Kaidan : les mystérieux contes de fantômes japonais…
Si les Japonais ont fêté Halloween le 31 octobre dernier, il faut surtout y voir l’importation costumée d’une fête occidentale. En réalité, c’est pendant l’été qu’ils fêtent le « Obon ». Avant tout un rituel destiné à calmer l’esprit des ancêtres revenus sur terre pendant cette période, les jeunes en profitent pour regarder des « Kaidan-Eiga », leurs films d’horreur à eux, qui sortent au cinéma à cette époque de l’année… Quoi de mieux que les longues journées chaudes d’été pour frissonner d’effroi devant son écran de télévision ou dans les salles obscures ? 2016 ne sera d’ailleurs pas en reste, avec une sortie cinéma évènement : Sadako VS Kayako, le retour de nos deux spectres nippons préférés…
Mais les kaidan dépassent le cadre du cinéma : à travers les estampes, la littérature classique et les mangas, ils passent par tous les supports artistiques. Journal du Japon vous propose donc une petite séance de remise à niveau concernant les origines de ces histoires… à vous faire dresser les cheveux sur la tête !
Kaidan : à l’origine du mot…
Commençons par définir ce qu’est un « kaidan ». « Kaidan » ou « Kwaidan » représente un certain type de conte japonais. C’est un terme qui remonte à la période Edo (1603-1868), et qui se réfère aux traditionnels contes de « fantômes » japonais, reflétant tout un tas de superstitions de cette période. Il est souvent utilisé en tant que titre de livre ou de film, généralement par les auteurs qui désireront créer l’atmosphère d’une ancienne histoire de revenant. C’est une influence ancienne, qui ne cesse d’avoir du succès.
Aujourd’hui kaidan 怪談 est utilisé pour désigner les histoires de revenants. Ce ne sont pas forcément des histoires effrayantes, mais elles incluent systématiquement des éléments d’horreur, tel que le motif de la vengeance. Étymologiquement, le caractère kai 怪 signifie « étrange, mystérieux, rare, ou apparition ensorcelante ». Tandis que le suivant dan 談 signifie « parler, raconter, histoire narrée ». Le mot kaidan 怪談 signifie ainsi « un récit de choses étranges, mystérieuses ». Bien que ceux-ci existent depuis bien avant la période Edo, l’appellation kaidan n’apparaît pas avant le XVIIe siècle. Comme le caractère dan 談 dans kaidan l’indique, l’élément oral des kaidan est essentiel, tout comme le rôle des conteurs. Ceux-ci étaient très importants, car ils diffusaient ces histoires comme des contes à travers le pays, comme nous le verrons plus tard. Ce n’est donc que pendant la période d’Edo que des histoires furent collectées, compilées, et publiées dans des rubriques de kaidan comme kaidan-shû (collection d’histoires étranges).
Les « créatures »
Il est impossible de parler de kaidan sans évoquer un autre point important : « yûrei ». En japonais le yûrei 幽霊 désigne le « spectre vengeur » typique des kaidan. En analysant ces caractères, on apprend qu’un yûrei est l’esprit d’un défunt, errant après sa mort. Il est envahi de rancœur et de regrets, et revient dans le but de se venger. C’est le thème principal de toute histoire de yûrei : l’histoire d’une jeune femme trahie et assassinée violemment qui reviendra sous la forme d’un spectre – souvent défigurée – afin de se venger des personnes impliquées de près ou de loin dans leur malheur. Ils sont généralement habillés d’un grand kimono blanc et possèdent de longs cheveux noirs. Les yûrei peuvent aussi porter sur le front un hitaikakushi 額隠, petit triangle de papier ou de tissu, maintenu autour de la tête par une cordelette (voir estampe ci-contre). A l’origine il s’agissait d’un talisman censé protéger une personne récemment décédée des mauvais esprits qui pourraient prendre possession du corps. Les yûrei peuvent aussi être accompagnés de hitodama 人魂 tournoyant autour de lui.
Les hitodama sont des âmes humaines sous la forme de boules de feu flottant au milieu de la nuit, apparaissant le plus souvent dans les cimetières. En Occident, nous les appelons « feu-follets ».
On retrouvera donc plus souvent : « yûrei-eiga », que kaidan-eiga pour indiquer les films de revenant vengeurs. « Kaidan-eiga » désignera donc les films de contes japonais.
Cependant, autre que les yûrei on cite beaucoup les yôkai pour désigner les fantômes chez les lecteurs de mangas et amateurs d’animes. Les avis semblent diverger, mais dans les temps anciens il n’y avait pas de différenciation entre les deux. A cette époque, les habitants du Japon pensaient que le pays abritait toutes sortes de créatures étranges. Et lorsqu’on observe les collections d’estampes de la périodes Edo, on constate que les peintres mettent yûrei et yôkai dans le même panier. On remarque quand même des différences au niveau du comportement, du physique, et de la manière dont ils sont devenus ce qu’ils sont. Dans les légendes, les yôkai possèdent une forme monstrueuse et semblent être la personnification de phénomènes naturels, souvent considérés comme des kamis. Les yûrei sont des esprits pleins de rancœur cherchant vengeance car ils sont morts dans d’atroces souffrances, des femmes trahies et assassinées bien souvent. Un yûrei peut causer toute sorte de phénomènes, des manifestations auditives comme visibles afin d’attaquer les êtres humains. Ils portent tous un kimono blanc et possèdent une longue chevelure noire qui tombe en cascade dans leur dos, dont les mains et les pieds ne sont pas souvent visibles.
Il existe encore quelques différences entre yûrei et yôkai. Un yôkai pourra se localiser à des lieux en particulier, et il n’en bougera pas. Il suffira simplement d’éviter ces endroits. Un yûrei en revanche, lorsqu’il vous prend en chasse, peu importe la distance d’où l’on se trouve, il nous retrouvera toujours. Les yôkai ne choisissent pas leurs victimes, tandis que les yûrei visent des personnes en particulier. La dernière différence se situe au niveau de l’heure d’apparition. Un yûrei apparaîtra plutôt tard la nuit, et un yôkai pourra sortir autant la journée et aimera apparaître au crépuscule de la nuit.
Définir ces créatures est donc difficile, car il existe bien évidemment des exceptions. Il y a le spectre de la Yuki-Onna (la femme des neiges). Cette créature est difficile à définir, car il s’agit du spectre d’une jeune femme dont le physique est identique à la description d’un yûrei typique avec son kimono blanc et ses longs cheveux noirs. Ce conte raconte l’histoire d’un vieux bûcheron et de son apprenti qui se perdent dans la montagne enneigée. Alors qu’ils sont presque morts de froid, une Yuki-Onna apparaît dans le but d’emporter dans la mort les deux hommes. Mais prenant pitié du jeune homme, elle promet de les laisser en vie à condition qu’ils se marient et qu’il ne raconte jamais ce moment à qui que ce soit. Si ce récit vous évoque quelque chose c’est parce qu’en Occident nous avons un conte médiéval similaire, Le roman de Mélusine écrit par Jean d’Arras au XIVe siècle. En manga, on retrouvera également l’héroïne de Snow Illusion, nommée justement Yuki, publié chez Komikku.
On pourrait aussi détailler les yûrei en différentes parties : les Onryô, les Goryô et les Tsukumogami, mais il en existe tellement qu’une catégorisation ne peut être exhaustive. Il n’est pas facile d’avoir une classification particulière pour les fantômes japonais. En effet, il semblerait que le peintre d’ukiyo-e – Toriyama SEKIEN (1712-1788) – ait tenté de réaliser une typologie des fantômes et monstres japonais, mais qu’il a abandonné devant l’ampleur et la complexité de la tâche.
Un jeu spirituel
Il existe une ancienne croyance bouddhiste selon laquelle « celui qui commet un crime souffrira de ses actes ». La notion de « souillure » étant très importante dans le bouddhisme, de nombreuses choses peuvent causer une « pollution spirituelle », la plus forte étant le contact avec la mort. Pour nettoyer cette pollution il faudra effectuer « le rituel des sept jours », qui débute au moment où la souillure a été causée. Vers la fin du XVIe siècle les bouddhistes inventèrent une cérémonie afin de pouvoir purifier leurs âmes, le Hyakuza Hôdan, qui consistait à se rassembler en groupe afin de raconter une centaine de contes bouddhistes tout au long de cent jours, au bout desquels il était censé se produire des miracles.
On dit que c’est à cause de ce concept de « souillure » que les histoires de revenants se firent plus populaires pendant la période Edo. Peu à peu le rituel du Hyakuza Hôdan devint un jeu appelé Hyaku Monogatari Kaidan Kai : « collection de cent histoires étranges ». Ce jeu consistait à se rassembler le soir et à se raconter une centaine d’histoires effrayantes. Au bout de chacune d’entre elles une bougie était soufflée. Lorsque les cent contes étaient achevés et les cent bougies éteintes, un évènement effrayant était censé arriver. On dit que les guerriers et les samouraïs étaient très friands de ce jeu, car c’était un moyen pour eux de tester leur courage. C’est avec sa popularité naissante que les artistes d’estampes ukiyo-e produisirent de nombreuses collections nommées Hyaku Monogatari, avec par exemple Utamaro KITAGAWA.
Le Hyaku Monogatari représente une évolution des pratiques rituelles surnaturelles, que l’on peut aussi observer dans les blocs de bois peints de la période Edo : Hyakki Yakô – La Parade des 100 Démons, que certains lecteurs de mangas connaissent à travers Secret Service ~Maison de Ayakashi~, de Cocoa Fujiwara chez Kurokawa. Ceci part d’une croyance de l’ère Heian (794-1185), où de nombreux démons terrifiants s’adonneraient à une parade nocturne, déambulant dans les rues de la capitale la nuit. De cette parade mythique découla aussi de nombreuses séries d’estampes sous le nom de Hyakki Yakô, dont le plus célèbre étant Toriyama SEKIEN. Ainsi, le développement de ces croyances dans les estampes pendant Edo, démontre que les histoires de fantômes ne doivent pas leur succès qu’au jeu du Hyaku Monogatari. La croyance du Hyakki Yakô est présente bien avant la naissance du rituel bouddhiste Hyakuza Hôdan au Japon.
Au cas où vous seriez tentés, voici les règles traditionnelles de ce jeu, qui ont été détaillées par Ryoi ASAI dans son recueil Otogi Boko :
1) Trouver minimum 3 personnes (car il va vous falloir raconter beaucoup d’histoires).
2) Attendre une nuit de pleine lune.
3) Se rassembler chez l’un d’entre eux.
4) Préparer un espace d’au moins 2 pièces, 3 c’est mieux, et en forme de L encore mieux.
5) Éteindre les pièces, et dans l’une d’entre elle y allumer 100 lanternes, si elles sont faites en tissu bleu c’est encore mieux que le blanc classique, et placer au centre d’une table, un miroir.
6) Il est fortement conseillé aux participants de porter du bleu, et ils doivent laisser leurs armes à l’entrée de la maison, et retirer aussi tout objet dangereux des pièces.
7) Choisissez vos contes longtemps à l’avance. Traditionnellement les séances de Hyaku Monogatari n’impliquaient pas des histoires de fantômes, mais plutôt des faits étranges et mystérieux. Mais en réalité, toute forme de contes effrayant fait l’affaire. Il faut aussi choisir ses contes selon leur longueur. Car chaque participant n’a que 5 min pour raconter son histoire ! Et 5 min pour 100 histoires équivaut à 8 heures à conter. Ce jeu demande donc beaucoup de concentration et d’endurance.
8) A la fin de chaque histoire, le conteur doit aller dans la pièce où il y a les lanternes, et doit en éteindre une. Il doit alors se regarder dans le miroir, puis retourner dans la pièce principale avec les autres participants. (le groupe peut discuter entre eux pendant ce temps).
Au milieu du XVIIIe siècle la production de ces histoires atteint l’un de ses sommets. Pendant l’ère Hôreki (1751-1763) les livres de kaidan apparurent en masse dans les étagères des librairies. La popularité des kaidan à cette époque n’est pas sans raison.
En effet, la première année de l’ère Hôreki marque la mort du huitième Shôgun, Yoshimune TOKUGAWA 徳川吉宗 (1684-1751). Ce Shôgun avait initié la réforme de Kyôhô, qui consistait à stabiliser et renforcer le système du gouvernement militaire japonais… et rendre le shogunat solvable. En raison des tensions entre l’idéologie confucéenne (que l’argent souille) et la nécessité d’une économie monétaire, Yoshimune TOKUGAWA jugea nécessaire d’écarter certains principes confucéens qui freinaient son processus de réforme. Cette loi met aussi l’accent sur l’ascétisme, ainsi que sur la formation des guildes marchandes, ce qui permet un plus grand contrôle et une fiscalité plus forte. L’époque Hôreki fut une ère où la population japonaise décida de réagir contre la rigueur que cette réforme implanta. Une opposition qui passa, comme souvent par un élan artistique et folklorique qui profita au kaidan, entre autres.
Quelques années après la fin de cette ère néfaste, les kaidan sont donc popularisés par des auteurs comme Akinari UEDA avec son œuvre Ugetsu Monogatari publié en 1776, ou encore le fameux Lafcadio HEARN. Mais aussi grâce aux estampes ukiyo-e représentant des spectres de contes célèbres des artistes d’antan connus comme Hokusai KATSUHIKA par exemple. Cet artiste est surtout célèbre pour avoir réalisé la série d’estampes des 36 vues du Mont Fuji, dont les dates d’éditions s’étendent entre 1831 et 1833. C’est dans cette série de peintures que l’on retrouvera la fameuse grande vague de Kanagawa. Il peignit aussi les monstres du folklore japonais à travers une autre série d’estampes Hyaku Monogatari ou Les 100 histoires de fantômes, recueil contenant la fameuse estampe visible sur la gauche.
Dans le but de toujours plus surprendre le public, les auteurs de kaidan déferlèrent à travers le pays à la recherche d’histoires étranges dans des régions reculées. Lorsqu’on regarde de près ces histoires, on constate qu’elles contiennent des éléments géographiques qui nous permettent de les situer, mais aussi des références historiques à des évènements tragiques majeurs, telle que la Bataille de Dan no Ura par exemple dans L’histoire de Hôichi le-sans-oreilles retranscrite par Lafcadio Hearn, et portée au cinéma par Masaki KOBAYASHI dans son film Kwaidan en 1964. Cette bataille est un épisode majeur du Heike Monogatari, l’œuvre épique monumentale de la littérature médiévale japonaise. Elle oppose les Heike du clan des Taïra contre les Genji du clan des Minamoto et décrit la tragique bataille navale se déroulant dans le détroit de Shimonoseki au cours de laquelle le prince héritier Antoku et sa cour, alors encerclés par leurs adversaires les Genji, n’ont pas d’autre choix que de se jeter à la mer où ils périssent. On dit que leurs corps ne furent pas retrouvés, et que leurs esprits hantent encore les lieux. C’est depuis que de nouveaux crabes ont été aperçus, portant sur leur dos une sorte de visage, ressemblant étrangement au blason de la famille des Heike. Ces crabes sont depuis appelés les « crabes Heike » ou « heikegani« .
Enfin, notons que les kaidan furent introduits pour la première fois en Occident avec la publication en 1901 du recueil de contes « Kwaidan » de Lafcadio Hearn. Ces écrits possédaient de précieuses sources d’informations concernant la culture japonaise de l’époque. Ce recueil, est une sorte d’introduction aux superstitions japonaises pour le public occidental. Si le terme kwaidan est différent de celui de kaidan, c’est parce que Lafcadio Hearn désirait romaniser le mot japonais pour le titre de son livre. Son influence était telle, que ce mot est encore utilisé aujourd’hui.
Bonus : quelques kaidan connus, pour une soirée terrifiante !
La Légende d’Oiwa (Yotsuya Kaidan : Oiwa-san) dans le recueil de conte de Yotsuya Kaidande Nanboku TSURUYA, est sûrement l’histoire de yûrei la plus connue et la plus reprise. D’abord produite en pièce de Kabuki, elle a connu de nombreuses autres versions écrites. Mais aussi portée à l’écran au cinéma, par exemple l’année dernière le réalisateur nippon Takashi MIIKE réalisa Kuime et reprend cette légende de façon moderne. L’histoire de ce spectre à aussi inspiré les films Ringu parmi d’autres références. C’est l’histoire d’Oiwa une jeune femme mariée à Iemon un samouraï disgracié. Celui-ci tombe amoureux d’une autre, mais coincé dans le mariage avec Oiwa, il décide d’envoyer un homme la draguer afin de la prendre sur le fait en train de le tromper. Comme cela ne fonctionne pas, l’amante de son mari décide de lui envoyer un cadeau empoisonné déguisé en crème médicinale qu’elle s’étale sur le visage. Le poison faisant son travail, laisse la pauvre Oiwa défigurée. Furieuse, elle se suicide, mais pas sans maudire son mari avant. Il répond à cela en martelant son corps froid par de nombreux coups de couteau. Les histoires diffèrent, mais la version la plus connue raconte que pendant le mariage de Iemon et de son amante, Oiwa se réincarna dans une lanterne de papier afin de se venger du couple, comme on peut le voir dans l’estampe plus haut.
Le manoir aux assiettes de Banchô (Banchô Sarayashiki) dont la première apparition au Kabuki semble être en 1741, et produite par Iccho ASADA et Tarobei ITAMENAGA. C’est aussi – tout comme l’histoire d’Oiwa – un conte très célèbre qui connu de nombreuses adaptations, et fut aussi l’une des inspirations de Ringu. Okiku était une belle jeune femme, et travaillait dans le manoir du samouraï Tessan AOYAMA en tant que servante. C’était un vil personnage, car il désirait prendre le pouvoir de la région sur le château Himeji situé à Edo (Tôkyô aujourd’hui). Il avait établit tout un plan, mais il fut découvert. C’est comme ça qu’il comprit que sa servante Okiku avait laissé trainé ses oreilles. Il tenta alors de la soudoyer en lui proposant un marché : il ne l’implique pas dans sa trahison si elle consent à devenir son amante, ce qu’elle refuse bien sûr. Il avait prévu son refus, et cacha 10 assiettes hors de prix qu’il accusa Okiku d’avoir perdu. Devenu une criminelle, c’est l’occasion pour Tessan de se débarrasser d’elle en l’assassinant puis en jetant son corps dans le puits à côté du manoir. Une autre version de l’histoire dit que c’est Okiku qui fait tomber malencontreusement les assiettes. Et pour la punir Tessan l’enferme dans un donjon, mais elle réussit à s’échapper pour se suicider en se jetant dans un puits.
Les Contes de la Lanterne Pivoine (Botan Dôrô) vient du recueil de contes Otogi Boko de Ryoi ASAI publié en 1666. Mais ce n’est qu’en 1884 qu’elle devint connu lorsqu’elle est adaptée en pièce de Rakugo (forme de théâtre japonais humoristique). Cette histoire est aussi reprise dans le Kabuki, avec une version en 1892, représentation que Lafcadio Hearn vit, et reprit dans une nouvelle nommée Un karma passionnel. C’est aussi l’un des kaidan les plus célèbres du Japon. C’est Satsuo YAMAMOTO en 1968 qui signe la version la plus remarquable du conte nommé La lanterne pivoine. C’est l’histoire d’un samouraï sans maître (rônin) Shinzaburo HAGIWARA qui tombe éperdument amoureux d’une belle jeune femme nommée Otsuyu. Le père d’Otsuyu – un samouraï de haut rang sous les ordres du Shogun – n’accepte pas leur mariage. Otsuyu en meurt de chagrin avec sa servante Oyone.
Lorsqu’il apprend sa mort, Shinzaburo connait une douleur sans nom, et lui apporte des prières et des offrandes chaque jour sur sa tombe. C’est pendant le festival du Obon, qu’il dépose une lanterne avec de la nourriture en son honneur, pendant 7 jours. Les deux jeunes femmes apparaissent alors à la nuit tombée – Oyone tenant un lanterne et Otsuyu derrière elle. Croyant qu’Otsuyu est toujours vivante, il va passer toutes ses nuits en sa compagnie et celle de sa domestique. Shinzaburo voit de belles jeunes femmes en Otsuyu et Oyone, tandis que les autres personnes ne voient que des cadavres pourrissants. C’est en essayant de les éviter que le spectre d’Otsuyu se met en colère, et se met à menacer le personnel du samouraï mais sans succès. Oyone s’y met aussi, et promet aux domestiques de Shinzaburo de leur donner 100 ryô (pièces d’or d’origine chinoise, arrivées au Japon à l’époque de Kamakura 1185-1333) – une somme plutôt incroyable pour un fantôme (environ 250 000 euros !) – afin qu’ils trahissent leur maître. Comment Oyone trouva tout cet argent c’est un mystère… mais quoiqu’il en soit, dans la nuit, les domestiques retirèrent un ofuda (talisman de papier) d’un mur. Et le lendemain, Shinzaburo fut retrouvé mort, le visage tordu de terreur, dans les bras du squelette de la belle Otsuyu. Shinzaburo est donc enterré auprès des deux femmes.
Et une dernière pour la route, avec Furisode de Lafcadio HEARN. C’est l’histoire d’Umeno, qui tombe amoureuse d’un jeune homme qu’elle croise en allant au temple. Cette rencontre la perturbe grandement, car éprise de cet homme, elle tombe gravement malade. Afin de la consoler, ses parents essaient de trouver cet homme, mais sans succès. Puis elle les supplie de lui acheter un kimono « furisode » (kimono aux longues manches pour les jeunes femmes célibataires de bonne famille) aussi beau que celui de l’homme qu’elle aime. C’est l’année d’après – pour ses 17 ans – qu’elle meurt, et son kimono est utilisé pour recouvrir sa tombe. Celui-ci est donné à un temple qui le revend rapidement à une jeune fille qui meurt peu de temps après avoir commencé à le porter, à 17 ans aussi. Le cycle continue pour une troisième, jusqu’à ce que les parents des victimes se disent qu’il vaudrait mieux brûler ce vêtement et arrêter l’hécatombe. Pas trop tôt !
Ainsi vous aurez compris que le terme kaidan désigne principalement des récits très anciens, de contes traditionnels à propos de revenants vengeurs, possédant des éléments spécifiques géographiques et historiques des périodes anciennes du Japon. Ce sont des histoires qui sont racontées de générations en générations, au point qu’elles sont toujours connues de nos jours. Et c’est comme cela que ces histoires surnaturelles classiques sont devenues des sources d’inspirations fréquentes pour le cinéma d’horreur japonais contemporain, ainsi que pour les mangas et les animes. Mais ceci sera pour une prochaine fois !
Liens utiles :
Article de Noriko Reider à propos de l’histoire des Kaidan : The Emergence of Kaidan-Shû
Article de Noriko Reider à propos des Tsukumogami : Animating Objects : Tsukumogami Ki and the medieval illustration of the Shingon truth
Article de Sara Sumpter : « From Scrolls to Prints to Moving Pictures: Iconographic Ghost Imagery from Pre-Modern Japan to the Contemporary Horror Film », Explorations: The Undergraduate Research Journal, 2006, p8.
Ouvrage à propos de la culture folklorique japonaise de Michael Foster : Pandemonium and Parade: Japanese Monsters and the Culture of Yokai
Livres à propos des yûrei : Hiroko YODA et Matt Alt, Yûrei Attack!
Livres de Lafcadio Hearn : Au Japon Spectral, Kwaidan ou histoires et études de choses étranges
Site à propos de la culture populaire japonaise : Sarudama
Site regroupant de nombreuses informations à propos des yûrei, traductions de contes : Hyakumonogatari Kaidankai
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12 réponses
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