[Cinéma] Last Knights : le cas Kazuaki KIRIYA
C’est directement en DVD qu’est sorti en ce début d’année Last Knights, dernier film de Kazuaki KIRIYA, déjà réalisateur des ambitieux CASSHERN et GOEMON. Une sortie en catimini pour le premier film international du réalisateur pourtant soutenu par une distribution d’envergure internationale : rien de moins que Clive OWEN et Morgan FREEMAN. L’occasion de revenir sur les 3 longs métrages de ce réalisateur audacieux qui détonne dans le paysage du divertissement cinématographique japonais.
Le choc Casshern
En 2004, les premières images d’un film japonais de science-fiction font grand bruit sur la toile et dans les magazines spécialisés, y compris en France (chez Mad Movies notamment). Des images flashy et hypnotiques à l’ambitieux look néo-rétro, des effets numériques à la truelle et des séquences d’actions dantesques, totalement folles qui font de l’objet filmique à venir un véritable manga live. Il s’agit de Casshern, adaptation d’un vieil animé des années 70 et premier long métrage de Kazuaki KIRIYA, jeune réalisateur jusqu’alors uniquement connu pour avoir réalisés des clips pour la jpop star Hikaru UTADA dont il est alors accessoirement le mari. C’est peu dire, devant ces images impressionnantes, que le film fait l’objet d’une attente extatique et que son réalisateur semble devenir une sorte de messie potentiel pour les fan de SF et de cinéma japonais débridé.
Au final, le film, sans être exempt de défauts, impressionne par ses partis pris visuels et sa réalisation hyper dynamique ; un projet finalement en pointe d’une mouvance cinématographique marquante du milieu des années 2000. En effet, il y développe une approche comparable à celle de Sky Captain and the world of Tomorrow (Kerry CONRAN, sorti en 2004), Sin City (de Robert RODRIGUEZ, 2005) et 300 ( de Zack SNYDER, 2006), à savoir user du fond vert pour retrouver le dynamisme et la stylisation permis par les comics books et les mangas. A noter d’ailleurs qu’on retrouvera par la suite le style de KIRIYA dans certaines réalisations occidentales; SNYDER par exemple n’hésitant pas à recopier littéralement certains plans de la séquence du combat avec le robots dans son Sucker Punch.
Goemon, fantasy épique et décadente
C’est à l’été 2009 que sort Goemon, deuxième long métrage de Kazuaki KIRIYA, sur les écrans japonais. Le réalisateur applique la même recette que pour Casshern – tournage sur fond vert – à un sujet issu cette fois du folklore historique national. Il s’inspire là du personnage historique de Goemon, équivalent japonais de Robin des bois ayant vécu au moment des troubles de l’époque Sengoku.
Les deux films ont beaucoup de point commun, mais cette fois le réalisateur se permet d’y ajouter un peu d’humour dans la première partie, et signe une photographie aux couleurs plus vives que précédemment. La réalisation est toujours survoltée et l’on retrouve certains plans signatures de KIRIYA (plan du héro en ombre chinoise pendant un saut devant la lune, gros plan ralenti du visage du héros en plein tranchage d’ennemi …).
Au niveau de la direction artistique aussi, on sent que le réalisateur se fait plaisir en imaginant un Japon féodal à l’architecture surdimensionnée qui marie des éléments occidentaux comme japonais. Les costumes aussi sont somptueusement décadents.
Cependant, si le film est visuellement impressionnant, il faut aussi reconnaître que l’abondance d’images de synthèse a vieilli rapidement et tend un peu, maintenant, à piquer les yeux. En effet, les couleurs plus vives que dans Casshern isolent parfois un peu trop les acteurs en prise de vue réelle de décors qui apparaissent souvent sans texture réelle ni densité. Aussi, quand le sang numérique gicle, on a le sentiment d’être dans un jeu vidéo sur PS2.
C’est fort dommage car le film reste très agréable, et sort des sentiers battus de la production japonaise, mais accuse probablement plus rapidement le poids des ans que s’il s’était agi d’un film totalement en image de synthèse, comme Final Fantasy Advent Children (un genre qui pourrait probablement supporter plus facilement l’extravagance de KIRIYA).
Last Knights : approche internationaliste d’un classique japonais
C’est seulement en avril 2015 que son film suivant, Last Knights, sort sur les écrans nord-américains et britanniques. Le film mettra sept mois avant de débarquer sur les écrans japonais et n’attendra la France qu’en ce début d’année 2016, sans passer par la case cinéma.
Pourtant, KIRIYA reçoit le script rapidement après Goemon, rencontre Clive OWEN lors du Shanghai Film Festival en juin 2009 pour lui proposer le projet et achève le film dès 2013. Pourquoi donc tant de temps entre sa production et sa sortie ?
Si ce n’est pour sa distribution internationale et des moyens sensiblement plus importants qui lui permettent de laisser un peu de côté les fonds verts au profits de décors réel, Last Knights se présente d’emblée dans la droite lignée des films précédents. On y retrouve la même recette que dans Goemon, à savoir la réinterprétation d’un fait devenu légendaire de l’histoire japonais – les 47 Ronins – transposé dans un environnement multiculturel qui fusionne aussi bien les influences médiévales européennes que japonaises.
Problème : au même moment, un autre film basé sur le même sujet est aussi en production, lui avec un budget beaucoup plus important : 47 Ronin, avec Keanu REEVES dans le rôle titre. C’est cette concurrence qui va entraîner un retard dans la production et la sortie de Last Knights. 47 Ronin sort en avant première au Japon en décembre 2013 (en France en avril 2014), fort d’un budget de 225 millions de dollars (dont 50 uniquement pour la campagne promotionnelle). Il connaîtra un échec retentissant.
Bien que l’on pourrait la qualifier « d’internationaliste », l’approche de Last Knights à l’égard de l’histoire des 47 Ronin (ou Chûshingura) est finalement beaucoup plus fidèle que celle du film mettant en scène Keanu Reeves. Le but avoué de KIRIYA étant d’utiliser une distribution internationale et un environnement brassant diverses influences afin de montrer que les concepts d’honneur et de loyauté que véhicule l’histoire ne sont pas propre exclusivement à la culture japonaise et au Bushido, mais peuvent avoir une portée plus universelle et entrer en résonance avec les cultures occidentales. C’est cependant cette approche qui va décontenancer les japonais et causer des difficultés à KIRIYA pour trouver des distributeurs dans son propre pays.
L’histoire des 47 Ronin est bien connue : un seigneur (Morgan FREEMAN) attaque et blesse un ministre (Aksel HENNIE) qui lui avait manqué de respect. Il est en conséquence condamné à mort par le Shogun (ici un empereur). Après plus d’un an d’attente afin de dissiper les soupçons de vengeance, 47 des guerriers du noble seigneur passés du statut de samurai à celui de ronin et mené par leur chef (incarné par Clive OWEN), mettent à exécution un plan très élaboré pour s’introduire dans le palais du ministre et l’assassiner en représailles.
Cette fois, le réalisateur change d’approche et laisse tomber le fond vert pour un tournage en décors réels en République Tchèque. Ce changement notable est hautement appréciable et donne au look du film une très belle patine, entre grands paysages hivernaux et villes et châteaux médiévaux. La direction artistique suit, elle, le chemin de Goemon en légèrement moins extravagant et l’on retrouve le même soin au niveau des très beaux costumes et accessoires.
L’étalonnage de l’image est fortement délavée, volontairement proche du monochrome hormis lors des séquences à la court ou plus de couleurs et de chaleur émanent des costumes et décors. La photographie se veut très clair-obscur, dans un esprit se rapprochant d’un éclairage aux sources naturelles de lumière, suivant le choix du réalisateur.
La réalisation, quand à elle, est très sobre, beaucoup moins énergique et folle que celle de Casshern et Goemon. KIRIYA s’est-il assagi ? Ou bien les contingences d’un tournage en décors réels ont-elles limitées ses ambitions et ses extravagances ? Toujours est-il que ce rythme lent a au moins le mérite de permettre à l’histoire de se mettre tranquillement en place et d’infuser jusqu’au derniers tiers, c’est-à-dire le moment tant attendu où les 47 ronins exécutent leur juste vengeance.
Le scénario proprement dit est sans surprise, et se concentre sur l’essentiel de ce récit historique dont le déroulement est de toute façon connu de tous. Il ne s’agit en effet pas là d’une fresque épique, pleine de rebondissements et d’action, mais plus d’une fable illustrant les valeurs du Bushido. On peut cependant regretter que de nombreux personnages secondaires potentiellement intéressants ne soient finalement qu’esquissés. Les acteurs, quand à eux, s’en tirent fort bien, à commencer par Clive OWEN qui prête avec justesse sa présence au commandant Raiden et qui montre une très belle alchimie avec l’actrice israélienne Ayelet ZURER qui interprète son épouse, beau personnage qu’on aurait justement aimé voir plus développé.
Ainsi, si Last Knights n’excite pas autant l’imagination que les précédents opus de Kazuyaki KIRIYA, il s’agit tout de même d’un bel ouvrage qui aurait mérité mieux que son entrée par la petite porte. Un film en demi-teinte, donc.
Le cas KIRIYA : un réalisateur atypique mais précieux
Kazuaki KIRIYA est un réalisateur atypique au Japon. Refusant de perdre des années en tant qu’assistant, il a fait ses études directement aux Etats Unis (à la Parsons New School for Design) avant de revenir au Japon pour réaliser des publicités et des clips vidéos, notamment pour Hikaru UTADA – son épouse de 2002 à 2007. C’est comme cela qu’il s’est fait un nom et a ensuite pu lancer son projet Casshern. Ainsi, si KIRIYA réalise des films de pur divertissement, on ne peut que le considérer comme un véritable auteur, tant il porte ses projets à bout de bras et possède une identité propre. On ne peut non plus nier le caractère visuellement ambitieux de son approche, même si celle-ci se heurte finalement à une limitation de ses moyens financiers.
C’est un réalisateur du style de Baz LHURMAN, qui n’hésite pas à plonger les mains dans l’extravagance visuelle et le mélo exacerbé. Un style qui ne peut pas plaire à tout le monde mais dont l’existence, aussi bien en tant qu’expérimentateur visuel que producteur de divertissements originaux est un atout pour le cinéma japonais. Cependant, pour que le résultat soit à la hauteur, ce type de cinéma demande de gros moyens. Il faut espérer que les producteurs locaux sauront lui donner du crédit, ou bien qu’il pourra trouver de nouveaux financiers en occident, malgré la diffusion confidentielle de son dernier opus en tant que premier essai international. Un essai en demi-teinte certes, mais qui montre cependant qu’il est capable de réaliser un film de manière classique et de diriger des acteurs internationaux tout en conservant sa propre identité (si ce n’est son grain de folie), et qui vaut donc le coup d’être découvert.
Last Knights de Kazuaki KIRIYA, est disponible en DVD et Blu-ray chez Universal.