Rencontre avec Shunji IWAI, l’homme derrière « Hana & Alice mènent l’enquête »
À la veille de la sortie dans les salles françaises de son nouveau long-métrage Hana & Alice mènent l’enquête, Journal Du Japon a rencontré le réalisateur Shunji IWAI ; l’occasion de revenir sur près de trente ans de carrière qui ont mené à ce nouveau film, son premier distribué en France. Après la critique du film, laissons la parole au principal intéressé.
Journal Du Japon : Bonjour Shunji IWAI, Douze ans après, vous offrez une suite / prequel à Hana & Alice en réunissant le casting original. Depuis combien de temps avez-vous cette idée de deuxième volet en tête ? Et si, effectivement, les membres du casting n’ont aujourd’hui plus l’âge de prétendre être des adolescentes, le choix de réaliser un film en animation est-il lié à d’autres envies ou d’autres circonstances ?
Shunji IWAI : Le scénario de Hana & Alice mènent l’enquête a été écrit juste après la sortie du film original en 2004. À la base, les deux personnages devaient être à l’école primaire dans ce nouveau film. Du coup, il a été tout de suite évident que Yū AOI et Anne SUZUKI ne pourraient pas reprendre leur rôle dans un film tourné en prise de vue réelle et qu’il fallait faire un film d’animation pour pouvoir continuer à travailler avec ces deux actrices. Mais plus tard, pour une raison que j’ignore, le scénario a été légèrement retravaillé et Hana et Alice sont redevenues des collégiennes. Aujourd’hui, je me dis que si on avait tourné juste après le premier film, on aurait pu le faire en prise de vue réelle. Mais bon, c’est un peu tard pour dire ça (rires). À vrai dire, ce n’est pas grave, j’avais envie de réaliser un film d’animation depuis longtemps, et si je l’ai aujourd’hui enfin fait, ça doit être le destin.
Depuis quelques années, vous vous plaisez à sortir des sentiers balisés ; vous avez réalisé un superbe documentaire engagé avec Friends After 3.11 en 2011, une conte moderne avec Vampire, tourné à l’étranger, et maintenant votre premier film en animation. Est-ce par stimulation personnelle ou est-ce une volonté de ne pas s’enfermer dans le carcan du cinéma japonais indépendant ?
Je suis quelqu’un qui aime les défis ; le plus pénible pour moi, c’est de toujours rester au même endroit et de toujours faire la même chose. Je veux toujours aller dans des endroits que je ne connais pas ou découvrir de nouvelles choses. Je pense que c’est par ce moyen que j’arrive à rester moi-même finalement. Si je pense à mes expériences précédentes, je n’ai aucun regret.
On retrouve votre patte dans Hana & Alice mènent l’enquête, malgré le fait que le film soit en animation. Avez-vous pensé le film comme s’il était tourné en prise de vue réelle ? L’utilisation de l’animation vous a-t-elle permis de raconter votre histoire différemment ?
Le fait que ce soit un film d’animation a évidemment marqué une vraie différence par rapport aux films que je faisais jusqu’alors. Mais comme j’ai utilisé le procédé de la rotoscopie (technique cinématographique consistant à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation, ndlr), j’ai quand même tourné Hana & Alice mènent l’enquête en prise de vue réelle. La différence, c’est qu’après le tournage, je n’ai pas pu attaquer le montage immédiatement ; j’ai travaillé pendant huit mois, image par image, pour en faire un film d’animation. La plus grande différence entre la prise de vue réelle et l’animation, c’est que cette dernière est avant tout faite de mouvements perpétuels des dessins, et c’est en partie par la beauté des dessins qu’on fait un film d’animation. Ce sont fondamentalement deux formes d’expression artistique très différentes.
J’ai également utilisé les techniques d’animation 3D. Quand on parle de 3D et d’images de synthèse au Japon, on se heurte souvent à une fausse idée, voire même à une réticence de la part des gens. Mais je pense qu’il faut considérer les films d’animation 3D comme des spectacles de marionnettes numériques. Si on y pense de cette façon, on peut trouver un nombre infini de possibilités dans les techniques d’images de synthèse. Au Japon par exemple, il y a l’art du bunraku, un type de théâtre traditionnel où les personnages sont représentés par des marionnettes. Pourquoi ne pas faire un film de bunraku en images de synthèse ? Je pense qu’il y a beaucoup de possibilités et d’avenir dans ce domaine.
Pour revenir un peu sur vos films en prise de vue réelle, vous avez une esthétique reconnaissable entre mille ; vous utilisez beaucoup de caméras différentes, avec des qualités différentes et une direction de la photographie très brute et originale. Comment se déroulent vos tournages ?
Je décide beaucoup sur place. Je prépare énormément l’histoire et le scénario, parfois pendant plusieurs mois ou années, mais au niveau de la façon de filmer, je décide beaucoup sur le moment. Quand je suis en tournage, je n’emmène pas mon scénario, même pas un stylo ! Si j’oublie quelque chose, je regarde sur celui des autres (rires). Du coup, je peux mettre beaucoup d’énergie dans le tournage.
Pour ce qui est de la direction de la photographie, il faut savoir que c’est pour les prises de vues de Hana & Alice mènent l’enquête que j’ai utilisé un trépied pour la première fois de ma carrière (rires). D’habitude, je n’utilise que la caméra à l’épaule. Comme c’était une expérience nouvelle pour moi, c’était très intéressant.
On retrouve cette idée de défi…
Exactement ! D’ailleurs, puisque l’expérience de Hana & Alice mènent l’enquête m’a plu, j’ai essayé de renouveler l’idée dans mon dernier film, The Bride Of Rip Van Winkle. J’ai tourné beaucoup de plans au trépied pour ce film. Mais si ça avait bien marché pour Hana & Alice mènent l’enquête, ça n’était pas aussi intéressant pour ce nouveau film ; la quasi-totalité des scènes tournées de cette façon ont disparu au montage. (Rires)
Hana & Alice mènent l’enquête s’annonce déjà comme votre film le plus connu en France – le premier a être diffusé au cinéma – et beaucoup de gens en France vont être attirés par le fait que c’est un film d’animation sans pour autant avoir vu le premier métrage. Pensez-vous que ce succès est lié au fait que c’est un film d’animation ?
Je ne connais pas bien le contexte de la distribution en France, mais rien qu’aujourd’hui, j’ai donné beaucoup d’interviews, et il y avait beaucoup de médias spécialisés dans l’animation japonaise, je ne m’y attendais pas du tout. Vous êtes un des seuls à aborder des questions autour de mes films en prise de vue réelle, et vous avez même vu mon documentaire. Du coup, c’est plutôt à moi de vous poser des questions (rires) : comment se passe la distribution en France ? Est-ce que les gens sont attirés par le fait qu’un film soit en animation ? Est-ce qu’il existe des médias spécialisés dans le cinéma japonais en général ou est-ce que c’est vraiment l’animation qui plaît ?
L’animation plaît effectivement beaucoup, et c’est malheureusement quasiment le seul exemple de cinéma japonais qui fonctionne en France. Le cinéma japonais n’est pas beaucoup représenté, à l’exception du quasi monopole établi par les studios Ghibli et consorts ainsi que d’une poignée de films indépendants issus des sélections cannoises, par exemple. Dans le même sens, il y a effectivement plus de médias dédiés à l’animation japonaise qu’au cinéma japonais dans son ensemble.
Je suis très content que mon premier film à sortir en France soit mon film d’animation. Étant donné que je suis un débutant dans ce domaine, je suis heureux que ce soit avec ce long-métrage que ma carrière en France commence. Je pense que ce n’est pas forcément bon de porter constamment son travail du passé sur les épaules, et ce nouveau film est presque comme un premier film, ça me plaît beaucoup.
On encense souvent vos films pour leur aspect romantique et poétique, mais on y retrouve parfois un fort message engagé dans, à l’instar de Swallowtail Butterfly ou encore Friends After 3.11. Comment articulez-vous vos scénarios entre vos histoires et les messages que vous voulez véhiculer dans vos films ?
En fait, j’écris beaucoup d’histoires que j’aimerai voir mises en images. J’ai réalisé près d’une quinzaine de films en vingt-cinq ans de carrière, et vu tout ce que j’écris, je n’ai pas le temps de tout réaliser. Si je réalisais tout, je serais encore en train de tourner à 90 ans, et ça sans compter tout ce que je peux écrire entre temps (rires). Dans ce qui n’a pas été réalisé, il y a beaucoup d’histoires très fortes, très vindicatives. Je pense que le principal problème est la tendance à tout catégoriser. Je ne veux pas simplement être étiqueté « Réalisateur japonais », c’est aussi pour ça que j’aime me fixer constamment de nouveaux objectifs. Tout ça me fait beaucoup penser à H.G. WELLS. Cet homme a marqué l’Histoire, c’est un grand théoricien politique, il a influencé des hommes comme CHURCHILL ou Staline, mais on se souviendra toujours de lui comme étant le type qui a écrit La Guerre Des Mondes ; on le catégorise « auteur de science-fiction » alors qu’il a fait bien plus dans sa vie.
En parallèle de la réalisation, vous avez également une expérience en tant qu’acteur, dans Ritual de Hideaki ANNO, vous êtes aussi compositeur et avez notamment composé la musique pour Hana & Alice mènent l’enquête, est-ce que ce sont des domaines qui vous attirent ?
Mes activités en tant qu’acteur sont très limitées, j’ai accepté de jouer dans Ritual parce que Hideaki ANNO me l’a demandé, mais je ne crois pas être très doué en tant qu’acteur. Cela dit, c’était une belle expérience.
En ce qui concerne la musique, c’était simplement un passe-temps. Mais à force de travailler, j’ai pu m’occuper moi-même des bandes originales de mes films. Je pense que c’est quelque chose de très stimulant d’essayer différentes choses.
Du coup, verra-t-on un jour un film de Shunji IWAI avec Shunji IWAI dans le rôle titre et une musique de Sunji IWAI ?
(rires) Je ne sais pas, ça fait peut-être beaucoup. Mais ça peut être un nouveau défi.
On attend que vous le releviez alors ! Merci
Remerciements à Shunji IWAI pour son temps et sa gentillesse. Merci également à Aurélie LEBRUN pour avoir rendu cette rencontre possible, et à Shoko TAKAHASHI pour ses qualités d’interprète.
N’oubliez pas que 7 places sont à gagner pour Hana et Alice mènent l’enquête du 7 au 13 mai 2016 !
2 réponses
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