[Musique] Crazy Ongaku : une virée dans le kawaii shoegaze
A un certain moment de sa vie, on arrive parfois à cet instant où l’on a envie de faire le point sur ses connaissances et de revenir un peu sur ses acquis culturels. C’est ce qu’il se passe pour moi actuellement et après plusieurs années d’errance musicale, je reviens pour vous, chers lecteurs, sur une période dont je pensais avoir faire table rase : ma période jap-addict. Voici donc le premier billet d’une longue série dans ces colonnes où l’on s’attardera sur un EP que sûrement bien peu d’entre vous connaissent : Hanazawa de Tatuki Seksu (un indice se cache dans cette phrase). Sa principale qualité ? Faire le pont entre la J-pop d’idol et un style musical dont vous allez peut-être découvrir l’existence : le shoegaze.
Regardez ses chaussures, c’est pas seulement pour jouer à Dance Dance Revolution !
Le shoegaze ? La traduction française, « fixer ses chaussures », est une synthèse assez concrète de ce genre musical, où disons -clairement, le musicien passe plus son temps la tête dans le guidon qu’à regarder les premiers rangs. Plus précisément, il s’agit d’une dérivation du post-punk et du rock alternatif issue de la scène anglaise de la fin des années 80. Elle vise, globalement, à toucher à la pop (et de temps à autres au punk) en y incorporant le plus d’effets possibles à l’aide de dizaines de pédales à effets. Le résultat donne une atmosphère à la fois bruitiste, rêveuse et éthérée, parfois même pesante, originellement dans le but de reproduire au niveau sonore les mêmes sensations qu’une prise d’hallucinogènes. My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, la pop saturée et désabusée de The Jesus And Mary Chain et le goth-rock cristallin des Cocteau Twins sont les bases essentielles du mouvement.
On notera que dans ce milieu se tient une scène japonaise qui surprend sans cesse les fans du mouvement de par l’éclectisme qui la caractérise. Des groupes comme Coaltar Of The Deepers, Oeil, Tokyo Shoegazer, Lemon’s Chair ou même certains travaux de Mono illustrent cette scène. Les effets de guitare nauséeux et chaotiques très marqués 90’s de ROSIER de LUNA SEA peuvent également faire penser à ce que l’on entend régulièrement dans le shoegaze.
Mais alors que vient faire une idol dans tout ça me direz-vous ? A priori: rien, et pourtant…. Cet EP prend des allures encore plus ubuesques lorsque l’on connait l’identité réelle de cette idol : Kana Hanazawa (on vous avait prévenu). Pour la petite histoire, cette seiyu a débuté sa carrière en 2003 dans la série Last Exile et s’est depuis illustrée dans Pandora Hearts, Blue Exorcist, Psycho-Pass, Persona 4, Parasite ou Tokyo Ghoul, parmi tant d’autres animes. Et oui, rien que ça. On est donc en plein mindfuck.
Tatuki, ou Kana, ne s’éloigne pas pour autant de son univers et présentement, il s’agit carrément d’opening d’animes habilement remaniés au travers de ce style musical pointu et complexe qu’est le shoegaze, tout en gardant l’essence édulcorée de chaque univers. Cette ré-interprétation de l’ending Bookmark A Head de Strike Witches est, par exemple, objectivement jouissive (et peut transmettre le diabète). La tracklist de l’EP contient Precog, thème du jeu IDOLM@STER ; Renai Circulation, opening du quatrième épisode de Bakemonogatari ; Doll, issue de l’OST de Gunslinger Girl II Teatrino ; et enfin Kuchibue Jet, thème de l’adaptation de Que sa volonté soit faite.
Nous voilà ainsi avec ce concept assez improbable : cinq titres (et un remix quasi hip-hop assez bizarre et plutôt anecdotique) noyés sous des tonnes de fuzz qu’on croiraient issus d’un monde divin, une espèce de symphonie angélique où la voix insouciante et cristalline de la seiyū Kana Hanazawa vient se mêler aux torrents de guitares saturées de Kensei Ogata, un compositeur assez populaire dans le milieu shoegaze japonais qui travaille notamment à la production des disques de Juvenile Juvenile et au chant avec Talk. Le duo déverse un tsunami de mélodies hypnotiques via le bourdonnement des guitares et le côté chaleureux des riffs, suivant scrupuleusement le ton enfantin et innocent des morceaux originaux.
L’univers général de cet EP, c’est une supernova de nostalgie, tout d’abord grâce aux sonorités 90’s conséquentes à la dominante shoegaze, ici exécutés dans son sens le plus absolu. Ainsi, Kensei noie la pop la plus inoffensive et douce possible dans des sonorités très inspirées de l’album Loveless de My Bloody Valentine, sorti en 1991. Mêmes glide guitars, tremolos et autres reverbs inversées, même saturation des instruments, mêmes beats lorgnant vers la drum’n’bass… Des expérimentations qu’on est loin d’imaginer en 2016 dans la J-pop. Mais ça, c’est de notre point de vue d’Occidentaux, pas vrai ?
L’autre composante « nostalgie » de ce disque, est tout simplement la ré-interprétation de ce qui est peut-être dans vos tops 10 de vos openings/themes favoris, pour peu qu’ils aient rythmé votre adolescence. Et c’est rigolo de les écouter en ayant l’impression que ces morceaux ont fait un bond dans le passé… Kensei jouerait-il également avec la théorie de la relativité d’Einstein ? Un mindfuck, on vous dit !
Ce mini-album va sûrement paraître beaucoup trop saturé pour la plupart d’entre vous, mais hey, imaginez-vous une avalanche de sucre et de litchis, vous verrez, ça change tout. Il existe donc du kawaiigaze et il est né plus tôt que je ne le pensais, je peux mourir tranquille après avoir découvert ça, même s’il s’agit d’un mini-disque unique pour un projet éphémère. CUTENESS NOISE OVERLOAD. Mais quelque chose me dit que d’autres groupes nippons semblent avoir récupéré la démarche et la faire évoluer en dehors des génériques d’animes… Rendez-vous aux prochains épisodes !
… oui, si l’on excepte la voix qui reste terriblement idol-J-POP, « très inspiré » est un doux euphémisme.
On n’est pas loin du plagiat. Mais c’est ce qui doit arriver à tous les groupes iconiques, vu le nombre de clones de Joy division qu’on peut compter.
Qu’importe, c’est vraiment bon 🙂 merci