[Interview] Miyavi « Faire l’amour » est vraiment la définition parfaite d’un concert »
Miyavi est décidément plein de surprises. Après une année 2014 bien remplie rythmée par le son de son album éponyme, le samurai guitarist ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a continué sa conquête de l’Occident via un nouvel album, The Others, sorti au printemps dernier, mais surtout via un domaine où on ne l’attendait pas forcément : le cinéma ! Un rôle dans le film d’Angelina Jolie, Invincible, mais aussi la reprise du thème de Mission : Impossible 5 ont suffit à Miyavi pour asseoir son autorité en tant que figure incontournable de la culture japonaise au sens large du terme.
Un semaine avant sa venue à Paris dans le cadre de la tournée européenne de The Others, Miyavi est passé par notre chère capitale pour quelques interviews promotionnelles. Journal du Japon était bien évidemment au rendez-vous et c’est avec plaisir que nous avons retrouvé cet homme plein d’esprit pour une discussion passionnante et passionnée.
Bonjour Miyavi et bienvenue en France ! La France est le seul pays où vous allez faire plus de 2 dates, qu’avons-nous de si spécial pour vous ?
Miyavi : Vous savez, en tant qu’artiste, on veut toujours le plus de concerts possible, mais évidemment, sans un public, on ne peut pas faire ça car aucun promoteur nous suivrait. Ça marche comme ça. Mais je suis vraiment heureux d’avoir la possibilité de faire trois concerts en France. J’ai pu déjà visiter ou visiterai Lille, Lyon, Nantes, Strasbourg, Rennes, Paris… cela fait tellement de villes différentes en France ! C’est vraiment l’un de mes pays préférés car… vous savez, j’aime mes fans du monde entier, mais en France, les gens sont vraiment respectueux envers l’Art et savent l’apprécier. Après tout, vous êtes le pays le plus artistique au monde ! J’aime l’architecture, l’atmosphère… j’arrive à ressentir cette sensibilité latente et c’est un peu comme s’il y avait une entente mutuelle entre nous à ce niveau.
Qu’avez-vous pensé de votre concert parisien l’année dernière ? Car notre rédacteur-en-chef s’est occupé du live report et l’a titré « Miyavi fait l’amour à La Cigale », ce qui n’était pas loin de la réalité vu l’ambiance presque sexuelle que dégageait le public !
Oh ! C’était top ! … vous savez, c’est vraiment ça en fait, et ça m’arrive souvent quand je fais des jam sessions : si quand vous faites l’amour à quelqu’un, vous ne ressentez pas de passion, d’amour, d’excitation, ce n’est pas drôle… et l’orgasme est directement relié à ce genre d’émotions. Si vous ne ressentez pas ça, ça ne peut pas marcher. Heureusement, j’éprouve ce genre de choses avec mes fans, qu’ils soient hommes ou femmes d’ailleurs. Je veux juste partager un moment privilégié avec eux et je veux faire en sorte qu’ils se sentent bien.
Oui effectivement, tout est relié…
C’est ça, et puis les gens n’écoutent pas de la musique pour être malheureux. Ils veulent se sentir bien ou heureux. Parfois certaines personnes veulent atteindre l’orgasme avec la musique, donc j’essaie juste de faire de mon mieux lors de mes performances pour que tout le monde puisse ressentir ce genre d’émotions. « Faire l’amour » est vraiment la description parfaite d’un concert : c’est un face-à-face où chacun est mis à nu.
Avez-vous prévu quelque chose de spécial pour cette tournée ?
Oui ! Mais vous savez tous les concerts sont spéciaux. Je veux juste ressentir l’instant présent avec mes fans. C’est souvent difficile d’être sur la route, mais l’énergie que me donne mon public, c’est ma récompense. Pour reprendre la comparaison de tout à l’heure, après avoir fait l’amour, nous les hommes sommes fatigués, mais j’aimerais que ça ne s’arrête jamais ! Donc en tant qu’artiste, je donne tout ce que j’ai à chaque concert et c’est difficile ensuite de retrouver de l’énergie. Mais c’est aussi ça l’amour et je le ressens encore plus fortement en jouant mes nouvelles chansons.
Justement, quel est le concept de votre nouvel album, The Others ?
Le concept de l’album est « The Others » [les autres, nldr], c’est la clé pour s’unir. On est tous « autres », on est tous différents, de couleurs différentes, parlant des langues différentes. Mais j’essaie de communiquer avec ma musique.
L’année dernière, j’ai déménagé à Los Angeles et j’ai fortement ressenti cela. Je suis entouré de cultures différentes, d’un système différent et une langue différente aussi. Cette dernière partie est assez difficile car je ne peux pas vraiment dire ce que je veux vraiment exprimer, c’est stressant et frustrant … mais heureusement, j’ai la musique, c’est comme une passerelle.
Enfin bref, quand j’ai déménagé là-bas, je me suis demandé si je devais être pareil qu’eux pour pouvoir entrer « dans le système »… mais j’ai réalisé que je n’avais pas besoin de cela. C’est naturel d’être différent, mais c’est difficile d’en prendre conscience. A l’école, dans la rue, il faut parfois s’adapter, mais on n’est pas obligé de s’adapter « mentalement ». Il faut juste accepter les différences entre les gens, c’est vraiment la clé vers l’unité et le partage.
Nous sommes en 2015, mais il y a encore beaucoup de conflits, beaucoup de réfugiés viennent en ce moment en Europe, c’est un gros problème mais les causes de tout ça finalement sont l’incompréhension au niveau des religions, la différence culturelle… on n’a pas le temps de se battre entre nous ! J’ai bien conscience que cela fait partie de notre instinct de nous battre, mais il n’y a pas les bonnes motivations…
C’est la peur et l’inconnu qui motivent les gens à se battre…
Oui c’est certain, mais nous devons apprendre ! Nous devons apprendre à maintenir un bon équilibre. Nous sommes tous imparfaits, mais d’en prendre conscience est la clé. La vie est imparfaite dès le départ, un jour il pleut, un jour il fait soleil, mais à partir du moment où on apprend à être heureux même sous la pluie, c’est une sorte d’éveil à une nouvelle vie. On sait tous ça, moi-même j’apprends tous les jours, mais c’est compliqué d’appliquer ces préceptes.
Lors de l’interview que nous avions effectué avec vous l’année dernière, vous nous aviez dit que le son de Miyavi était plus pop/électro pour se rapprocher de la dimension humaine de la musique, de l’osmose que procure ce genre musical en live. D’après ce que vous venez de me dire, je comprends que vous avez voulu aller plus loin avec The Others, pousser encore plus loin le concept de l’unité…
Oui totalement. C’est pour cela que je suis vraiment reconnaissant envers mes fans car ils croient en moi. Ma carrière a été assez inattendue : personne ne pensait me voir dans un film hollywoodien, ou réarranger le thème de Mission : Impossible 5… à vrai dire je ne m’y attendais pas moi-même, mais c’est arrivé car je fais toujours de mon mieux. C’est une sorte de responsabilité.
Pour te donner un exemple : tu n’as pas vraiment envie d’aller dans un restaurant duquel tu ne connais pas le menu, mais si tu crois au talent du Chef, tu y vas. Voilà le genre de relation que j’ai avec mes fans.
La situation politique du Japon est assez difficile en ce moment, mais vos albums sont toujours positifs. N’avez-vous jamais songé à écrire des chansons plus engagées, pour dénoncer ce qui ne va pas ?
La première chanson de l’album, Cruel, n’est pas vraiment positive, mais pour pouvoir arriver à un aspect positif, il faut parfois décrire le négatif ou l’opposé, comme le rôle que j’ai joué dans Unbroken. Cette ambivalence est nécessaire pour comprendre le message positif. C’est comme l’ombre et la lumière, le jour et la nuit, le ying et le yang : l’un ne peut pas exister sans l’autre.
Vous avez récemment joué le rôle du tortionnaire japonais Mutsuhiro Watanabe dans le film Unbroken d’Angelina Jolie. Est-ce que jouer un tel rôle a eu un impact sur vous, votre inspiration en tant que musicien et plus globalement sur votre vision du monde ?
Oh oui. C’était un process très difficile. L’histoire en elle-même est sujette à controverse et c’était une décision difficile à prendre de jouer un tel rôle. Je ne suis pas un acteur professionnel donc ce que j’ai essayé de faire, c’était de m’immerger dans le personnage. Cela étant, une fois cette étape franchie, ça a été très difficile pour moi d’en sortir, cela m’a pris beaucoup de temps après le tournage. Il m’avait bouffé, sa noirceur était en moi. C’était une lutte très douloureuse en réalité, j’avais l’impression que des insectes s’étaient immiscés en moi, quelque chose d’étranger que je ne pouvais pas contrôler. C’était très bizarre et pesant et ça m’a rendu très sensible et vulnérable.
Après, on a tous une part sombre en nous que l’on essaie d’ignorer, mais la clé est l’acceptation, pour devenir plus fort.
Qu’est-ce qui vous a aidé à vous sortir de cela ?
La musique. Et puis évidemment ma famille. Mais la musique, c’est la pierre angulaire de ma vie. Je me suis également rendu à Nashville. J’ai même pleuré en arrivant au studio RCA Studio B. C’est à cet endroit qu’Elvis Presley enregistrait ses chansons. Aujourd’hui, la ville n’a vraiment rien de particulier, mais pour moi, c’est comme un temple. Je vais souvent là-bas et je prie… Je sais que les gens me prennent pour un fou quand ils voient cet asiatique prier au bord de la route (Rires) mais pour moi… je ressens une atmosphère particulière, les vibrations de toutes ces légendes de la musique qui ont créé et nourri cet endroit. Ce fut comme un pèlerinage, de retourner aux racines de la musique pour me retrouver, me « nettoyer » en quelque sorte.
Est-ce pour cela que les chansons de The Others sont plus funky, plus fun ?
Oui totalement. Tu sais c’est vraiment un équilibre fragile à maintenir, d’être original et en même temps pop. Je vais te donner un exemple, tu vas tout de suite comprendre : tu vois les california roll ? Les maîtres sushi japonais n’aiment pas cela parce que ce n’est pas authentique, cela ne fait pas partie de la cuisine traditionnelle japonaise. Mais sans les california roll, les sushis ne seraient jamais devenus un plat populaire à travers le monde. Tous les restaurants à sushi aux États-Unis, en Europe etc. font des california roll et grâce à cette évolution, les gens se sont mis à aimer les sushis en général.
Et donc pour revenir à ma musique, je cherche actuellement mon california roll. J’ai la sauce soya et le riz, c’est à dire l’apparence et le personnage, mais je cherche toujours le meilleur california roll. Parfois cela ne marche pas toujours, les gens mettent par exemple des fraises et du chocolat dans un sushi et ça gâche tout ! (Rires) Donc c’est difficile de trouver l’équilibre, mais je sais que j’y arriverai ! Être original est facile, mais la partie la plus créative de mon travail est d’arriver à combiner tous les éléments qui me composent pour faire la musique la plus parfaite et universelle possible.
Et je tiens au passage à préciser que je ne mange pas de california roll (Rires)
Quand on écoute rétrospectivement votre discographie, on a l’impression que votre jeu de guitare est le reflet de votre vie : pressée, brute et impétueuse dans vos premiers albums, pour se faire de plus en plus fine, simple et directe dans vos derniers albums. Avez-vous l’impression d’avoir atteint une sorte de zénith au niveau de votre jeu, ou bien que avez-vous encore des choses à apprendre de votre guitare ?
Oh tu sais j’apprends encore tous les jours ! A la guitare, au chant, en tant qu’acteur… je ne m’arrête jamais. Après tout, la vie est elle-même un processus d’apprentissage. Donc je n’arrêterai jamais d’apprendre et de m’améliorer tout au long de ma vie, c’est quelque chose que je peux promettre. Et puis c’est important de connaître ce qui nous entoure, de comprendre d’où viennent les objets que nous utilisons, l’amour qu’ont mis nos ancêtres dans la fabrication de tout ça, pourquoi ils ont fait les choses ainsi. C’est la même chose en musique et c’est ce que j’apprends tous les jours.
N’avez-vous jamais eu envie de passer de l’autre côté et de devenir producteur, de pousser un jeune talent ?
J’adorerais ouais. Surtout dans 10 ou 15ans, c’est certain que je ferai ça.
Et après cette tournée mondiale, quels seront vos projets ?
Je ne sais jamais (Rires). Je prends juste les choses comme elles viennent, c’est un peu le Miyavi Style. L’excitation amène l’espoir et ça te permet d’aborder le futur plus sereinement. Mais ce qui est sûr, c’est que je vais toujours de l’avant.
Rien n’est impossible pour celui qui avance sans se retourner !
C’est ça ! Mais honnêtement… je ne sais pas quand je reviendrai en Europe. Je ne sais pas si je pourrai encore faire tout ça.
Vraiment ?
Je ne sais pas… mais je le ressens comme ça. J’ai envie de continuer la musique évidemment, mais… il ne faut pas forcer les choses. Je n’ai pas envie de me forcer à faire un nouvel album, ou un nouveau film, je préfère attendre que les choses se présentent à moi naturellement. Tout arrive à point à qui sait attendre comme on dit !
Merci Miyavi et bon début de tournée !
Merci beaucoup à toi !
Remerciements à Miyavi pour son temps et sa verve, à Yazid Manou pour la mise en place de cette interview et plus largement à Universal Music Japan.
Super interview ! =)
Merci beaucoup, n’hésitez pas à la partager ! 🙂