La Constitution Japonaise : se battre pour le droit de se défendre, ou défendre le droit de se battre ?
Si l’histoire du Japon semble d’un pacifisme à toute épreuve depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la principale raison de cet état de fait ne prend pas exactement racine là où on pourrait le penser. Une certaine méfiance du peuple japonais vis-à-vis de la guerre s’est effectivement construite au lendemain de la reddition du Japon, le 15 août 1945, mais pour comprendre pourquoi le Japon se fait aussi discret sur le champ de bataille depuis maintenant plus de cinquante ans, il faut commencer par s’intéresser à la Constitution japonaise, et plus précisément à celle établie en 1947, sous l’égide du général Mac Arthur.
L’article 9, pomme de la discorde nationale
Depuis l’ère Meiji, qui a commencé en 1868, le Japon a évolué du régime Shôgunal vers une monarchie constitutionnelle, qui prend forme en 1889 sous l’aspect d’une constitution très largement influencée par l’idéologie de l’Empire Allemand de Bismarck, pouvoir très fort de l’époque et fortement militariste. On retrouve d’ailleurs cette même volonté dans un des slogans de l’époque, « 富国強兵 » (Fukoku Kyôhei), qui signifie littéralement « un pays riche, une armée forte ». Au lendemain de la défaite du Japon, il est d’une importance évidente de créer une nouvelle constitution plus équilibrée et mieux adaptée à la longue période de paix à laquelle tout le monde aspire alors à l’époque. C’est dans cette optique qu’est écrit l’article 9, qui se veut on ne peut plus clair : « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu. »
Si on se retrouvé confronté, en théorie, à un « pacifisme constitutionnel », qu’en est-il dans les faits ? Après tout, difficile de faire plus clair… Sauf qu’en 1952, le Traité de San Francisco rend son indépendance au Japon (si on exclut Okinawa, qui restera sous tutelle américaine jusqu’en 1972), et s’enchaine par la naissance en 1954 des Forces Japonaises d’autodéfense, ou FJA, suite à une réinterprétation de l’article 9, considérant que son but est d’interdire les comportements offensifs. N’oublions pas que nous sommes également à l’aube de la Guerre Froide, et que le spectre de la Chine communiste commence à inquiéter les États-Unis, et la création des FJA se situe dans la lignée directe de l’Anpo, le traité de sécurité nippo-américain de 1952 et donne donc du poids au nouvel allié des Américains.
Le Japon possède donc un budget de la défense légèrement supérieure à 1% de son PIB, ce qui représentait en 2015 un peu moins de 5 000 milliards de yens (environ 36 milliards d’euros), ce qui se situe parmi les 10 budgets militaires les plus élevés du monde. Le Japon possède également la quatrième plus importante flotte militaire du monde. Cependant, le moindre mouvement de cette armée fait grincer les dents des voisins du pays du soleil levant comme la Chine et la Corée, réveillant de vieux souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Les FJA n’ont donc participé, au cours de ses soixante années d’existence, qu’à des opérations de maintien de l’ordre, mais cela pourrait bien être en passe de changer…
Guerre et politique : le jeu du PLD
Si on s’en tient à l’interprétation d’origine, le Pays du Soleil levant ne peut donc pas posséder d’armée, ni participer à aucune guerre. Mais « le pacifisme constitutionnel » n’est pas du goût de tous, puisqu’il deviendra très rapidement un enjeu politique majeur pour le Parti Libéral Démocrate. En effet, le PLD trouve inacceptable cette constitution qu’on leur aurait « imposé », et considère également que l’article 9 ne devrait pas exister ou au moins sous une forme moins rédhibitoire. Cependant, modifier la constitution n’est pas une mince affaire et toute tentative est régie par l’article 96, qui spécifie que les votes des deux tiers des membres de chacune des deux chambres législatives sont nécessaires afin de ratifier ce genre de modification. Cela explique probablement en partie pourquoi l’article 9 n’a jamais pu être modifié, bien que le PLD ait été au pouvoir pendant toute la seconde moitié du vingtième siècle (à l’exception de deux courtes périodes : 1993-1994 et 2009-2012).
Si cette rengaine s’était faite moins véhémente avec le temps, elle n’a jamais vraiment disparue et a trouvé un nouveau porte-parole à travers Abe Shinzo, premier ministre du Japon depuis le 16 décembre 2012. Outre sa tentative de relance économique aux résultats encore troubles, connue sous le titre grandiloquent d’ « Abenomics », il est également un fervent partisan de la modification de l’article 9. Il plaide le « droit à l’autodéfense » et a choisi, en juillet 2014, de s’attaquer à l’interprétation de la constitution plutôt qu’à sa réforme, notamment par un dépoussiérage de l’Accord de sécurité nippo-américain, afin de passer à ce qu’il voudrait pouvoir qualifier de « véritable partenariat ». Dans les faits, cette tentative était d’une impopularité flagrante, avec plus de 50% de la population s’y opposant, selon un sondage de l’agence Kyodo. Cela n’a cependant pas empêché le premier ministre de continuer sur sa lancée, puisque le « projet de loi relatif à la législation paix et sécurité » est présenté en mai 2015 à la Diète. Adopté non sans mal, il a pour but de renforcer une nouvelle fois les relations entre le Japon et les États-Unis, et de permettre l’intervention des FJA dans les conflits américains, tout en s’impliquant plus fortement dans la sécurité régionale. Abe Shinzo ayant été reconduit en tant que premier ministre le 8 septembre 2015, il a maintenant trois années supplémentaires devant lui pour arriver à ses fins. L’article 9 n’avait pas eu d’adversaire aussi hargneux depuis bien longtemps, il ne reste plus qu’à espérer qu’il résistera malgré tout, car si sa modification est littéralement le Saint-Graal du PLD, elle ferait également beaucoup de mal aux relations internationales du Japon avec ses voisins directs, qui regardent toujours d’un œil inquiet les Forces Japonaises d’Autodéfense…
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