[Manga] One-Punch Man – My Hero Academia : new heroes are coming…
Après s’être mutuellement influencés sur le thème de l’horreur (des zombies au survival horror en passant par les Battle Royale-like) les dessinateurs, scénaristes, réalisateurs et artistes américains ont fait évoluer ces dernières années le mythe du super-héros… Et il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour voir débarquer au Japon une nouvelle génération de justiciers dans les mangas et les animes. Que ces derniers gardent la cape pour mieux s’auto-parodier ou qu’ils se débarrassent de leur caractère singulier et solitaire, ces nouveaux super-héros cherchent désormais à se démarquer de leurs prédécesseurs nippons, sans pour autant copier-coller le grand frère américain.
Le 14 avril prochain le dernier né du genre, My Hero Academia, débarque en France aux éditions Ki-oon, avec autant d’ambition que de potentiel. Il fait suite au carton manga du mois de janvier : One Punch-Man, chez l’éditeur Kurokawa. Mais quels sont les héros qui se cachent derrière ces deux titres ? Quelles valeurs partagent-ils ? Quelles idées sur le plan du scénario, de la narration ou de l’univers les séparent ?
Avec deux tomes chacun au compteur voici ce que l’on peut dire, pour le moment, de ces nouveaux super-héros du manga…
Des univers très (trop ?) bien connus…
Le concept de super-héros est très présent dans la culture populaire moderne… et c’est peu de le dire. Si on met de coté Hercule, Thor, Arthur et toutes les figures mythologiques de l’Antiquité ou du Moyen-Âge, nous avons tout de même vu défiler, depuis 1938 et la première apparition de Superman, des dizaines de défenseurs du faible et de l’opprimé. Ils différent autant par leur nature et leur univers que par leur ré-interprétations successives : demandez à un sexagénaire féru de comics de classer les Batman par ordre de préférence, juste pour voir !
Fort de son aura internationale, le super-héros au sens moderne du terme est donc américain dans l’inconscient collectif. C’est ce modèle et ses caractéristiques qui prévalent : les super-pouvoirs et / ou la panoplie qui va avec, la double identité plus ou moins évidente et enfin le costume distinctif. Cependant on ne peut, sur ces seuls critères, faire l’impasse sur les tokusatsus, ces séries télévisés de super-héros japonais apparus dans les années 70-80 en France.
Il en existe de très nombreux représentants et sous-genres : Bioman pour le super sentai, X-Or le metal hero, San Ku Kai le henshin hero ou le légendaire Ultraman appartenant à la catégorie kaiju… S’ils ont marqué toute une génération dans notre hexagone, on imagine sans mal l’impact culturel qu’ont pu avoir ces héros dans leur propre pays. Les références à Ultraman, par exemple, sont légion dans nombre de mangas – même quand ils n’ont rien à voir avec le sujet – et ce n’est sans doute pas un hasard si ce héros est l’objet d’un reboot éponyme depuis 2012, pour garder une place dans cette période de renouveau.
Néanmoins, pour bien comprendre comment ces deux mythologies ont accouché des deux titres qui nous intéressent aujourd’hui, il faut en ajouter une troisième, tout aussi codifiée : le nekketsu. Vivant en symbiose avec le manga et tout particulièrement le manga d’action et d’aventure depuis plusieurs décennies – c’est Osamu TEZUKA que l’on crédite pour la création du genre en 1947 – ce canevas a lui aussi accouché des héros les plus marquants du manga grand public : Dragon Ball, la saga Dragon Quest, Kenshin le Vagabond, Hunter X Hunter, One Piece, Bleach, Naruto… la liste est éminemment longue. En plus de ses super-pouvoirs, le héros de nekketsu est aussi caractérisé par une personnalité innocente et naïve. Il lutte contre le mal avec des compagnons qui furent ses premiers adversaires et il est orphelin, ou au moins sans père afin de laisser cette place à un mentor. Tout comme le super-héros américain, ce modèle a été lu et relu des dizaines et des dizaines de fois : il devient donc compliqué de faire du neuf ou d’en maîtriser suffisamment les arcanes pour garder captif un lecteur blasé par la répétition… Mais One-Punch Man et My Hero Academia ont décidé de relever ce défi.
Super-héros : détourner pour faire évoluer ?
Si on les réduits à l’essentiel, les pitchs de One-Punch Man (ou OPM) et My Hero Academia (ou MHA) démontrent simultanément leur appartenance au genre du super-héros ET leur désir de le renouveler ou de le mettre au gout du jour, quelque part entre l’hommage appuyé et l’évolution tant attendue.
Dans le manga de ONE et de Yusuke MURATA, un jeune homme du nom de Saitama combat les ennemis du genre humain avec une cape et des gants rouges mais, malheureusement pour lui, il est trop puissant et les terrassent tous d’un seul coup de poing. À chaque fois, et en quelques secondes. Le voilà privé de tout le sel que peut apporter un ennemi à sa hauteur : il n’a jamais besoin de se surpasser et ne se retrouve jamais acculé. Sans défi ni quête personnelle dignes de ce nom, notre héros s’ennuie et il est totalement démoralisé par son écrasante supériorité. Si on rajoute le fait que personne ne le connait malgré ses sauvetages répétés et que l’acquisition de son pouvoir l’a rendu chauve, il finit par se demander si être l’homme le plus fort du monde ne craindrait pas un peu, finalement.
Différemment, dans le titre de Kohei HORIKISHI, on renverse l’un des postulats de base du super-héros, selon quoi il est l’unique ou l’un des rares détenteurs de pouvoirs : MHA propose un monde où 80% de la population possède un super-pouvoir, appelé Alter, et les héros comme les vilains font donc partie du quotidien. Poursuivant cette logique inversée, ce récit nous présente un héros, Izuku, qui fait partie des 20% de la population sans super-pouvoir, alors qu’il rêvait depuis toujours d’entrer à la Hero Academia pour suivre les traces de son idole, l’invincible justicier All Might !
La série joue donc la carte de la profusion et de la diversité, prenant acte de la multitude de super-héros qui ont pris possession de nos écrans depuis quelques années. Ils sont déjà partout dans le quotidien du lecteur et leur banalisation est donc une voie intéressante pour essayer d’en redéfinir l’essence.
Nous voilà donc avec deux types de super-héros. Mais pour en faire quoi, au juste ? Pour combattre le mal et sauver l’espèce humaine, on s’en doute. Sur cette motivation idéaliste à devenir un sauveur, les deux séries s’accordent pour le moment. Mais la menace peut avoir plusieurs visages et les chemins sont multiples pour la mettre hors d’état de nuire. C’est là, sur le comment et la manière, que les deux mangas divergent. Beaucoup.
My Hero Academia : On ne naît pas héros, on le devient…
Dans le shônen My Hero Academia héros et vilains sont issus de la même espèce : celle des êtres humains. Qui dit être humain dis donc empathie et la fameuse case prison ou assimilé, symbole d’une possible rédemption. Cette question du mort ou vif à l’issue du combat n’est donc pas encore de mise et on n’en parle pas du tout dans ces deux premiers tomes. On s’intéresse beaucoup plus au chemin pour parvenir à la victoire. Pour commencer il faudra, évidemment, se montrer digne du blason de justicier, et quoi de mieux pour cela – et pour forger les liens d’amitié propres aux shônens – qu’une académie de héros ? Dans sa dimension initiatique, le shônen apporte donc ses propres pierres dans la fabrication du super-héros, là où il arrive d’emblée mûr et avec tout un vécu derrière lui dans la cinématographie US (exception faite de quelques spinoff et contre-exemples comme Kickass).
Tout cet entrainement et ce parcours, qu’il soit scolaire ou en condition réelles contre les forces du mal, est donc l’occasion d’affrontements, nombreux si possible pour une narration toujours dynamique. Pour éviter la lassitude du lecteur, ils sont enrichis par la multitude des pouvoirs disponibles dans l’univers de MHA : puissance, rapidité, lévitation, transformation en animal, gigantisme, manipulation des éléments, des lois de l’espace-temps ou de la nature… Tout comme les fruits du démon de One Piece, ou les spécialisations shinobiesque de Naruto, chaque personnage est ici défini par une personnalité en symbiose avec son pouvoir, chara-design bien étudié à l’appui, ce qui permet de décliner les styles de combats à l’infini, sur le terrain psychologique comme sur celui du duel physique.
Mais, comme dit plus haut, les super-héros ne combattent pas par plaisir, ils le font pour défendre un idéal, pour voler au secours de son prochain au mépris du danger et de sa propre survie. Et ça, c’est le portrait craché de All Might, LA référence et l’idole du jeune Izuku Midoriya, notre apprenti héros. All Might est considéré comme le plus puissant des super-héros, il brille de mille feux et sait soigner ses entrées en scène comme personne. L’attirail complet, en quelque sorte.
Mais un super-héros parfait n’a pas lieu d’être et on découvre rapidement les secrets du grand All Might, ses difficultés comme ses points faibles. Se faisant, il descend de son statut d’icone pour montrer une face humaine et met en avant les sacrifices qu’il doit faire pour remplir sa mission. Se faisant, il redonne aussi à notre jeune sans pouvoir une raison d’espérer à nouveau. Un modèle, de l’espoir et un idéal, voilà notre sainte-trinité héroïque en place !
Si on résume, le super-héros de Kohei HORIKOSHI est manichéen de prime abord mais il n’est pas sans faille et sait rester empathique et attachant, humain en quelque sorte. Il se construit dans l’effort et dans le temps, via un cheminement personnel qui fait écho à celui de son jeune lecteur : à son image tout un chacun devra surmonter des épreuves, jour après jour, s’il veut réaliser le rêve qui le fait avancer.
One-Punch Man : héros, et après ?
D’une manière beaucoup plus expéditive – et jouissive ! – le One-Punch Man en cape et collant explose littéralement tous ses ennemis : un par chapitre à l’image des tokusatsu qui associaient souvent un monstre à un épisode. Ces créatures finissent ici dans une bouillie dont on ne se relève pas car, en tant que seinen, la série a les coudées plus franches et peut s’adonner à une gamme de déculottées beaucoup plus large… et elle ne s’en prive pas. Pour autant, elle ne cherche pas à disperser gratuitement de la chair humaine ou à tomber dans le gore : chaque monstre est tantôt une aberration de la nature créé par un scientifique douteux, tantôt une peuplade non-humaine qui veut prendre sa revanche, etc. Elle n’est pas humaine, ce qui donne de facto le droit à un certain défouloir. D’ailleurs, dès qu’il s’agit d’un adversaire humain, Saitama se contente de le neutraliser – en se laissant le droit de faire sauter quelques dents au passage, quand même – et ce sont éventuellement d’autres adversaires humains qui se découperont entre eux.
Ainsi, même s’il se sent de plus en plus désabusé, Saitama conserve tout de même un idéal et des principes qui vont avec. C’est justement de cet idéal, et de son décalage avec la réalité et le quotidien du super-héros invincible, que va naître tout l’intérêt de cette série. Imaginez deux secondes Superman sans Kryptonite ni ami kryptionien pour venir lui lancer des défis : on obtient l’idée de base d’un super-héros indestructible a qui personne ne peut se mesurer. Du coté des humains c’est mieux qu’une assurance-vie pour un monde meilleur, certes. Mais du côté du super-héros, au bout d’un moment, où est le challenge ?
À quoi bon écouter les monologues interminables de ses ennemis si on peut le faire taire d’une bonne baffe pour aller ensuite profiter des promotions du supermarché ? Pourquoi passer des jours à préparer des plans aux petits oignons pour attaquer le quartier général si on sait que l’on pourra défoncer la base ennemie et tous ses occupants entre le déjeuner et le goûter ? Les êtres maléfiques ne gagnent l’attention de leur victime et de leur ennemi que s’ils ont un moyen de se faire craindre… Sans ça, ils ne sont que de ridicules sociopathes et donc peu digne d’intérêt.
One-Punch Man démontre ainsi toute la vacuité des quêtes héroïques ou des desseins maléfiques lorsqu’ils sont face à la bonne vieille force brute, et pour cela il fait défiler toute une gamme d’archétypes des génies du mal et de guerriers en tout genre : le savant fou, l’humain belliqueux en armure, le ninja aux techniques ancestrales et mystérieuses… Et pour bien les mettre en pièce, les deux mangakas commencent toujours par les mettre en valeur et montrer leur puissance. Plus haute, ridicule et comique sera leur chute.
C’est d’ailleurs là qu’intervient Genos, un être humain robotisé qui devient le disciple de Saitama. Bien qu’indéniablement fort et rapide, il fait souvent figure de héros impuissant, même en tentant de puiser dans ses réserves pour se dépasser et nous amener au climax de l’héroïsme… Un climax justement brisé avec malice et un bel art du contre-pied : Genos n’est juste pas assez fort et c’est Saitama, désinvolte au possible, qui règle le problème en deux secondes. Il démystifie tout un schéma narratif avec un seul et unique coup de poing. Quelque soit la noblesse du combat et les codes chevaleresques à suivre, quelque soit la bonne attitude et la pause qui fait classe… Rien ne fonctionne jamais et Saitama détruit le moule les codes avec sa tête d’œuf, sa banalité savamment dosé, et son mépris total des beaux discours.
C’est donc bien de la déconstruction d’un genre et de sa parodie que One-Punch Man tire pour l’instant sa force, dans le fond mais aussi dans la forme grâce au graphisme somptueux et la mise en scène de génie de Yusuke MURATA.
Même s’ils empruntent des chemins très différents, les auteurs de One-Punch Man et My Hero Academia ont donc compris que les codes du super-héros doivent être soit redéfinis soit carrément brisés pour accoucher d’un nouveau modèle, quitte à le recomposer ensuite avec les ingrédients de leur choix, car ce n’est pas ce qui manque. My Hero Academia, un shônen issu du Weekly Shônen Jump, opte pour le mélange entre les comics et le nekketsu en tentant l’hybridation pour une nouvelle génération de lecteur. One-Punch Man vise un public seinen plus critique et biberonné au super-héroïsme en quête d’originalité, et attire son attention en cassant presque tous les schémas et les figures qui lui tombent sous la main, dans une déconstruction qui a autant de punch que d’humour.
Deux approches très différentes des supers-héros, dont les histoires ne font que commencer et qui ont donc tout à prouver… Testez-les et venez nous donner vos avis en commentaire !
1 réponse
[…] et un autre existe seulement sur l’anime. Pour le reste, on vous invite à (re)découvrir l’article parlant de MHA et OPM, les nouveaux super héros du […]