[Portrait] Tomomi Marugame, antiquaire et spécialiste en porcelaine japonaise vintage
Depuis de nombreuses décennies, la porcelaine japonaise fascine le monde occidental. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui avec l’ouverture du Japon et son accessibilité touristique. En effet, qui n’a jamais ramené de voyage une tasse, une assiette, un bol, bref un objet basique qui tout à coup revêt une signification particulière, un souvenir artistique d’un pays lointain. Pourtant, avant d’être un élément presque décoratif, la porcelaine fait partie intégrante du quotidien des japonais, soulignant un lien fort entre l’homme et l’artisanat (qu’il soit culinaire ou artistique). Un tout au service de l’harmonie qui passionne Tomomi Marugame, une antiquaire basée à Tokyo spécialisée dans la porcelaine japonaise vintage. Journal du Japon a pu lui poser quelques questions sur ce métier atypique et secret.
Bonjour Tomomi, et merci de prendre le temps de répondre à nos questions ! Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Bonjour, je m’appelle Tomomi Marugame, je suis propriétaire d’un petit restaurant et d’un petit magasin d’antiquités à Kagurazaka, un quartier ancien de Tokyo.
Quel a été votre parcours avant d’ouvrir votre boutique ?
Après avoir fini mes études de dentiste, j’ai travaillé en tant que dentiste pendant quatre ans, mais j’ai ensuite décidé d’apprendre l’épidémiologie. Après avoir obtenu mon doctorat, j’ai travaillé comme chercheuse à l’institut contre le cancer. Finalement, en 2011, j’ai quitté l’institut pour ouvrir mon restaurant que je tiens toujours aujourd’hui.
Comment devient-on antiquaire au Japon ?
Pour vendre des antiquités, on a besoin d’une licence d’antiquaire. Pour l’obtenir, il faut donner des documents au commissariat et payer environ dix mille yens. La démarche n’est pas difficile mais chaque année nous devons suivre un cours sur les lois concernant la vente d’antiquités.
Est-ce une profession difficile à exercer ?
Pour moi, oui. Comme je n’ai pas encore beaucoup d’expérience, c’est difficile pour moi d’obtenir des antiquités à un prix correct. C’est un milieu composé principalement de personnes âgées qui connaissent très bien la valeur de chaque chose. Il m’arrive souvent de devoir acheter des objets pour un prix qui excède leur vraie valeur.
Comment trouvez-vous vos pièces ? Est-ce que la recherche est difficile ?
Comme je le disais, il y a beaucoup de personnes âgées qui ont beaucoup d’expérience qui sont fournisseurs. Je trouve la plupart de mes pièces dans des ventes aux enchères, pendant lesquelles je dois vite me décider en fonction de la valeur de la pièce, et de si je la trouve jolie. J’ai toujours peur de rater une vente si j’hésite trop.
Mais d’un autre côté, j’ai des connaissances qui sont très gentilles et qui me facilitent la chose. Elles sont bien sûr âgées également. Ces personnes achètent leurs produits à des habitants puis me fournissent sans intermédiaire. Pendant les ventes aux enchères, je peux voir les poteries directement, mais pas quand mes connaissances me fournissent. Chaque moyen a ses bons et ses mauvais côtés.
Comment vous est née cette passion pour la porcelaine vintage ?
Je ne sais pas exactement quand j’ai commencé à aimer les antiquités. Peut-être que c’est à cause de mon environnement. Je viens de Nagasaki, qui est entourée de régions réputées depuis toujours pour la qualité de leur artisanat en matière de poteries. J’imagine que cela a dû m’influencer.
D’ailleurs, comment décririez-vous la porcelaine japonaise, par rapport aux autres plus connues, comme la porcelaine de Limoges en France ?
Il y a beaucoup de différences, mais la différence principale est la place du blanc. Sur les autres poteries, lorsqu’il y a un motif, il recouvre toute la surface. Mais au Japon le dessin ne recouvre qu’une partie, et la partie non peinte est tout aussi importante. C’est un concept très japonais.
Quelle est l’histoire de votre boutique, Marugame ?
D’abord, j’ai ouvert mon restaurant au rez-de-chaussée dans lequel je sers mes plats dans des antiquités. Le problème c’est que j’en ai achetés beaucoup trop, j’en ai plein chez moi. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai déménagé, les déménageurs étaient surpris que j’aie autant de boîtes si lourdes. Ils me demandaient toujours ce qu’il y avait dedans et si j’habitais vraiment seule (Rires).
En plus, je suis obligée de louer le premier étage au-dessus du restaurant, qui est resté vide pendant longtemps. Finalement, ce sont les antiquités que j’avais en trop et pour lesquelles je n’avais plus de place à la maison qui m’ont poussée à lancer ce magasin au premier étage.
Combiner restaurant et boutique vintage est un choix assez atypique, au final au-delà de l’aspect pratique, pourriez-vous ne vous dédiez qu’à une seule des deux pratiques ?
J’aime les deux et je ne peux pas choisir entre les deux. Quand on vient chez moi, on peut profiter à la fois de ma cuisine, du bon vin français et des antiquités en même temps.
Qu’apporte une belle porcelaine à un plat ? Et vice-versa ?
L’assiette va être embellie par le plat et vice-versa. C’est un plaisir pour les clients et moi. Quand je mets le repas sur une belle porcelaine, ça me plait beaucoup, c’est comme si je dessinais. Et pour le client c’est vrai aussi : je sers ma cuisine sur un plateau avec plusieurs plats et poteries différentes, c’est comme un tableau.
Quelle est, selon vous la période la plus riche et la plus innovante de l’histoire en terme de formes, de choix de motif ?
La porcelaine au Japon a commencé vers 1600, dans la première moitié de l’époque Edo. D’abord, c’était très primitif, sans technique particulière. Mais en seulement cent ans, les artisans se sont améliorés de façon remarquable. Aujourd’hui encore, cela étonne tout le monde. Ensuite les technique se sont améliorées petit à petit. Pour moi c’est de loin la période la plus intéressante en matière de style et de techniques. Mais cela coûte très cher alors je me contente de regarder les poteries dans les musées et dans les livres (Rires).
Quels sont les motifs typiques, que l’on retrouve souvent ?
Le motif « Shochikubai », qui signifie « pin-bambou-prunier », c’est le motif qu’on peut retrouver le plus souvent. On surnomme ce motif « les trois amis de l’hiver » et on considère que cela porte chance. Il y a beaucoup de motifs qui portent chance sur les poteries japonaises, par exemple les daurades, les dragons, les grues, les sept dieux du bonheur, des idéogrammes d’origine chinoise… Il y a énormément de motifs qui sont censés porter chance. Il y a aussi beaucoup de variantes et c’est amusant d’imaginer quel souhait animait l’artisan qui a peint la poterie il y a très longtemps.
On a en plus tendance à penser que plus un objet est ancien, plus il a de valeur. Est-ce forcément le cas ?
C’est généralement vrai, même si on trouve des pièces modernes très artistiques qui peuvent être chères aussi. Mais en général, plus c’est vieux, plus c’est cher. Le long vécu d’une poterie est comme une valeur en soi, c’est comme une personne centenaire, son expérience a de la valeur !
Aujourd’hui, vers quelle mouvance se dirige la porcelaine au Japon ? J’ai pu voir que cela revenait un peu à la mode grâce aux pays scandinaves…
Il y a le même symptôme au Japon, c’est pour cela que c’est très difficile pour les artisans qui ont une longue histoire familiale au Japon. Les gens se tournent vers les poteries avec un style plus moderne ou plus occidental. Petit à petit, le nombre d’artisans qui peuvent conserver leur style traditionnel diminue.
Vous venez d’ouvrir récemment une boutique virtuelle sur Etsy pour exporter vos trouvailles, pourquoi cela ?
Comme le style des poteries anciennes japonaises est très différent des autres, je veux que les étrangers puissent faire connaissance avec lui. Je pense aussi qu’il y a beaucoup de fans de poteries japonaises qui n’ont pas l’occasion de les acheter dans leur pays.
Dans votre boutique en ligne, j’ai remarqué que beaucoup de vaisselle datent d’avant les années 90… est-ce parce que c’est un art qui se perd actuellement au Japon ? Si oui, pourquoi selon vous ?
J’ai aussi des choses actuelles en magasin, mais sur ma boutique en ligne Etsy en tant qu’antiquaire je suis tenue de vendre seulement jusqu’aux années 90. Ceci étant, la poterie est encore populaire au Japon, même si elle est surtout produite à grande échelle dans des usines, et que les petits ateliers ont l’air d’être de moins en moins nombreux.
Quels conseils donneriez-vous à un néophyte pour éviter l’arnaque ?
Si c’est au Japon, je vous conseille d’acheter des assiettes de style « inban », c’est généralement assez vieux mais disponible à de bons prix. Petit à petit, en voyant beaucoup d’assiettes, on reconnaît facilement leur qualité.
Mais pour moi la meilleure antiquité sera toujours celle pour laquelle vous aurez un coup de foudre. Il ne faut pas trop réfléchir et se fier à ses goûts personnels. Vos préférences s’affineront avec le temps. Aimer ou ne pas aimer quelque chose, c’est le critère déterminant.
Nous vous laissons le dernier mot, quel message souhaitez-vous transmettre à nos lecteurs ?
Il y a beaucoup de sortes et de styles dans la poterie ou les antiquités, donc on ne s’en lasse jamais. Chaque personne peut y trouver son compte. Même au fil du temps, on peut toujours trouver quelque chose qui correspond à son caractère ou son esprit du moment, surtout qu’on utilise tous de la vaisselle tous les jours. Que ce soit en poterie ou autre chose, j’espère que vous aussi vous trouverez le style qui vous plaira pour embellir votre quotidien.
Retrouvez la boutique virtuelle Marugame sur Etsy. Vous y trouverez beaucoup de produits à des prix très doux, les frais de port sont abordables et l’envoi très rapide. L’équipe a testé et approuvé !
Tomomi vous accueillera également dans sa boutique/restaurant «Marugame» au 16 Wakamiyacho, Shinjuku, Tokyo 162-0827. Elle parle français, donc n’hésitez pas à lui demander conseil !
Remerciements à Tomomi-san pour sa disponibilité ainsi qu’à Amélie pour la mise en place de cette interview.
Questions élaborées par Laure Ghilarducci, interview réalisée par Amélie Geeraert.
1 réponse
[…] début de mois,nous vous parlions d’une antiquaire spécialisée dans la porcelaine vintage vivant à Tokyo. Aujourd’hui, nous nous envolons pour Okinawa où officie l’un des derniers grands […]