Rugby Japonais : l’histoire d’un surprenant renouveau
Si la Coupe du Monde 2015 de Rugby a révélé un pays, c’est bien le Japon. Alors que beaucoup de monde se demandait même si ce sport existait sur l’archipel, l’équipe nationale japonaise des Brave Blossoms s’est rappelée au bon souvenir du ballon ovale et de son public en remportant trois victoires, dont une contre la redoutable formation de l’Afrique du Sud. Le pays peut donc fièrement accueillir la prochaine Coupe du Monde, en 2019, d’autant que l’histoire du Rugby au Japon est beaucoup plus fournie et dense qu’on ne l’imagine, avec une période de gloire notable lors du siècle dernier.
A l’occasion de la sortie en ligne – et gratuite – du passionnant Guide du Rugby, Journal du Japon ouvre une page sportive pour s’intéresser à la vie et à l’histoire du Rugby au Pays du Soleil Levant, en allant à la rencontre du créateur de cet ouvrage : Claude Yoshizawa !
Le Guide du Rugby au Japon : une histoire d’échanges…
Journal du Japon : Bonjour Monsieur Yoshizawa… Avant de débuter, une question s’impose: certains d’entre-nous vous connaissent comme conférencier puisque vous avez animé plusieurs prix, présentations ou interviews à Japan Expo ou à Mang’Azur par exemple… Donc comment êtes vous arrivé à ce guide du Rugby en vue de la Coupe du Monde au Japon en 2019 ?
Claude Yoshizawa : Lorsque j’ai entendu en 2012 le Japon officialiser le fait qu’il allait organiser la Coupe du Monde de Rugby en 2019, j’ai créé un club business que j’ai baptisé « Club Midi-Pyrénées Japon 2019 », persuadé que cette Coupe du Monde était pour ma région, considérée comme la région N°1 du rugby en France, une opportunité exceptionnelle de développer les relations professionnelles avec ce pays et ce quelques soient les secteurs d’activités. Mais quand j’en parlais, on ne me renvoyait toujours que deux phrases : « Ah bon ? Le Japon va organiser cette Coupe du Monde ? » et « Ah bon ? Il y a du rugby au Japon ? ».
C’est donc très naturellement que m’est venue cette idée de faire un Guide pour que les Français commencent par apprendre un peu plus sur le rugby au Japon, que cela concerne les touristes et amateurs de ce sport qui iront peut-être assister à cette événement ou que cela concerne les professionnels qui voudront y développer leurs affaires. Et cette idée est définitivement devenue un projet concret en mars de cette année 2015, lorsque le Japon et World Rugby ont officialisé les 12 villes et départements qui accueilleront des matchs lors de cette Coupe du Monde.
Votre intérêt pour le rugby ne date donc pas d’hier… La performance remarquée de l’équipe du Japon lors de la dernière Coupe du Monde n’est pas pour rien non plus dans notre conversation aujourd’hui et ce fut une surprise pour beaucoup de monde (peut-être moins pour vous, sans doute). Mais comment avez-vous vécu cette Coupe du Monde ? Est-ce que vous vous souvenez d’un moment en particulier, d’une anecdote ?
Disons que je me doutais que le Japon ferait sans doute mieux que les éditions précédentes et j’espérais qu’il remporte au moins une victoire, ce qui ne lui était plus arrivé depuis 20 ans. Mais sincèrement, l’exploit réalisé contre l’Afrique du Sud a été une vraie surprise.
Je n’ai pas vraiment d’anecdote proprement dite mais le meilleur souvenir de ce match est que je l’ai suivi dans un « rugby bar » de Toulouse. Lequel était rempli, bien entendu, de Français et de quelques Anglais je pense… Eh bien, ce qui fut fantastique, c’est l’ambiance qui accompagna ce match. On sait qu’en France, on a la plupart du temps tendance à encourager et supporter celui qui est considéré comme le plus faible. Mais là, ce ne fut plus du niveau du simple encouragement. Au fur et à mesure que le Japon revenait systématiquement au score, le public applaudissait de plus en plus fort. Et quand le dernier essai de la victoire a été marqué, je crois qu’un public composé uniquement de Japonais n’aurait pas crié plus fort ! Ce fut un délire dans ce bar !
On en vient maintenant à ce guide : quels sont ses objectifs ?
Juste permettre à ceux qui s’intéressent au rugby, au Japon, à l’un ou à l’autre ou aux deux à la fois, de découvrir ce sport et ce pays dans la perspective de la Coupe du Monde en 2019.
Vous débutez ce guide par un historique du rugby au Japon et il est aussi surprenant que passionnant. Tout d’abord, contrairement à ce que l’on peut croire le Rugby et le Japon c’est une veille histoire : tout commence le 26 janvier 1866 au Yokohama Football Club : racontez-nous ça !
Ah non, je ne vais pas vous le raconter (Rires), tout est justement dans le Guide, il suffit de le télécharger sur notre site, c’est gratuit, et vous saurez tout !
Permettez cependant que j’en profite pour bien re-préciser un point important : la quasi intégralité de cet historique ainsi que de la présentation de l’organisation du rugby au Japon a été fait en partenariat avec « Japon Rugby », le seul site en langue française dédié à 100% au rugby japonais. L’œuvre d’un vrai passionné que je vous conseille de découvrir si vous voulez suivre l’actualité de ce sport au Japon. Sans cesse mis à jour, c’est le site de référence du rugby au Japon !
100 ans de Rugby au Japon : gloire, échecs et fonctionnement…
Au Japon Rugby va ensuite connaître un essor progressif mais constant pendant 50 ans tant et si bien qu’en 1920, il y a plus licenciés au Japon (60 000) que pour le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande réunis ! Comment expliquer que ce sport ait si bien pris racine sur l’archipel nippon à l’époque ?
N’oubliez pas que le Japon est bien plus peuplé que les pays que vous citez, il est donc « mathématiquement » assez normal que le nombre de licenciés soit bien plus élevé en nombre absolu. Après, je dirais que cela correspond à l’époque où le Japon a connu sa révolution industrielle, sa modernisation dont l’essentiel venait d’Europe, en particulier de France et d’Angleterre. Il est donc assez facilement compréhensible que le rugby est bien « pris » notamment dans le monde universitaire, comme du reste chez nous ou en Angleterre.
Justement le rugby était un sport majoritairement amateur lors de ces décennies, mais ça ne veut pas dire qu’il était organisé de la même manière partout dans le Monde… Dans le livre vous expliquez qu’il y a une spécificité quasi-philosophique : la notion de groupe qui passe avant l’individu… On retrouve cette devise dans la société japonaise, comment se concrétise-t-elle dans le rugby nippon ?
Je pense qu’elle se concrétise aussi en Europe et de façon plus générale dans tous les sports collectifs : une équipe gagnante n’est pratiquement jamais la simple addition de personnalités exceptionnelles, c’est lorsque celles-ci décident de jouer « collectif » qu’elle le devient. Ceci correspond bien à la mentalité japonaise dans son ensemble. Vous remarquerez toutefois que j’emploie malgré tout le terme de « personnalité », j’aurais pu utiliser celui « d’individualité », notion qui est loin d’être absente ou inexistante au Japon aussi à l’inverse de ce que beaucoup imaginent ou disent de façon caricaturale ou erronée…
Le fonctionnement amateur de l’époque va aussi de pair avec une réalité économique et un certain sens de la communication : au Japon à l’époque, les équipes sont souvent des équipes d’entreprise, qui brillent par le biais de leurs joueurs. Pourtant dans le reste du monde, la tradition est plus de lier un club avec une ville. Pourquoi le Japon est parti sur ces bases selon vous ?
Pour faire simple, je dirais que c’est le cas de la plupart des sports collectifs (et même de certains sports individuels) au Japon : que cela soit le baseball, le football le rugby (mais également l’athlétisme et bien d’autres sports individuels), le sport est une des manières de se réaliser dans sa vie, que celle-ci soit scolaire ou étudiante ou qu’elle soit professionnelle. Ainsi, c’est à chaque niveau correspondant à chaque « étape » de la vie que les organismes fréquentés (écoles, collèges, lycées, universités et enfin entreprises) ont leur propres sections sportives.
A partir des années 80 le monde du rugby s’est dirigé vers la professionnalisation alors que le Japon est resté amateur : pourquoi n’a-t-il pas suivi le mouvement ? Sont-ce ces fameuses entreprises qui ont freiné cette évolution ?
C’est vraisemblablement une des causes majeures.
Après une période faste des années 60 à 80, les années 90 marquent le début d’une période noire pour le rugby japonais : les stades se vident et les défaites cuisantes s’enchaînent, avec parfois plus de 100 points d’écarts : qu’est-ce qui manque alors au rugby japonais et à l’équipe nationale, pourquoi est-il descendu si bas ?
C’est justement le fait d’avoir « raté » cette professionnalisation qui en est surement à l’origine. Vous savez, il existe parfois des « amateurs », quel que soit le sport, qui atteignent un niveau très élevé. Mais, fondamentalement, le niveau « professionnel » est bien plus fort que le niveau « amateur ». Regardez en golf ou au tennis, dans les tournois appelés « Open » et donc « ouverts » aux professionnels et aux amateurs : ces derniers sont très peu nombreux voire tout à fait absents de la plupart des phases finales.
Vous dites que l’une des failles de l’équipe nationale est le mental… Sans vouloir tomber dans le cliché on peut se poser tout de même la question : Le pays des Samourais, ces guerriers fiers et valeureux, avoir un souci de mental ?
Le problème n’est sans doute pas tant celui de savoir si l’état d’esprit est fier et valeureux, les sportifs de haut niveau de tous pays le sont surement. Par contre, quand vous vous trouvez dans une sorte de cercle vicieux ou de spirale qui vous font accumuler les défaites, même les tout meilleurs éprouvent souvent ce problème de mental. Là encore quelque soit le sport. Regardez les adversaires de Teddy Riner au judo : ils partent tous perdants dans leur tête avant même que ne débute le combat. Alors qu’ils sont tous les plus forts de leur pays au moment de la compétition considérée. Et s’il y a surement une vraie différence technique, cette « faiblesse » d’un point de vue mental n’arrange sans doute pas du tout les choses pour eux.
Heureusement la professionnalisation entamée en 2003 va construire les bases d’un renouveau, qui sera incarné par Eddie JONES, le nouvel entraîneur qui reprend l’équipe fin 2011. Comment s’y est-il pris pour redresser la barre ?
Il faudrait lui demander, je ne suis pas dans ses petits secrets (Rires). Mais une chose me paraît évidente : il a surement été d’une exigence sans faille, il a su également s’entourer des bons adjoints (comme Marc Dal Maso pour le travail des avants) et il a su gagner la confiance des joueurs.
2019 : le rugby de demain, au Japon et ailleurs…
Tout comme le Japon autrefois, la France a connu une correction face aux All Blacks dans la dernière Coupe du Monde… Est-ce que l’on n’aurait pas des choses à apprendre des difficultés qu’a surmontées le Japon ?
Je crois qu’il y a toujours quelque chose à apprendre de l’étranger et du Japon en particulier. Ceci étant, il faut savoir que retirer d’un pays comme celui-là, il n’est pas question de simplement « importer » des méthodes qui marchent là-bas (mais si elles fonctionnent, c’est aussi parce que eux sont japonais) mais de savoir comment les adapter à la française. Mais pour le cas particulier que vous me citez, celui de l’équipe de France actuelle, j’imagine qu’il y a chez nous suffisamment de spécialistes et d’esprits avisés pour savoir ce qu’il conviendrait de faire. Le problème étant de savoir si ces personnes auront les moyens de leurs ambitions et les coudées franches : dans notre pays, bien souvent, d’autres intérêts (autres que purement sportifs) viennent souvent contrarier les plus beaux projets…
Vous faites un parallèle et un constat intéressant avec le rugby du 21e siècle : on voit que ce lien des clubs avec des entreprises s’est généralisé dans le Monde : des équipes ou des stades voient leurs noms modifiés pour ajouter des noms de sociétés par exemple. A l’inverse au Japon, des villes s’associent de plus en plus avec des clubs sportifs. Comment s’organise et se profile le rugby de demain au Japon ?
Je ne saurais le dire avec précision mais j’imagine que la « mondialisation » de ce sport aidant, les méthodes de fonctionnement auront tendance à s’harmoniser dans le monde entier. En tout cas une chose est certaine : le rugby au Japon va encore et encore se développer au Japon. D’abord et je dirai immédiatement avec cette nouvelle franchise japonaise qui intègre le Super Rugby. Et d’autre part dans la perspective de la Coupe du monde de 2019, tout sera fait ou tenté pour obtenir le meilleur dans chacun des domaines considérés, que cela soit d’une perspective purement sportive ou que cela concerne tous les autres aspects.
Retour en 2015 pour finir cette interview en regardant vers l’avenir, la fin d’une époque sombre est donc actée lors de cette Coupe du Monde. Tout ceci ne date que de quelques mois mais est-ce que ces résultats ont déjà eu un impact pour ce sport au Japon ?
D’après ce que je peux entendre ici à Toulouse, il semblerait que ce soit une vraie « folie » au Japon (Rires). Un seul exemple : il semblerait qu’avant la Coupe du Monde 2015, les matchs de Top League attiraient moyenne 3.000 à 5.000 spectateurs dans les stades. Et actuellement, après cette Coupe du Monde, j’ai vu des chiffres se situant entre 15.000 et 18.000 spectateurs… C’est parlant, non ?
On pouvait difficilement rêver mieux pour préparer la prochaine Coupe du Monde au Japon. Justement, pendant les 4 années qui vont nous emmener jusqu’en 2019, quels vont-être les événements majeur de cette préparation ?
Tout va être fait pour que cette Coupe du Monde soit une totale réussite. Bien sûr au niveau sportif, le rugby japonais va tenter de se développer encore et encore pour permettre de constituer une sélection nationale qui tentera d’aller le plus loin possible dans la compétition. Mais tout le reste est bien sûr pris en compte, que cela concerne les infrastructures qui se moderniseront, que cela soit la préparation en terme d’accueil des visiteurs étrangers etc…
Et ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que la Coupe du Monde 2019 constitue certes la grande échéance sur le calendrier, mais pour les Japonais, celle-ci ne sera véritablement réussie que si elle aura permis un développement sportif, économique, financier, industriel, commercial, touristique ou autre culturel avec le monde de façon bien plus durable, bien plus pérenne et donc bien au-delà de 2019.
Merci Claude Yoshizawa et tous nos encouragements aux Brave Blossoms et au Japon pour l’organisation de l’événement !
Comme vous l’aurez compris, nous vous encourageons à découvrir le Guide du rugby au Japon sur son site web, vous ne pouvez pas passer à coté si vous être vraiment un fan, soit du rugby, soit du Japon. A fortiori si vous êtes les deux !