[Interview] Yoshiyuki SADAMOTO, au cœur du design
Japan Expo 2015 restera certainement gravé dans les mémoires de nombreux fans pour la venue d’un invité d’exception : Yoshiyuki SADAMOTO. Certains de ses travaux sont d’un temps que les moins de vingt ans ne connaissent guère, comme Les Ailes Honnêamise, .Hack//SIGN ou Nadia, le secret de l’eau bleue. Mais son character design a également touché une génération bien plus actuelle avec La traversée du temps, Summer Wars et le très poétique Les enfants loups, Ame et Yuki.
Cependant, s’il y a bien une œuvre emblématique qui jalonne la carrière de l’artiste, et qui sera régulièrement évoquée dans cet article, c’est Neon Genesis Evangelion. Journal du Japon vous propose de revenir sur la conférence publique organisée le samedi 4 juillet par le salon et de prolonger l’expérience avec une interview réalisée par nos soins.
Du design à l’animation
La session de questions-réponses entre Yoshiyuki SADAMOTO et le public a été l’occasion d’aborder des aspects techniques de l’animation japonaise. L’invité fût évidemment questionné sur son métier de designer, celui pour lequel il est le plus connu.
Il nous indique que lorsque l’on travaille sur le chara design d’un anime, il est important de penser que c’est un dessin qui sera utilisé par d’autres personnes. Il faut donc faire des dessins sans trop de traits pour qu’ils soient facilement reproduisibles, contrairement aux mangas : «dans le cas d’un manga, on peut faire quelque chose de beaucoup plus réel, avec plus de détails. La différence tient aussi aux couleurs, le manga étant en noir et blanc, il faut savoir jouer sur les tons».
L’aspect des Eva est ensuite évoqué pour leurs apparences quasi « organiques ». Monsieur SADAMOTO explique alors que la conception du design des evangelions a été fait par Ikuto YAMASHITA, qu’il considère comme étant un très bon mecha designer. Il lui avait demandé lors d’une réunion de travail de faire des robots différents de ce qui avait été fait jusqu’à présent (en opposition aux robots type Gundam) pour faire quelque chose qui ressemblerait plus aux Oni, ces démons rouge et bleu japonais qui arboraient des cornes.
Cette création a aussi été une grande révolution dans le design, car jusqu’alors, quand les robots avaient des oreilles ou des objets pointus, ceux-ci étaient toujours tournés vers l’arrière : «les « cornes » des Gundam sont dirigées vers l’arrière par exemple. Là avec les evangelions, c’était la première fois que les cornes poussées vers l’avant, et faisant donc allusion à l’esprit des démons traditionnels japonais».
Comme il ne pouvait pas faire le design des Eva en plus de celui des personnages, cette étape a pris énormément de temps, et les échanges entre les deux designers ont duré 10 mois. A titre de comparaison, les personnages ont mis 2 à 3 mois pour être finalisés.
Nous apprenons également que le visuel des protagonistes a beaucoup évolué. En effet, au début du projet, tous les personnages avaient les cheveux noirs. «Lorsqu’on a commencé à faire Evangelion, je voulais faire quelque chose de très japonisant. Mais pendant la présentation du projet, un des sponsors voulait faire un jeu vidéo basé sur la série et il fallait alors qu’on reconnaisse facilement les personnages entres eux, j’ai donc mis des couleurs spécifiques aux coiffures. Les cheveux bleus et les yeux rouges de Rei sont donc mon choix personnel».
Ayant été, dans une moindre mesure, animateur et direction d’animation, des visiteurs avisés lui ont demandé sa vision de ce poste. Il spécifie tout d’abord que c’est un rôle clé, qui nécessite de veiller à la qualité générale de l’œuvre. En revenant sur son expérience, il précise qu’il a occupé cette fonction pour Gunbuster 2 «mais seulement sur l’épisode 1, car je considère que je ne suis pas assez rapide et endurant en tant qu’animateur». Il a par ailleurs souvent passé la main à des personnes plus douées pour ce poste-ci, préférant s’atteler au design.
Pour créer un univers, Mr SADAMOTO donne sa méthode : «je vais avant tout puiser dans tous les tiroirs de ma mémoire et récupérer mes souvenirs d’enfance. C’est cet univers qui est alors réarrangé. Commencer par là c’est un très bon début».
Il poursuit en expliquant que pour fournir un travail qui sorte des normes, il faut commencer par éluder de son esprit tout ce qui a du succès sur le marché : «si on pense à ce qui a déjà été fait, on va machinalement reproduire la même chose. Pour éviter cette copie, il faut privilégier des romans, des choses écrites qui amènent de l’imagination sans l’illustrer. Il ne faut pas se reposer sur des choses déjà établies visuellement».
Les deux principaux réalisateurs pour lesquels SADAMOTO a travaillé sont Hideaki ANNO et Mamoru HOSODA et il nous indique qu’il y a des différences à travailler avec l’un ou l’autre. Effectivement, ANNO et SADAMOTO sont tous deux salariés d’une même société et c’est un travail d’équipe qui s’est mis en place sur Evangelion. Il y avait donc peu de demande de la part du réalisateur. HOSODA va, quant à lui, construire l’histoire en fonction des personnages qui lui seront donnés, il va donc demander beaucoup plus de choses au character designer.
Le sujet est en outre l’occasion de clarifier une interrogation : il n’a pas participé au dernier film de Mamoru HOSODA, Bakemono no Ko, pour un problème de planning.
Enfin, lorsqu’un fan lui demande s’il participera au projet Japan Anima(tor)’s Exhibition initié par Hideaki ANNO, il répond par la négative pour le simple fait qu’il est aujourd’hui plus mangaka qu’animateur.
Soyons sérieux, mais pas trop
Bien que beaucoup de questions furent très sérieuses et riches en détails techniques, l’assemblée a également connue des instants plus légers.
Concernant les personnages qu’il apprécie le plus et le moins de la saga Evangelion, l’invité répond : «je préfère Misato, ça ne me gênerais pas de sortir avec; et s’il existait vraiment, ça ne serait pas une mauvaise chose que de ne pas fréquenter Keel de la Seele», sous les rires des fans.
À la question «comment designer une fille sexy mais pas vulgaire ?», l’illustrateur répond que c’est un point très important car quasiment tous les réalisateurs vont demander des filles sexy. Il précise alors que la clé d’un bon design est de garder un coté sexy mais que le personnage amène à une forme d’intelligence. Il confesse d’ailleurs que dessiner des scènes ecchi ne lui a pas toujours rapporté des louanges : «Je me suis permis de dessiner une petite scène coquine dans un des tomes d’Evangelion, mais ça n’a pas été très bien reçu et on m’a fait comprendre que je n’étais pas fait pour dessiner ce genre de scène (rires)».
Grand amateur de voiture vintage, Monsieur SADAMOTO a un faible tout particulier pour la marque Citroën (dont il n’a pas hésité à visiter une boutique durant son séjour en France) qui, dit-il : «arrive à garder cette petite touche française». Son faible pour les voitures aux chevrons lui a valu d’avoir une 2 CV, une AX, une XM, une Xantia et il roule actuellement en C6. Pour la Renault Alpine apparaissant dans Evangelion, il nous confie que c’était là un hommage à la série Lupin III (Edgar de la cambriole en France), car dans le premier épisode Minne FUJIKO, la femme fatale de la série, conduisait une Alpine A110, couleur bleu nuit.
Cependant, si le modèle de Misato KATSURAGI est une A310 c’est parce que le nombre 310 est plus facile à dessiner et le design de la voiture lui plaisait davantage.
La série Evangelion est parsemée d’hommages divers et variés, mais Monsieur SADAMOTO nous en révèle un parmi les moins connus du grand public. En effet, la relation entre Fuyustuki, Gendo et Yui est un hommage, d’ailleurs bien plus accentué dans le manga, d’une série TV anglaise des années 70 : UFO, alerte dans l’espace. C’est une œuvre qui a directement influencé ce trio de personnages.
Rencontre avec l’artiste : souvenirs et projets…
Journal du Japon : la publication du manga d’Evangelion est enfin terminée ! Allez-vous continuer à écrire des mangas, comme les one shot que vous avez déjà réalisé avec votre femme Mako TAKAHA ?
Yoshiyuki SADAMOTO : Je suis actuellement en train d’écrire un manga qui ne va pas tarder à être publié mais je travaille également sur des jeux vidéo, sur un long métrage et sur une série. Quatre choses en même temps, je n’ai donc pas le temps pour d’autres projets manga en ce moment.
Vous avez souvent dit en interview qu’Evangelion vous occupait beaucoup et vous empêchait de passer à autre chose. Qu’auriez-vous souhaité faire d’autre ?
Si ça avait été possible, j’aurais bien voulu pouvoir écrire de A à Z un manga original, faire toutes les étapes de création tout seul. Mais il faut vraiment beaucoup d’énergie pour pouvoir arriver à finir un tel projet, ou simplement pour le commencer. Il est beaucoup plus facile de travailler lorsque le projet est extérieur, et de le faire évoluer. Mais oui, c’est vraiment quelque chose que j’aurais souhaité faire.
Avez-vous vu le drama d’Aoi Honoo* ? Trouvez-vous que le Hideaki Anno qu’on y voit ressemble à celui que vous connaissez ?
Je ne connaissais pas Hideaki Anno à cette période là, car l’équipe fondatrice du studio était à Osaka et moi j’étais à Tokyo, je suis donc arrivé après la période qu’ils montrent dans les drama. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a des points qui sont ressemblants, c’est assez bien fait. Mais selon Messieurs Takami AKAI et Hiroyuki YAMAGA qui le connaissaient bien à l’époque, c’est vraiment très très ressemblant pour eux. Je pense qu’il faut se fier à ce qu’ils disent.
*Aoi Honoo (Blue Blazes en anglais) est un manga de Kazuhiko SHIMAMOTO (La plume de feu) où il romance sa jeunesse dans la même université d’art que les fondateurs du studio Gainax.
Concernant le film Uru in Blue (NDLR : anciennement Aoki uru), comment cela se passe lorsque l’on reprend un travail commencé 23 ans plus tôt ?
Il faut bien comprendre que, même si la base va rester dans le même esprit que le film de départ c’est-à-dire un récit avec des avions de guerre, le héros va être différent de l’original, l’histoire aura subi des modifications, etc… C’est donc peut-être une base qui date de 23 ans, mais aujourd’hui c’est vraiment quelque chose de tout nouveau qui va être crée.
Vous êtes crédité au poste de chara-designer sur le film de L’attaque des titans, dont la première partie est sortie le 1er août au cinéma au Japon. En quoi consiste le travail de chara designer sur un film live ?
En fait, c’est une erreur d’information qui a circulée sur internet. J’ai en effet participé au film, mais j’ai conçu le design des véhicules et non le character design des titans.
Une dernière question… En tant que vétéran, que pensez-vous de la situation de l’animation au Japon et de l’état du character design d’aujourd’hui ?
À mes débuts ce qui primait avant tout c’était l’audience… donc tout était fait par rapport à ça et si la série marchait bien, il y avait des œuvres qui pouvaient continuer. Maintenant ce que l’on prend de plus en plus en considération, c’est ce que veulent faire les sponsors par la suite.
Donc s’il y a un type d’anime avec des jolies filles qui va marcher, tout le monde ira dans ce sens et fera des animes de ce type. Cela réduit beaucoup le champ de travail et c’est un point que je trouve un peu dommageable.
Merci monsieur Sadamoto !
Retrouvez tous les travaux de Yoshiyuki SADAMOTO sur Anime News Network et plus d’informations sur le site de Japan Expo.
Nos remerciements au salon Japan Expo pour la mise en place de cette interview et à Emmanuel Bochew pour sa traduction de la conférence et de la rencontre.
Merci pour cet article qui résume bien l’intervention de M. Sadamoto (cela dit je ne suis pas sur que la scène ecchi dont il parle soit issue d’evangelion ?) et pour le nom du mystérieux interprète ^^.
Et merci surtout pour l’interview très intéressante par la suite 🙂 .
Ravi que l’article vous plaise 🙂
Concernant la scène ecchi, nous aurions tendance à penser au baiser entre Shinji et Kaoru dans le tome 10 (seulement présente dans le manga).
J’aurais plutôt pensé à System of Romance, qui est un chapitre one-shote assez ecchi dans l’ensemble.