La rentrée littéraire de Journal du Japon : de belles histoires rien que pour vous !
C’est reparti comme chaque année en cette période de rentrée littéraire : des centaines de livres et un lecteur un peu perdu devant les étalages. Pas de panique ! Journal du Japon vous propose une sélection variée de romans d’écrivains japonais ou d’écrivains français amoureux du Japon.
Mâ d’Hubert Haddad pour découvrir la vie de Santôka, le poète qui marchait
Hubert Haddad est un écrivain amoureux du Japon, que Journal du Japon avait déjà rencontré il y a deux ans, au Salon du Livre de Paris. Il avait à l’époque ébloui de nombreux lecteurs avec Le peintre d’éventail. Cette année, c’est la vie du poète Santôka qu’il peint par petites touches, à la façon d’un impressionniste, dans un roman puissant, troublant : Mâ (aux éditions Zulma).
« La marche à pied mène au paradis » : C’est ainsi que s’ouvre le livre. Shôichi marche, mais pourquoi ? En souvenir de la seule femme qu’il ait vraiment aimée ? Saori avait l’âge d’être sa mère lorsqu’il l’a rencontrée alors qu’il faisait des études de sciences de la terre et des planètes. Elle était universitaire, totalement fascinée par Santôka, célèbre auteur de haïkus, au point de lui consacrer une biographie, l’oeuvre de sa vie. La liaison entre Shôichi et Saori fut brève et lumineuse.
La biographie de Santôka est le cadeau laissé par Saori. Ce cadeau, Shôichi va en prendre soin, s’en imprégner, jusqu’à suivre les chemins foulés par Santôka et d’autres haïkistes avant lui. Les pas de Shôichi se fondent dans ceux de Santôka et le roman mêle ces deux vies au point de ne plus savoir qui est qui. Shôichi est d’ailleurs le prénom de naissance de Santôka.
La vie de Santôka ne fut pas facile : il perd sa mère, qui se suicide, délaissée par un mari volage, alors qu’il n’a que onze ans. Ce traumatisme hantera sa vie et le fera basculer dans l’alcool dès ses années d’étudiant. Il n’arrivera pas à s’impliquer dans les affaires familiales, son mariage sera un échec. Ce n’est que lorsqu’il arrive dans un temple qu’il comprend que cela ne peut pas continuer … Il se fait raser la tête et devient le moine Kôho. Commence une vie de moine mendiant, se contentant de peu, écrivant des poèmes. Il n’arrêtera de marcher que pour aller mourir dans une chambre au-dessus d’amis poètes en pleine conversation.
Plus qu’un roman sur la vie de Santôka, ce livre raconte deux destins brisés, deux solitudes qui se comprennent, se répondent, se mêlent. Le fil conducteur de ces vies est la marche, seule possibilité pour échapper à la sédentarité qui rend fou.
Les descriptions sont toujours d’une extrême poésie. La nature omniprésente chante, danse, offre un spectacle toujours renouvelé. La vie est partout, il suffit d’observer.
Ainsi Santôka dans son ermitage a tous ses sens en éveil :
« Au printemps, coquelicots et liserons faisaient de sa hutte une maison de poupée. Lorsqu’il se lavait, il pouvait contempler des heures l’eau grise du baquet entre ses pieds nus. Les soirs d’été, en l’absence de ceux qu’il avait aimés, les lucioles clignotaient pour lui seul dans les herbes hautes. Il se plaisait à étudier les déplacements et les guerres intestines des bestioles : guêpes, araignées d’eau, libellules, toutes semblaient vouloir imiter la lumière, atteindre un jour sa vitesse ! Crapauds, escargots et hannetons de leur côté vadrouillaient autour d’une flache ou pèlerinaient sans gêne aucune. »
Shôichi marche :
« Moi, Shôichi, dernier moine pélerin en ces terres chancelantes, je marche sur les pas de Santôka depuis qu’une déesse m’a délaissé dans la saison froide.
L’hiver sans couleur
éclaire ton oeil noir
rare nuit des neiges
Tout chemin semble étranger quand on évoque l’amour perdu. Par chance, les pieds gardent l’esprit et j’avance à bonne allure sous les cerisiers en fleur, dans les prairies gelées ou parmi toutes ces feuilles mortes venues d’arbres inconnus. Je marche dans un monde à l’usage de ceux qui se croient vivants. »
Ode à la marche (« Marcher figurait pour lui le mouvement même de vivre« ), à la nature, à la poésie qui réussit à capter ces instants et à les offrir aux lecteurs.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur
Soundtrack d’Hideo Furukawa, deux êtres hors du commun dans un monde devenu fou
Hideo Furukawa est l’un des plus talentueux écrivains du Japon contemporain. Ses univers sombres et la fulgurance de son écriture ont marqué les lecteurs de Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente, écrit peu de temps après la catastrophe de Fukushima (l’auteur est né dans cette ville). C’est un livre paru au Japon en 2003 que les éditions Picquier publient en cette rentrée littéraire : Soundtrack, le destin de deux enfants naufragés sur une île, qui vont ensuite survivre dans un Japon devenu petit à petit invivable. Cette grande fresque futuriste mélange obscurantisme et lumière, fantastique et poésie. Un grand coup de poing dans la poitrine !
Touta n’a que 6 ans lorsqu’il échoue sur une île. Son père s’est noyé mais lui a appris à se débrouiller seul, à vivre de ce que la nature offre. Il est bientôt rejoint par Hitsujiko, fillette de 4 ans dont la mère s’est suicidée en se jetant dans l’eau depuis un paquebot. Les deux enfants vont apprendre à vivre ensemble sur cette île déserte. Puis ils seront placés chez un couple et retourneront à la vie civilisée. Hitsujiko aime danser, ses jambes bougent avec agilité et provoquent l’envoûtement de ceux qui la regardent danser. Elle sera adoptée par son instituteur et sa femme, qui iront vivre avec elle à Tokyo. Touta, lui, est resté très sauvage, il ne dessine pas les gens « parce que les gens disparaissent tout le temps, tous« . Il ne fait pas la différence entre sons et musique. En 2008, il arrive à Tokyo et travaille avec les clandestins qui peuplent la capitale.
Deux vies parallèles se déroulent sous les yeux du lecteur dans un Tokyo ravagé par le réchauffement climatique : les cerisiers se meurent, les cocotiers les remplacent, les poissons tropicaux ont succédé aux carpes, les moustiques porteurs de maladies tropicales se multiplient et des nuées de corbeaux à gros becs volent dans l’air étouffant. Hitsujiko et son groupe de danseuses sèment la terreur dans le lycée et dans les beaux quartiers où les riches japonais « de souche » se protègent des immigrés en achetant de gros chiens et du soleil tropical et des moustiques porteurs de maladies par des tenues et des crèmes adaptées. Touta, lui, vit « de l’autre côté », il se fait de nombreux amis de toutes les nationalités. Sa plus grande amitié est celle qu’il lie avec Leni, jeune libanais(e ?) qui explore les galeries souterraines accompagné(e) de son corbeau Kroy.
Dans une ville apocalyptique, Touta et Hitsujiko sont prêts pour la fin du monde qu’ils souhaitent orchestrer.
Le livre est un véritable tourbillon. Le style est enfiévré. Les descriptions de ce Tokyo de science fiction, si loin mais aussi terriblement proche, font tourner la tête du lecteur. Les scènes de danse sont hallucinantes de technicité et de fulgurance. Kroy, le corbeau, livre des combats à couper le souffle.
On pense à Jun Ishikawa et son Faucon pour son côté surréaliste et pourtant tellement ancré dans le présent et construit sur le passé. C’est audacieux, brillant et percutant !
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Kokoro de Delphine Roux, un livre à déguster comme des wagashi, ces subtiles petites pâtisseries japonaises
Delphine Roux avait déjà livré aux jeunes lecteurs une histoire douce et poétique avec Bonne nuit Tsuki-san ! aux éditions Picquier Jeunesse. C’est avec un court roman au charme intimiste qu’elle revient en cette rentrée. Kokoro est le journal-dictionnaire intime de Koichi, un jeune homme qui « observe le monde en proximité« . Chaque chapitre s’ouvre sur un mot japonais, comme une étiquette sur un joli cadeau. (koke qui signifie mousse, matsu-attendre, ou negai-voeu le plus cher), pour évoquer un moment, une sensation, un souvenir.
Koichi a une soeur, Seki, qu’il adore, mais qui a arrêté de sourire depuis que leurs parents sont morts alors que les deux enfants étaient en pleine adolescence. Seki s’est glacée. Elle s’est lancée dans les études, s’est maquillée, est partie à l’étranger, puis s’est mariée et a eu deux enfants. Elle noie son chagrin dans le travail, l’éducation des enfants, une image de façade qu’elle entretient jour après jour. Koichi, lui, a arrêté ses études, a vécu avec sa grand-mère adorée qui est maintenant en maison de retraite, n’a plus toute sa tête, mais adore les petites friandises que lui apporte son petit-fils chéri. Koichi vit entouré de souvenirs qui éclatent comme des bulles au fil des pages. Il les regarde de côté, comme pour ne plus avoir à souffrir. Son voeu le plus cher (il a peint en noir l’oeil d’un daruma pour qu’il se réalise) est que Seki retrouve le sourire. Lorsqu’il apprend que celle-ci ne va pas bien, il met toute son énergie et son envie, tapies au fond de lui, pour leur faire prendre un nouveau départ. Les mots ne seront pas nécessaires pour qu’ils se comprennent, se retrouvent.
Delphine Roux utilise des petites phrases sans fioritures, dans lesquelles l’émotion explose comme une boisson pétillante. Douceur et douleur se mêlent délicatement dans l’amour infini que porte Koichi à sa sœur et à sa grand-mère. Les souvenirs sont brillants comme la laque, moelleux comme un mochi. Les mots sont comme des poignées de sucreries semées au fil des pages, ces petits konpeitos qu’on fait rouler sous la langue. Au final, un tas de petites billes dans lesquelles se reflètent des moments précieux, et qui roulent de page en page pour arriver sur une île du sud du Japon.
Un livre doudou, un livre bonbon, un livre comme les wagashi, ces délicates pâtisseries japonaises : beau à regarder, doux en bouche, pas trop sucré, juste fin, délicat …
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Un petit bonus… sortie en poche (chez Babel) du très beau livre de Yôko Ogawa : Le petit joueur d’échecs
Ce petit livre permet au lecteur de plonger dans l’univers fantastique et poétique de cette grande dame de la littérature japonaise (dont nous vous avons déjà parlé à la sortie du livre Petits oiseaux).
Un petit garçon différent des autres (donc moqué par ses camarades et en réelle souffrance) retrouve goût à la vie grâce à un homme obèse qui vit dans un bus qu’il a aménagé avec soin, qui prépare de délicieuses pâtisseries et qui lui apprend à jouer aux échecs. Le petit garçon (qui vit avec son petit frère chez ses grands-parents car sa mère est morte) passe alors de délicieux moments de bonheur. Mais à la mort du gentil monsieur, il cesse de grandir (car pour lui « grandir est un drame »).
Ce petit homme commence alors une vie étrange : il devient « little Alekhine », un brillant joueur d’échec caché dans un automate. Il est accompagné de la mystérieuse Miira qui, une colombe sur l’épaule, l’aide en enlevant les pièces sur l’échiquier. Les joueurs d’échecs viennent de très loin pour affronter ce génie.
Après quelques années, ce sera le départ pour une maison de retraite perdue dans la montagne, où les retraités insomniaques viendront jouer avec lui d’interminables parties d’échecs.
Ce livre à la fois doux et amer reprend les thèmes chers à Yôko Ogawa : la différence, la poésie du quotidien, le fantastique qui n’est jamais loin, et l’amour qui soigne, comble le vide, aide à grandir, à avancer.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Voilà, vous avez désormais de quoi vous entourer de mots et de belles ou grandes histoires pour cette rentrée, bonnes lectures !
2 réponses
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[…] Delphine Roux (l’auteur de Kokoro que nous avions plébiscité dans notre notre rentrée littéraire de septembre 2015) et Pascale Moteki (dessinatrice des livres de Madame MO que Journal du Japon avait interviewée […]