[Interview] Shichirô Kobayashi : périple et polémique d’un peintre au pays de l’animation
Comme chaque année, on trouve parmi les invités de Japan Expo un vieux de la vieille, qui a vu l’animation japonaise naître et se développer. Cette année n’a pas fait exception, avec la venue de Shichirô KOBAYASHI. Peu connu et pourtant omniprésent, il a dessiné les décors des séries qui ont fait notre enfance, et bien plus. A son contact, nous avons pu revenir sur sa passion, la peinture, mais aussi sur l’évolution de l’animation via un regard pour le moins… inquiet.
La peinture et l’animation : parcours entremêlés…
A l’âge vénérable de 83 ans, Shichirô Kobayashi a discrètement laissé sa trace dans les décors de nombreuses séries, comme l’Île au Trésor, Ganba no Bôken, Rémi sans Famille et plus récemment Berserk ou Nodame Cantabile. Il a d’ailleurs créé sa propre société spécialisée dans la réalisation de décors à la main, en 1968, laquelle sera finalement dissolue en 2011. Depuis, il occupe son temps en enseignant, à l’Université de Design de Kobe, depuis 2008, et en s’adonnant à sa plus vieille passion, la peinture. Si son style actuel est plutôt abstrait, ce dernier a connu de nombreuses transformations durant sa carrière, sa passion et son travail s’entre-mêlant sans fin : « J’ai continué de peindre tout en faisant mon travail de directeur artistique. Mon dessin, à l’époque, était plus sauvage, imprimé du fauvisme. Chaque jour était un combat, à l’époque, et je faisais de mon mieux pour travailler tout en peignant. C’est vrai qu’à l’heure actuelle, je fais de l’art un peu abstrait, moderne. Que je travaillais dans l’animation, j’ai fait du réalisme, de l’onirisme, et ce n’est pas parce que je suis à la retraite que j’ai arrêté de vouloir explorer de nouvelles voies, de tester des choses. J’emprunte un nouveau chemin pas à pas, avec mon vécu et mon âge. »
Quand il est question de citer ceux qui l’ont inspiré, Kobayashi n’hésite pas une seconde pour nommer Hokusai, maître de l’ukiyo-e, et Vincent Van Gogh. « En fait, c’est assez difficile d’expliquer ce qu’il en est, mais au début, j’avais un avis très mitigé sur eux. Cependant, je pense que dans chacune de leurs peintures se cache une espèce d’humanité, et c’est ce qui m’a beaucoup plu. Ce n’est pas vraiment une question de graphisme. Je pense malgré tout qu’ils ont eu un fort impact sur mon travail. » Sur le salon, il était d’ailleurs possible d’apprécier le résultat de son labeur grâce à une exposition qui lui était dédiée, et dont l’une des pièces centrales était un court film d’animation qu’il a réalisé : La sirène et les bougies rouges. « C’est une œuvre que je voulais faire depuis longtemps : lorsque j’étais à la campagne, il n’y avait rien d’autre que ce livre pour me distraire. Il représentait un moyen d’évasion unique, et je voulais lui rendre honneur. Cela peut sembler en marge de ma carrière, mais je voulais transmettre cette histoire et je ne le regrette pas. »
Cette longue carrière, conclue à point nommé par un court-métrage, lui a donc offert une vue d’ensemble de l’industrie de l’animation, de ses débuts à son âge d’or, et, à l’image de plusieurs anciens, ses dires laissent présager que la décadence pourrait être bien plus proche que ce qu’on pourrait croire…
« C’était mieux avant », vraiment ? Trois générations, trois interprétations
L’année précédente, Ippei Kuri avait exprimé son désarroi quant à l’évolution de l’animation japonaise, notamment quant à « la tendance qu’ont les réalisateurs actuels à trop se focaliser sur le travail visuel, au détriment du contenu. » A croire que ces constats sont la spécialité des doyens, puisque Shichirô Kobayashi est lui aussi monté au créneau, pendant sa conférence, mais en se penchant sur un aspect plus technique en expliquant « qu’à cause du numérique et des outils digitaux, on perd en chaleur à force de toujours chercher la perfection. »
Derrière ces paroles qu’on pourrait prendre pour un coup de gueule réac’ se cache une réflexion : « La perfection et le réalisme ne sont pas forcément deux choses qui s’opposent, mais ce n’est pas forcément la même chose non plus. Je voulais parler en terme de travail de caméra : il permet d’obtenir un résultat proche de la perfection. L’ordinateur est un outil qui permet d’atteindre la perfection, mais il n’y a pas d’apport humain à l’image. L’ordinateur a ses données, il les traite et sort un dessin qui, on peut le dire je pense, est « formaté ». Avec le travail de l’œil, de l’humain, on essaie d’obtenir quelque chose de réel. Par exemple, sur Rémi sans Famille, on utilisait la persistance rétinienne afin de créer une sorte de relief : en « scrollant » sur le côté, l’œil de gauche percevait les images à une vitesse différente de ce que percevait l’œil droit. On s’approchait donc d’un résultat réaliste, la où un ordinateur ne fait que retranscrire les données qu’on lui fournit.
Aujourd’hui, l’ordinateur devrait être au service de l’animation, alors que c’est l’animation qui est au service de l’ordinateur. D’une certaine façon, on ne le contrôle pas, il nous contrôle. Il devrait se contenter d’être un appareil qui facilite la tâche de l’homme, mais malheureusement, maintenant, on se repose sur lui, comme par exemple pour animer une voiture, une roue qui tourne, ce genre de choses très difficiles à dessiner. Le gros problème est que l’ordinateur est utilisé à tout va, mais la machine possède elle aussi ses limites, qui limitent à leur tour notre esprit créatif. Avant, l’œil de l’artiste était le plus important, mais maintenant, c’est celui de la caméra qui décide de tout à sa place. L’animation devrait rester ce qu’on appelle une technique humaine, et ne pas souffrir d’une automatisation systématique. »
Yusuke Kozaki, que nous avons également eu l’honneur de rencontrer, a lui aussi entendu parler du commentaire de Kobayashi, et lorsqu’on lui demande ce qu’il en pense, il se montre beaucoup plus modéré dans son opinion : « Sur le coup, j’ai pensé dans un premier temps que c’était un problème de génération avant tout et qu’effectivement, quand on utilise une tablette, c’est pour chercher la perfection. Avec le dessin analogique, chaque dessinateur possède une patte qui lui est propre. Selon moi, la réaction face au numérique n’est pas vraiment une question de génération, mais plutôt une affaire de goût personnel. Cependant, pour ce qui est du travail sur tablette graphique, on peut retracer la même ligne autant de fois qu’on le souhaite sans que cela ait le moindre impact, et par conséquent, cette patte s’efface face à la perfection du trait. La patte vient surtout à la main, et c’est là qu’on retrouve vraiment l’humain derrière la plume. Le fait que ce soir lié à ça, la « chaleur », je peux le comprendre, bien que je sois plus porté sur le numérique. »
Yoshiyuki Sadamoto, de son côté, rejoint clairement l’avis d’Ippei Kuri : « A mes débuts, ce qui primait avant tout c’était l’audience… Donc tout était fait par rapport à ça et si la série marchait bien, il y avait des œuvres qui pouvaient continuer. Maintenant, ce que l’on prend de plus en plus en considération, c’est ce que veulent faire les sponsors par la suite. Donc s’il y a un type d’anime avec des jolies filles qui va marcher, tout le monde ira dans ce sens et fera des animes de ce type. Cela réduit beaucoup le champ de travail et c’est un point que je trouve un peu dommageable. »
Chacun d’entre eux nous démontrent à leur façon que la situation actuelle peut être observée de façon très différente : Yusuke Kozaki garde un avis très neutre, mais Shichirô Kobayashi, Ippei Kuri et Yoshiyuki Sadamoto ne cachent pas leur inquiétude. Et si, en fin de compte, ces trois opinions se regroupaient en un seul point ? Il suffit d’observer la polémique soulevée par Dragon Ball Super et ses dessins sous-traités aux Philippines pour mettre le doigt dessus : et si la racine du mal était l’environnement et la politique économiques actuels ?
D’une année à l’autre, le nombre de productions n’a fait qu’augmenter en favorisant des modèles économiques rentables plutôt que qualitatif, à la manière de la bulle spéculative qui a précédé les années 90 même si, toute proportion gardée, elle n’aura jamais les conséquences catastrophiques que cette dernière. Cependant, que ce soit de façon claire, comme Yoshiyuki Sadamoto et Ippei Kuri, où sans savoir mettre le doigt dessus, comme Shichirô Kobayashi, une prise de conscience semble s’installer lentement mais sûrement dans l’esprit des acteurs de l’animation japonaise, à l’image. Mais que se passera-t-il si les commencent à bouger trop tardivement ? Faut-il dès maintenant mettre le doigt dans l’engrenage au risque de tout casser ?
Remerciement à Shichirô Kobayashi pour sa gentillesse et sa passion communicative, et à son interprète Pierre Giner.
2 réponses
[…] Il faut le faire intelligemment, de façon plus moderne. Je suis en train d’y réfléchir. Shichiro KOBAYASHI, Yasuhiro IRIE, Hiroshi SHIMIZU, le staff japonais présent sur le projet est assez prestigieux. […]
[…] À la tête de son propre studio indépendant, Kobayashi Productions, Shichirô Kobayashi se spécialise dans la réalisation de décors à la main. Il a travaillé sur de nombreuses séries à succès, même s’il sera souvent relégué en arrière-plan du fait de sa spécialisation. Pour ne citer que les plus connues, il a dessiné les paysages de Cobra, Berserk, ou encore les impressionnants décors de Rémi sans Famille. Aujourd’hui à la retraite, il se consacre à la peinture abstraite (nous avions d’ailleurs eu l’occasion de nous entretenir avec lui à ce sujet lors de sa première venue à Japan Expo, en 2015). […]