Les classiques de Kikuchiyo : LA LÉGENDE DES HUIT SAMOURAÏS
Surtout connu du grand public occidental pour son adaptation du roman Battle Royale de Kōshun Takami sorti en 2000, Kinji FUKASAKU est un immense réalisateur ayant marqué l’histoire du cinéma japonais à travers une carrière prolifique comptant de nombreux chef d’œuvres mais aussi quelques curiosités. La légende des huit samouraïs appartient à cette seconde catégorie, mais n’en demeure pas moins intéressant… à plus d’un titre.
FUKASAKU ET LES 80’S
La filmographie de Kinji FUKASAKU est extrêmement lié aux modes de l’industrie cinématographique. La période « trouble » des 70’s aura permis au cinéaste de révolutionner le Yakuza Eiga à travers sa fresque Combat sans code d’honneur démarré en 1973. FUKASAKU a marqué le genre avec un style enragé et subversif doté d’audaces formelles (arrêt sur images, utilisation de la shakycam, travail sur le clair obscur) et narratives, qui témoignent d’un regard profondément pessimiste sur la société japonaise et la nature humaine. En 1978 FUKASAKU se tourne vers le chanbara et le Jidai-Geki avec Le samouraï et le shogun, qui marque ses retrouvailles avec le comédien, cascadeur et artiste martial Sonny CHIBA qu’il avait dirigé à ses débuts (et que nous avons rencontré en février, en interview). Le duo travaillera sur d’autres longs métrages pendant la décennie suivante, livrant quelques classiques comme Samouraï Réincarnation, influence majeure du Ninja Scroll de Yoshiaki KAWAJIRI.
FUKASAKU, qui à déjà mis en scène de nombreuses co-productions internationales comme Tora! Tora! Tora! ou Virus, dispose de tous les qualificatifs requis lorsque la Toei et le producteur Hiroshi SUGAWARA le contacte en 1982 pour l’adaptation du roman Shin Satomi Hakkenden de Toshio KAMATA, relecture de l’épopée Nansō Satomi Hakkenden de Kyokutei BAKIN publié entre 1814 et 1842. Une fresque ayant grandement influencé l’inconscient collectif japonais et la culture pop qui en découle encore aujourd’hui. Bénéficiant de moyens importants, le cinéaste confie le rôle principal de la princesse Shizu à l’actrice et chanteuse Hiroko YAKUSHIMARU. Cette dernière est rejoint par Mari NATSUKI, célèbre danseuse et musicienne, dans le rôle la reine maléfique Tamazusa. Yuki MEGURO, comédien essentiellement connu pour la série Shogun, joue son fils Motofuji et Sonny CHIBA, qui incarne le guerrier Dôsetsu, est secondé par trois de ses élèves de la JAC (Japan Action Club) : Hiroyuki SANADA, Etsuko SHIHOMI et Kenji ŌBA.
AU CARREFOUR DES GENRES
Prenant place dans le Japon du moyen âge, La légende des huit samouraïs suit le parcours de la princesse Shizu descendante du clan Satomi, dont la famille a était exterminé par la reine maléfique Tamazusa du clan Hikita. Pourchassée par les sbires de la reine, la princesse trouve protection auprès de Dôsetsu, un guerrier né avec une boule de cristal à la main. Ce dernier lui raconte une prophétie narrant l’alliance de huit samouraïs disposant des même boules de cristal, pour vaincre Tamazusa. Nos protagonistes partent en quête de personnes susceptibles d’être ces élus. Bien qu’adapté du roman de KAMATA, le pitch du film rappelle fortement plusieurs oeuvres antécédentes. La référence la plus évidente étant Les sept samouraïs de Akira KUROSAWA auquel FUKASAKU reprends le concept, ainsi que la personnalité unique de chacun des guerriers apte au combat. Idem pour le personnage de Shinbei (Hiroyuki SANADA) dont l’aspect fougueux et solitaire renvoie à Kikuchiyo dans le classique de 1954. Cependant loin de recopier bêtement son illustre prédécesseur, FUKASAKU fait de ces samouraïs des nantis et des défavorisés victimes du climat chaotique régnant dans le pays. Seule ces boules de cristal leur permettent de s’affranchir de leur difficile quotidien. Un schéma qui permet au film de trouver une singularité vis à vis de son passé cinématographique.
L’autre grande référence à KUROSAWA se situe du côté de La forteresse cachée. Cette épopée de 1958 narrait les péripéties d’une princesse poursuivie par les troupes d’un clan ennemi et cherchant à retourner chez elle. Une référence plus qu’évidente, au regard de la narration et de son protagoniste principal. Cependant les références à KUROSAWA boucle la boucle avec le film auquel FUKASAKU emprunte beaucoup : La guerre des étoiles. En 1977 le succès mondial du long métrage de George LUCAS relance le Space Opéra cinématographique. Afin de surfer sur la vague, la Toei demande à FUKASAKU de livrer en urgence une « copie » de Star Wars, en attendant sa sortie japonaise prévue un an plus tard. Les évadés de l’espace est une transposition spatiale des récits de Kyokutei BAKIN, qui donnera naissance à la série San ku kaï dont Hiroyuki SANADA fut l’interprète principal. La légende des 8 samouraïs reprend de nombreux éléments du film de 1978 : empire maléfique, prophétie autour de huit guerriers, ici réuni par des boules de cristal et non des noix… . jusqu’au casting puisqu’on y retrouve SANADA et CHIBA. Cependant la différence vient de la combinaison des récits de BAKIN, et par extension du roman de KAMATA, avec les films de KUROSAWA ayant ouvertement inspiré LUCAS. Le tout de manière beaucoup plus harmonieuse que dans Les évadés de l’espace, du fait de son contexte médiéval.
UNE TOUCHE PERSONNELLE ET SUBVERSIVE
Bénéficiant du regain d’intérêt pour les récits de chevaleries initié par l’oeuvre de Lucas, FUKASAKU va inscrire son long métrage dans l’ heroic fantasy japonaise : les héros sont confrontés à une reine maléfique et des forces surnaturelles durant leur aventure. Si le film cible un public plus familial que les précédents longs métrages du cinéaste, il n’en est pas moins une oeuvre de FUKASAKU. La légende des huit samouraïs peut se voir comme un miroir de Samouraï Réincarnation, tourné deux ans plus tôt. L’héroïsme individuel devient collectif, la question du choc des générations y est omniprésente, tout comme celle de l’infanticide, de l’héritage et des déshérités. Toutes ses thématiques se retrouve dans La légende des 8 samouraïs de manière, certes plus manichéenne mais non moins efficace, par le contraste qu’il suscite. Bien qu’étant un spectacle familial, le cinéaste n’hésite pas à montrer des enfants morts ou une relation incestueuse entre Tamazusa et son fils. Cette volonté de ne se pas se plier aux diktats permet à FUKASAKU d’apporter une certaine profondeur à un récit bâtit sur la mode de l’époque.
D’autant qu’à l’instar du crépusculaire Samouraï Réincarnation, le réalisateur démontre à nouveau l’étendu de son talent dans l’action grâce au format 2 : 35 (CinémaScope) particulièrement soigné. La première séquence montrant le personnage de Keno Inuzaka (Etsuko SHIHOMI) est l’occasion pour FUKASAKU de livrer un combat à travers une pluie de fleurs graphiquement impressionnant, grâce à une utilisation aussi parcimonieuse qu’efficace de la shakycam et des coupes. On apprécie ainsi des chorégraphies qui évoque des ballets ou les comédies musicale hollywoodienne des années 30 et 40. Idem pour la mise en avant des effets spéciaux supervisés par Tetuzo OSAWA, un futur habitué de la saga Godzilla. Le meilleur exemple étant l’attaque du mille pattes géant : une scène casse gueule sur le papier, propice au ridicule, que le cinéaste parviens à rendre crédible et mémorable, en filmant son monstre dans la pénombre, essentiellement en contre plongée avec une utilisation de la caméra à l’épaule, préfigurant de 18 ans l’approche de Peter JACKSON sur les créatures de La communauté de l’anneau.
Des prouesses auxquelles s’ajoute d’incroyables décors de Tsutomu Imamura, magnifié par la photographie de Seizô Sengen (Le petit garçon) optant pour une prédominance chromatique bleue et rouge. Qu’il s’agisse du genre, de la direction artistique, de la volonté de livrer un blockbuster d’Héroic Fantasy bénéficiant des dernières avancées technologiques, La légende des huit samouraïs pourrait se rapprocher de Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui HARK sorti la même année. Cependant, à contrario de son homologue hong-kongais, FUKASAKU ne parvient pas totalement à sortir des sentiers battus. Si le film bénéficie d’une production soigné, d’un rythme trépidant, ces personnages pourtant attachants resteront sous-traités à l’exception de Shinbei, qui bénéficie du principal arc narratif. Si le long métrage fait preuve de sobriété à l’égard du genre, des effets de modes propre aux 80’s viennent quelque peu entacher le résultat comme certains designs trop « rococo », ainsi qu’une partition synthétique qui amoindri grandement l’impact de certaines scènes. Le comble étant une scène d’amour sur fond de pop américaine.
Des éléments qui s’ils ne gâchent pas totalement l’oeuvre, rendent l’ensemble moins réussi et intemporel que Samouraï Réincarnation. C’est d’autant plus dommage que son final n’est pas sans rappeler, dans sa portée symbolique, celui de Battle Royale.
S’il n’est pas une réussite majeure de Kinji FUKASAKU, La légende des huit samouraïs n’en demeure pas moins une oeuvre honorable, en dépit de ses défauts. Le film témoigne d’un réel souci du travail bien fait, d’honorer l’heroic fantasy japonaise du mieux possible. Moins abouti et réussi que les autres longs métrages du metteur en scène à la même époque, mais non moins attachant.
Une vraie curiosité à découvrir.
La légende des huit samouraïs est disponible en DVD chez Metropolitan/Filmexport.
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[…] se charge des divers effets sous le patronage de Tetuzo OSAWA actif sur de nombreux Godzilla et La légende des huit samouraïs. Parmi ses assistants on retrouve Shinji HIGUCHI futur spécialiste des SFX sur la trilogie Gaméra […]