’est donc apparu évident. Cela lui donne beaucoup de dynamisme, d’entrain et de gaieté alors qu’elle est toute courbée et fripée. Notre éditrice m’a fait la même remarque concernant l’expression d’Obaasan qui peut sembler être celle d’une personne réelle. Je n’ai pas cherché ce résultat, mais j’ai été tellement habitée par cette gentille grand-mère lorsque je la dessinais, je l’entendais presque parler et rire, que j’ai peut-être transmis quelque chose de vivant à mon dessin ? J’ai fait quelques recherches photographiques mais je n’ai pas utilisé de modèle à proprement parler.
Nous espérons que votre collaboration ne s’arrêtera pas là et que vous nous régalerez encore avec d’autres créations douces et poétiques. Déjà des idées de futures créations ?
Delphine Roux : Merci beaucoup, c’est vraiment adorable. Nous avons plusieurs projets en cours avec Pascale. Pour l’heure, il est encore trop tôt pour en parler. Une chose est sûre, nous continuons à cheminer sur les petits sentiers, le cœur en fête !
Nous suivrons ce chemin de près alors !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Merci à Delphine et à Pascale pour leur disponibilité.
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