[Manga] Latitudes : retour de voyage, 3 ans après…
Souvenez-vous… Nous sommes le 25 octobre 2012 et les éditions Ki-oon nous proposent d’embarquer à bord de leur première collection : Latitudes, une série d’ouvrages grands formats en 17 x 24. Initiée avec une auteure phare de l’éditeur, Kaoru MORI, elle a pour objectif de faire découvrir des titres aux thématiques et au traitement ambitieux , en visant d’abord des néophytes du manga comme les lecteurs de franco-belge ou de roman graphiques.
Trois ans plus tard, la collection a grandi et compte désormais huit titres et sept mangakas au compteur. En attendant le petit dernier, Underwater – Le village immergé de Yuki URUSHIBARA, en janvier prochain, et à l’occasion d’un concours spécial que nous dévoilerons dès demain, Journal du Japon vous propose de découvrir ou redécouvrir Latitudes à travers 5 auteurs marquants pour souffler les 3 bougies de la collection… Et vous donner des idées de cadeaux, qui sait !
Kaoru MORI: un voyage dans le temps et l’espace
Qui mieux que l’auteure d’Emma et de Bride Stories pour lancer cette collection en 2013 ? On a même l’impression que cette idée est taillée sur mesure pour la mangaka…
Latitudes dites-vous ? Voici en effet un nom qui invite au voyage et à l’évasion, des maîtres mots dans les récits de cette auteure. Avec Bride Stories, c’est un périple vers les lointaines contrées d’Asie qui vous attend, sur la route de la soie au XIXe siècle. On y fait connaissance avec la belle et charismatique Amir, 20 ans, qui voit sa vie bouleversée le jour où elle est envoyée dans un clan voisin pour y être mariée à Karluk, un jeune homme… de 12 ans seulement ! Nouveau clan, nouvelle vie, nouveaux horizons mais aussi nouvelles merveilles dans un quotidien rythmé par un artisanat enchanteur. Il y a aussi de nouvelles amitiés et un nouvel amour mais ces relations sont fragiles et trop vite remises en cause par des guerres de clan.
Avec Kaoru MORI, l’aventure vers d’autres latitudes se fait aussi bien à travers l’espace que le temps, et l’époque Victorienne en Angleterre est le second voyage qu’elle propose, cette fois dans Emma. Au sein de cette société très hiérarchisée, les codes moraux et sociaux sont inflexibles et deviennent le terreau révoltant d’une romance normalement impossible entre une femme de chambre, Emma, et un jeune membre de la haute bourgeoisie, William. Une fois de plus, par une immersion pleine de détails graphiques et historiques, c’est surtout l’amour qui nous transporte hors de notre quotidien.
Par la force de ces destins aussi envoûtants qu’épiques, ces deux œuvres captivent aussi bien nos yeux admiratifs que notre cerveau avide d’apprendre ou notre cœur emballé par les défis qui attendent tous les tourtereaux de la mangaka.
Primée au FIBD d’Angoulême en 2012 et invitée au Salon du Livre de Paris en 2014, Kaoru MORI symbolise à merveille cette volonté d’ouverture des éditions Ki-oon à travers cette collection… Néanmoins une question se posait à l’époque : mais qui pourra bien lui succéder ?
Tetsuya TOYODA, un voyage intérieur…
Découvert et primé pour Undercurrent en 2009 mais finalement peu connu du grand public, TOYODA est une alternative logique pour compléter les œuvres de Kaoru MORI au sein de Latitudes. Tandis que la mangaka nous emmène loin vers d’autres époques et d’autres contrées, TOYODA nous ramène dans notre unité de temps et d’espace via Goggles et Coffee Time pour un voyage intimiste dans l’enchevêtrement de nos sentiments, de nos émotions et de toutes nos contradictions.
Après les planches pleines de détails de Kaoru MORI, on découvre alors que le vide peut lui aussi absorber notre attention. Pas un vide graphique, bien au contraire, mais les trous douloureux de notre existence narrés dans Goggles : la perte d’un emploi, une existence hors du moule nippon ou des journées sans relief à cause de l’absence d’amour ou d’une personne qui vous accepte… ou par la quête d’un passé qu’on ne pourra jamais rattraper.
Dans le Japon des années 90-2000, quelques années après l’explosion de la bulle financière, on parle des rêves révolus et des vies brisés qui se cachent derrière une unité forcée et une prospérité de façade. Entre la culpabilité de ne pas répondre aux attentes et une introspection qui ne semble mener nulle part, les personnages rencontrés sont un peu désœuvrés, ne comprennent pas vraiment ce que la vie attend d’eux et ils se laissent enfermer dans une vie sans saveur.
Ces six récits poussent à réfléchir sur la société nippone, faisant de Goggles un précurseur de Poison City ou de Unlucky Young Men, mais TOYODA n’oublie jamais de rire et de faire rire : ses œuvres ne sont jamais déprimantes, l’humour étant plus là pour faire sauter de nombreux verrous. On s’amuse et on relativise alors le quotidien en savourant quelques moments de légèreté salvateurs comme dans Coffee Time. Avec des mini-récits d’une dizaine de pages, le mangaka évoque autour d’une tasse de café les hasards de la vie, les rencontres improbables qu’elle nous offre et des liens qui en découlent, le caractère parfois incongru et farceur de notre destin… la vacuité de vouloir lutter contre, aussi.
TOYODA explore donc une autre latitude, avec désinvolture et pourtant justesse, en s’arrêtant sur les saveurs du quotidien, voyageant de relations difficiles en coup du sort, le long d’une étrange carte intérieure qui se dessine et redessine sans cesse, éternels indécis que nous sommes…
Kamui FUJIWARA & Eiji OTSUKA : une aventure méconnue…
Après la mise en garde contre la censure de Tetsuya TSUTSUI via Poison City les éditions Ki-oon utilisent une nouvelle fois leur collection Latitudes pour pousser à la prise de conscience sur ce qui a façonné le Japon actuel. Une envie de valeur ajoutée chère à l’éditeur, aussi connu pour ses mangas historiques tel que Cesare ou Ad Astra, mais poussée ici un cran plus loin. Exit le passé lointain et notre simple soif de culture générale sur l’histoire européenne, c’est une véritable réflexion qui s’amorce dans Unlucky Young Men sur ce qu’a été le « mai 68 japonais ».
L’aventure n’est désormais plus fictive mais bien celle de figures historiques et les auteurs comblent les trous et les zones d’ombres au gré de leurs envies, en liant par exemple le groupe terroriste de l’Armée Rouge Unie et sa présidente avec le célèbre vol des 300 millions de yen ou encore en imaginant la vie, les doutes et les drames qu’a connu Norio NAGAYAMA, meurtrier en série qui est devenu, en prison, un auteur reconnu. Les deux mangakas évoquent également toutes les facettes de Yukio MISHIMA, écrivain et Prix Nobel mais aussi nationaliste à l’origine de la milice privée Tatenokai (Société du bouclier), destinée à assurer la protection de l’Empereur… Enfin, ils inventent de nouveaux personnages, tout aussi crédibles, comme le fils gay d’un haut fonctionnaire de police révolté par l’étouffant Japon d’après guerre et ceux qui en ont tiré les ficelles. Tous se croisent dans un pays en ébullition dans la dernière révolte populaire de son histoire récente.
Ainsi, si la collection Latitudes a déjà de quoi nous faire rêver ou nous emmener ailleurs le temps d’une lecture, elle nous propose depuis octobre dernier, pour son 3e anniversaire, un titre qui nous remet, sans concession, les pieds sur Terre…
Takashi MURAKAMI : la mort, cette dernière latitude ?
Ki-oon signe avec ce tout dernier seinen un titre bouleversant, certainement le plus triste de son catalogue : L’oiseau Bleu de Takashi MURAKAMI …
Yuki Higashimoto est la plus heureuse des femmes : un mari aimant, Naoki, ainsi qu’un adorable garçon de cinq ans, Shu, la comblent de bonheur. Mais la sortie de route de la voiture qui les ramène d’un innocent pique-nique va sonner de manière cruelle et irrémédiable la fin de cette existence paisible… Le petit Shu ne survit pas à la violence du choc, et Naoki est plongé dans un coma végétatif. Pour Yuki, un long combat commence : comment reconstruire sa vie et préserver un lien avec un mari qui est présent sans l’être ?
Ce résumé officiel plante un décor des plus déprimants il faut bien l’avouer, d’autant qu’il ne dévoile que l’un des destins brisés : après ce couple de parents anéantis, on suit le grand-père de la famille qui sombre petit à petit dans les affres d’Alzheimer, puis l’histoire d’un jeune garçon avec un père ouvrier qui se démène pour lui garantir un avenir jusqu’au drame qui les lie avec le passé du grand-père. Le mangaka du Chien gardien d’étoiles évoque donc la maladie qui gangrène le quotidien, la frustrante et désarmante impuissance face à elle ou encore la solitude des soignants et la difficulté de surmonter la perte d’un être cher.
Si tout ce malheur semble bien difficile à supporter sur le moment, la force des survivants et la sagesse des messages ne laissent pas non plus indifférent et donnent un peu de baume au cœur. Il reste tout de même un peu d’espoir et le récit appelle à une certaine philosophie : celle des cycles immuables, de la poussière qui redevient poussière, d’une pérennité de la vie mais sous différentes formes, au delà de la maladie et au chaud dans des souvenirs partagés… C’est une latitude bien singulière que cette collection aborde mais, comme dans tout voyage, le lecteur en ressortira sans doute différent : parce qu’il a vécu ce drame et qu’il a trouvé dans L’oiseau bleu un écho touchant, ou parce qu’il a ouvert les yeux sur ses personnes isolées par un cruel destin. Tous les voyages ne finissent pas en happy end, mais ils délivrent tous leur lot d’enseignements… Cet ouvrage partage en tout cas les siens avec beaucoup de délicatesse et mérite donc qu’on affronte sa tristesse.
Vous en savez plus désormais sur cette collection qui a permis de donner de nouveaux visages au média manga pour mieux l’exporter au delà de son public. Ce dernier saura aussi y trouver son compte, sur le fond comme sur la forme, pour s’offrir des moments de lectures uniques !
Pour en savoir plus sur la collection Latitudes ou leur prochaine œuvre, Underwater – Le village immergé, qui arrive mi-janvier, retrouvez tous les titres sur le site internet de l’éditeur ou cliquez sur les liens disséminés dans cet article qui vous conduiront sur les critiques des œuvres ou les interviews des auteurs !
1 réponse
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