Interview Samantha Bailly : oublier les barrières, mais certainement pas les émotions !
Il n’y a pas qu’en bande dessinée que les loisirs japonais ont semé des graines et des références, tout comme les univers de la fantasy ou même des jeux vidéo l’ont fait depuis quelques années, venant compléter plusieurs ADN littéraires… Samantha Bailly en est un excellent exemple. L’auteure des Stagiaires, que nous avions rencontré l’an dernier au Salon du Livre de Paris, est revenue cet été avec une nouvelle saga, Nos âmes jumelles, l’histoire de deux adolescentes créatives et passionnées de littérature et de dessin, de jeu vidéo et de manga : Lou et Sonia, qui se croisent un jour sur un forum, entament alors une aventure créative qui va transformer petit à petit leur adolescence et leur quotidien, et les révéler à elle-mêmes.
Alors que Samantha Bailly connait de plus en plus de succès – Les droits audiovisuels des Stagiaires ont été cédés pour un projet de film – il était temps de revenir avec elle sur le chemin parcouru et surtout sur les évolutions de la littérature ces dernières années, à travers une multiplicité d’influences. Ensuite, lors de cette longue et passionnante rencontre la veille de Japan Expo début juillet, nous avons évidemment parlé de ce dernier roman, Nos âmes jumelles, de sa genèse très personnelle aux nombreux messages que Samantha à envie de transmettre à tous les passionnés de littérature… Et, en bonus, les premières infos sur son premier manga Alchimia, chez Pika en 2016, avec son amie de longue date, Miya !
Une interview que tous les amoureux des livres apprécieront sûrement, nous vous laissons en profiter dès maintenant !
Salon et rencontres, émergence et dédicaces
Journal du Japon : Bonjour Samantha Bailly… Commençons avec un peu d’actualité. Demain c’est le début de Japan Expo 2015, ce sera ton combientième ?
Samantha Bailly : Houla ! Mon sixième je pense…
Oui, c’était en 2009, et Mille Saisons (le premier éditeur de Samantha Bailly, NDLR) avait un petit stand du coté Comic Con, et j’y étais pour dédicacer mes premiers romans (La langue du silence, le premier volet d’Oraisons, photo ci-contre NDLR). C’est là que je me suis rendue compte qu’il y a énormément de communication entre les univers de fantasy, de manga et toutes les influences japonisantes.
Adolescente, je m’y rendais comme visiteur dans le cadre de ma participation à des fanzines. Japan Expo était donc ce grand événement dont on entendait parler sur les forums avec des artistes qui débutaient à l’époque et sont passés professionnels depuis. Je pense par exemple à Miya chez Pika (l’auteure de Vis-à-vis, NDLR) qui avait son association Carte Blanche…
Est-ce que tu penses que c’est toujours possible d’émerger en tant qu’auteur(e) à Japan Expo vu l’événement colossal que c’est devenu ?
Je pense que c’est un rendez-vous symbolique qui indique la motivation des gens prenant des stands en tant que jeunes créateurs, qui viennent défendre leur travail et concrétiser toute la créativité dont ils ont fait preuve pendant un an sur Internet, via Deviant Art, Facebook ou des forums… C’est un rendez-vous entre artistes et avec le public, je ne suis pas certaine que des professionnels viennent forcément vous voir et vous démarcher sur place.
Quoique, cela reste possible : je me souviens que le Directeur Créatif de Might and Magic chez Ubisoft avait repéré des gens là bas, pour d’éventuelles commandes ultérieures qui pouvaient correspondre au style de l’artiste. Ça arrive donc mais Japan Expo reste davantage un lieu de rencontres entre artistes et visiteurs. L’émergence se fait avant, sur Internet, et Japan Expo fait office de rassemblement.
Qui dit Japan Expo dit aussi dédicaces. Dans Nos âmes Jumelles tu abordes le sujet par deux angles. Il y a d’abord la dédicace de Boulet…
Qui a d’ailleurs validé ce passage ! (Rires)
Et il y a aussi ce moment où nos héroïnes signent leur première dédicace. C’est un moment marquant et qui mélange pas mal de sentiments en général, tu te souviens de ta première dédicace ?
Oui je m’en souviens c’était à Troll et Légendes, à Mons. J’étais très impressionnée et anxieuse derrière le stand des éditions Mille Saisons. Une femme, Marie, s’est avancée, a été attirée par la couverture et a pris le roman (Oraisons). Je ne savais absolument pas quoi mettre dans la dédicace, c’était très bizarre, je ne me sentais pas du tout à l’aise pour parler de l’histoire (rires)… J’avais 19 ans, j’étais à la Fac de Caen et je passais des salons aux amphis : je vivais le clivage permanent que connaissent les gens cumulant études et vie professionnelle.
Mais ce qui est assez drôle c’est qu’une histoire s’est construite avec cette première dédicace, car Marie a lu ce premier roman durant son premier accouchement et le second tome durant son second accouchement un an plus tard, lorsqu’elle attendait des jumeaux… Je l’ai revue à Troll et Légendes cette année, 5 ans plus tard donc, et elle avait ramené tous ses enfants et une lettre très émouvante.
Ces premières dédicaces restent d’excellents souvenirs, et je sentais que je mettais les pieds dans un autre monde, que je verrouillais certains choix et que… je ne passerai pas le CAPES ou l’AGREG ! (Rires)
Des dédicaces depuis tu en as fait beaucoup et sur certains salons tu en enchaînes 50 voir davantage sur une journée. Parfois pour le lecteur c’est un moment très intense et bouleversant, donc comment faire pour les continuer sans devenir un robot ?
La première chose est que je suis proche de mes lecteurs via les réseaux sociaux ou mon site : il y a des lecteurs dont je connais les prénoms, je sais qui ils sont, ce qu’ils font dans la vie, etc. Mais depuis un an ou deux, le rapport évolue : avant j’avais un petit peu monde qui venait me voir, en continu sur la journée, cela demeurait assez calme. Mais, par exemple, au dernier Salon du Livre de Paris, j’ai vu une file d’attente immense devant le stand, je me demandais pour qui c’était. Mon éditrice me dit « Mais Sam, regarde, ces gens ont tous tes livres dans les mains ! ». Alors cela devient différent. On essaye d’être dans la rencontre mais c’est difficile d’engager la conversation à chaque fois et il y a la pression d’aller assez vite pour que tout le monde ait sa signature…
Avoir une longue file d’attente pour ses dédicaces peut représenter une sorte d’aboutissement, en tout cas la preuve que l’on a trouvé son public. Mais le jour où on l’a – je ne vais pas m’en plaindre bien sûr – cela change le rapport à la dédicace. Donc je fais attention, j’essaie d’être toujours souriante, de prendre le temps. Après, il y a aussi les rencontres de dédicaces plus problématiques, je pense que tous les auteurs pourraient faire un recueil de situations gênantes. Par exemple, le nombre de fois où j’ai entendu : « ah, vous faites de la Fantasy… et quand est-ce vous écrivez un vrai livre ? » ou ce genre de réflexions sympathiques où l’on se questionne sur l’empathie que l’on a en face ! (rires)
La dédicace est aussi un moment public dans lequel tu joues le jeu de la représentation : les gens prennent des photos de plus en plus systématiquement et tu n’as même pas le temps de dire quoi que ce soit que « ça y est c’est sur Facebook ! » alors que tu peux avoir les yeux fermés, la bouche de travers, bref, te retrouver pour 10 ans sur le Net avec une photo que tu n’as pas voulue. Mais je comprends, les lecteurs ont envie de partager un moment, une rencontre, plus qu’une image. C’est juste que tu n’as pas forcément envie de voir certaines photos circuler sur le Net. Cela se raccroche à une évolution plus globale du rapport que les individus entretiennent à l’image et sa diffusion.
En tout cas, je fais énormément de salons depuis 2009, et je ne suis toujours pas lassée. J’aime retrouver les gens et échanger avec eux. Avec la répétition tout peut devenir une habitude et perdre l’éclat des débuts. Mais souvent, ce sont les lecteurs qui vont m’apporter des moments extrêmement précieux lorsque l’on échange. Cette année, je me souviens d’une adolescente venue avec ses parents pour m’expliquer qu’après une tentative de suicide, Métamorphoses fut une révélation qui l’avait sortie de cette période extrêmement dure. Bien sûr, le roman n’est qu’un support de projection, un miroir tombé au bon moment, mais dans ce cas on se dit : alors quoiqu’il en soit, c’était un peu utile de l’écrire. Cela me suffit.
Nos âmes jumelles : la genèse des souvenirs
Parlons maintenant de ton dernier roman : Nos âmes jumelles… Comment est-il né ?
J’avais déjà fait un thriller avec Rageot, A pile ou face, et Caroline Westberg, à l’époque directrice des éditions Rageot, voulait me voir pour me proposer d’écrire autre chose. Je lui ai glissé que j’avais envie de partir sur un projet viscéral, plus réaliste et dur sur l’adolescence. Nous avons discuté d’un film, Le monde de Charlie (un film sur le malaise adolescent et le passage parfois difficile à l’âge adulte, issu d’un roman qui s’appelle The perks of being a wallflower, NDLR) qui nous a toutes les deux bouleversées… Je rentre donc chez moi avec cette discussion en tête et la thématique de l’adolescence en toile de fond.
Je discute avec Sonia, une amie très proche rencontrée lorsque j’avais 13 ans sur un forum de discussion, FF World. Je parle souvent de mes projets avec elle et on se dit que, plus de dix ans plus tard, nos existences se jumellent à Paris, alors que nous vivions à l’époque des vies très différentes…
C’est comme ça que sont venues tes introductions de chapitres, avec ces messages « du futur » que s’envoient les deux héroïnes et qui évoquent avec nostalgie leur passé qui n’est autre, donc, que le présent du livre ?
Oui je trouvais cette voix du futur très intéressante, dévoilant avec parcimonie ce qui va se passer dans le chapitre mais aussi dans l’avenir, pour montrer que c’est une amitié durable, que ce forum est un lieu de rencontres et d’émulation qui a poussé les personnages très loin…
Et donc, revenons à la genèse du livre…
Oui. J’en discute aussi avec Miya, rencontrée aussi sur un forum à la même période et avec qui j’ai envie de travailler depuis longtemps, qui aimerait bien pouvoir lancer un nouveau projet avec Pika et que je sois sa scénariste, pour travailler d’une autre façon et sortir un peu de la solitude du mangaka.
Tout ça se télescope dans mon esprit et je me dis qu’il n’existe pas de livre qui photographie l’adolescence de la génération Y, en insérant l’influence parfois majeure que les débuts d’Internet a eu sur nos vies et nos rencontres. Il y a pourtant énormément de gens de ma génération qui se sont rencontrés sur des sites et des forums, qui n’osaient pas forcément le dire d’ailleurs. A l’époque c’était un peu honteux de rencontrer des gens sur internet ! (Rires)
Je me souviens oui, on disait : « je l’ai rencontré – ouvrez les gros guillemets – sur internet ». Comme si c’était une tare comme façon de nouer le contact…
Voilà, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser : une narration alternée, deux filles que tout oppose… Et j’ai commencé à écrire. J’ai envoyé à Caroline les trois premiers chapitres, le plus simplement du monde. Elle m’a répondu « J’adore, continue ! ». Ça a commencé comme ça.
Sur la narration alternée justement, que l’on retrouve aussi dans Les Stagiaires… C’est un schéma narratif qui a l’air de plus en plus présent : Games Of Thrones, La Horde du Contrevent, certains Robin Hobb comme les Aventuriers de la mer… Qu’est-ce qui t’amènes, toi, à choisir ce modèle là plutôt qu’un autre, avec une seule personne du début à la fin par exemple ?
C’est lié à la question de la focalisation, le choix du point de vue. Notons que dans Nos âmes jumelles j’utilise la troisième personne alors que Les Stagiaires est narré à la première. C’est quelque chose qui se décide dès le début, quand on démarre un roman, une voix s’impose… Ce qui nous lie par exemple est un roman à voix unique, c’était très clair dès le départ, un seul prisme, celui d’Alice. En fantasy l’alternance est plus fréquente car l’intrigue est tellement dense et l’univers tellement panoramique que l’on a besoin d’éclater les points de vue pour se placer à différents endroits. Même si certains parviennent à le faire avec un seul personnage. Tu parlais de Robin Hobb : l’Assassin Royal est construit du seul point de vue de Fitz et ça marche merveilleusement bien.
Mais concernant cette fragmentation des points de vue, j’ai l’impression qu’il y a une influence des autres médiums comme la télévision, les séries ou les jeux vidéo où l’on a tendance, là aussi, à multiplier les focalisations… La littérature puise dans ces formats de narration, mais cela dépend des genres et c’est aussi une question de génération. Mon roman Souvenirs Perdus avait dérangé certains éditeurs aux influences plus traditionnelles, en raison justement des nombreux personnages suivis. Je me suis rendue compte que ma façon d’écrire s’inspire beaucoup des jeux vidéo, du fait de pouvoir incarner plusieurs personnages…
C’est vrai que dans les jeux vidéo c’est très fréquent, c’est le cas dans une grande majorité des RPG par exemple…
Oui, je pense à Final Fantasy IX avec ces petits moments où l’on pouvait activer des événements simultanés en appuyant sur la touche Select : on observait alors Djidane faire tel chose pendant que la princesse Grenat était à un autre endroit, etc. C’est le genre de particularités qui m’ont beaucoup inspirée.
Justement ça tombe bien que tu évoques Final Fantasy et tes références… Dans les cinquante premières pages on croise Final Fantasy ou Nana et on évoque aussi bien Japan Expo qu’Angoulême. Comment ces références sont arrivées dans l’histoire, c’était voulu ?
En me plongeant dans ma propre adolescence j’ai utilisé un référentiel qui était le mien à cette époque. J’avais aussi envie, comme dans Les Stagiaires, de revendiquer ce coté pop-culture et des œuvres qui ont été de grands marqueurs psychologiques et temporels. C’est un peu sociologique mais c’est pour montrer que les jeux vidéo ou les mangas sont certes des médiums populaires et récréatifs, mais qu’ils ne se bornent pas qu’à cela. D’ailleurs on évoquait les fragments du futur au début de chaque chapitre de Nos âmes jumelles, qui sont aussi un clin d’œil à Nana, le manga utilise aussi une voix de l’avenir : « dis Nana, tu te souviens de ce jour où… »
Il y a beaucoup d’idées de narration dans les mangas et les jeux vidéo et je voulais que mes personnages puissent puiser là-dedans aussi, en plus des références plus classiques que peut avoir Sonia par exemple.
Rien ne les oblige à avoir une inspiration exclusive de toute façon…
Voilà, j’avais envie de montrer comment les personnages trouvaient de l’inspiration partout, sans jugement ni a priori. C’est un message que j’ai envie de faire passer. J’ai une formation très classique (Littérature Comparée) et quand j’ai commencé à écrire de la Fantasy c’était vu, par certains, comme un sous-genre pour post-ados. J’ai envie dans ma démarche littéraire de montrer que l’on peut puiser partout, que segmenter, c’est aussi se scléroser. Ma définition de l’intelligence est à capacité à se montrer curieux, ouvert d’esprit, à être capable de dynamiter ses préjugés.
L’adolescent, ce diamant brut
Comment se met-on à l’écriture d’un roman parlant de deux adolescentes et plutôt destiné à ce public là … Est-ce qu’il s’agit de souvenirs, de se mettre « dans la peau de » ?
Il y a des souvenirs, ça c’est sûr ! (Rires)
J’ai fait une petite exploration mentale de cette époque : ce que ça voulait exprimer alors, ce que ça signifie d’être une ado, comment je fonctionnais. On a retrouvé, plus tard avec une copine, les blogs où l’on était sous d’autres identités et les discussions que l’on avait sur des forums. J’ai relu aussi mes journaux intimes de l’époque. J’ai été frappée par une grande naïveté teintée d’une détermination et d’une passion indéniables. Ces textes portaient déjà en germes des thématiques que j’ai développé bien plus tard.
C’est déjà toi…
C’est déjà moi. Et c’est fascinant de voir que c’est brut mais que c’est là, qu’on n’a pas encore été taillé. C’est aussi ça l’adolescence, ce n’est pas juste une période, ce sont des êtres avec un potentiel en pleine explosion…
Je commence donc à écrire, entourée de ces souvenirs, en m’intéressant aux mutations qui ont eu lieu depuis, comme Facebook qui était une évidence et, petit à petit, je retrouve en moi cette révolte contre mes parents et des sentiments très exacerbés. Ces souvenirs remettent dans un état mental bien spécifique, le temps de l’écriture. Après, heureusement, ça passe ! (rires)
Puisque tu parles de révolte… Penses-tu que, si l’on veut devenir un créatif ou un artiste, la révolte contre les parents est un passage obligé ?
Je trouve que c’est un sujet très intéressant, et je dirais que Sonia et Lou ne sont pas très révoltées justement. Sonia n’est pas en opposition avec ses parents, seule Lou s’affirme davantage et revendique des choix sur la fin du premier tome. Mais globalement elles font une crise d’adolescence en sourdine, et toute leur révolte passe par le canal de la créativité, par cet espace secret qu’elles ont, par le fait de se créer une vie et une identité parallèles.
Pour Sonia c’est amusant parce que ; même si elle n’a pas forcément une raison de se rebeller, ça ne veut pas dire pour autant que tout va bien avec sa mère…
Oui Sonia est un esprit ultra-positif mais ces petits délires sont aussi une façon de compenser ce sentiment d’abandon qui l’habite. J’aime bien cette contradiction entre ses parents qui sont vraiment super cools – elle peut faire ce qu’elle veut – et son choix d’aller d’elle-même en internat.
La recherche du cadre…
Voilà, et c’est amusant de voir ces deux ados s’envient mutuellement leur système d’éducation et leur famille respective. L’herbe est toujours plus verte ailleurs. L’adolescence est aussi une période où l’on doit commencer à accepter les imperfections et les failles de nos parents. Après, les deux personnages sont tout de même des élèves qui réussissent scolairement.
Oui d’ailleurs, Sonia réussit en L et Lou, même si ce n’est pas forcément le paradis pour elle, est tête de classe en section scientifique… On aurait pu imaginer que l’une de deux soit en échec scolaire, mais non. Une raison à ça ?
En fait, j’ai connu les deux extrêmes. J’ai regardé mes bulletins de l’époque et j’ai vu que j’avais 1.5 de moyenne en maths ! Donc j’ai connu le fait d’être très mauvaise dans un domaine, d’être cancre et de se sentir bête, et la réussite dans une autre matière où tu as 18 de moyenne et où tout te réussit.
Mais pour Lou je ne voulais pas que sa dépression soit celle de l’échec scolaire. Ce qui est dur pour elle c’est la réussite, justement : tout a l’air d’aller bien de l’extérieur parce qu’elle a de bonnes notes mais elle se retrouve enfermée dans ce rôle de première, sa mère refuse d’entendre parler d’autre chose que des grandes écoles et ses camarades lui font payer ce statut de première de la classe.
Si elle avait été en échec scolaire, le dessin serait devenu une aubaine pour ses parents alors que là c’est le contraire, en fait.
Voilà. C’est aussi se dire : ce n’est pas parce que l’on excelle dans un domaine précis que c’est ce que l’on a envie de faire. Il faut écouter ses propres envies. Et de l’autre coté il y a Sonia, qui suit un autre chemin et qui a été révélée par un enseignant, du pur vécu pour le coup…
C’est vrai ?
Oui il s’appelle vraiment monsieur Brodin et il était au Lycée Jean-Monnet.
Ah oui c’est plus un clin d’œil, c’est un hommage !
Tout à fait. Il l’a lu il n’y a pas longtemps et m’a dit avoir été bouleversé. Mais c’est parce qu’il y a des enseignants qui croisent notre route à certains moments et qui nous autorisent à être ce que l’on a envie d’être, ce qu’on ne peut pas toujours trouver dans notre famille où se jouent des choses différentes.
Donc je ne traite pas de l’échec scolaire dans le premier tome mais ce thème viendra dans le second tome par le biais du personnage de Matthieu, qui va lutter pour avoir son Bac en plus de ses problèmes de harcèlement du fait de son homosexualité.
La transmission c’est quelque chose qui compte pas mal pour toi : tu fais des ateliers sur l’écriture, tu aimes beaucoup rencontrer des scolaires, tu as failli être prof… Qu’est-ce que tu as envie de transmettre à travers l’écriture et le reste ?
A chaque fois que je fais une intervention y compris dans les ateliers, je dis aux personnes : ce qui compte, c’est votre propre chemin.
Je parle beaucoup de la passion, de ce qui nous anime et qui donne du sens à notre vie. Je n’étais pas forcément une très bonne élève mais ce qui a fait que l’école n’était pas qu’une suite de matières et de notes c’est quand j’y ai trouvé mon propre sens, quand j’ai commencé à construire mon propre projet. Je pense que c’est cela le nerf de la guerre. Les connaissances c’est très bien d’en engloutir mais s’il n’y a pas de point de focale autour duquel on peut cristalliser ce qu’on apprend, cela peut sembler vide. Par exemple la littérature tout comme la philosophie nous apprennent la vie, sont là pour donner des clés afin de comprendre pourquoi nous sommes là… C’est ça que j’essaie de transmettre à chaque fois : chercher son propre sens.
Je leur dis qu’il faut aussi, bien sûr, être réaliste : j’ai fait le pari un peu fou de vivre de l’écriture et c’est dur, c’est vraiment dur, mais je ne regrette pas cette prise de risque. Je me lève le matin en me disant que ce que je fais a du sens… Tout le monde ne peut pas vivre de sa passion mais se créer des zones dans nos vies où l’on peut exprimer notre personnalité et mieux apprendre à se connaître me parait essentiel.
Mais, tout ça, ça manque à l’école, on ne parle pas assez de la vie et des émotions dans le cadre scolaire, or nous ne sommes pas que des machines à engranger, mais des individus avec nos spécificités.
A ces adolescents qui ont encore leur vie normale d’un côté et cette passion de l’autre, qu’est-ce que tu veux leur dire avec Nos âmes Jumelles justement ?
En fait, parmi toutes les chroniques de ce livre, il y a un compliment qui est revenu plusieurs fois et qui m’a beaucoup touché : « j’aurais voulu lire ce bouquin lorsque j’étais ado, je me serais dit que j’étais normale. »
C’est ça que j’ai envie dire. De parler des émotions que l’on ressent à cette époque et des questionnements que l’on a. Ce n’est pas anormal d’avoir toutes ces émotions et de s’interroger sur comment les gérer. Cette hypersensibilité est un point commun crucial entre Lou et Sonia, à qui l’on dit qu’il faut museler leurs sentiments et qui sont jaugées par rapport à leurs résultats scolaires. Avec les notes on nous juge les uns par rapport aux autres durant toute notre scolarité et à un moment on ne peut pas s’empêcher de penser que « l’on vaut ça ». Il y a une fusion entre l’élève en tant que personne et ses résultats scolaires que je trouve dure.
Les notes permettent de constater notre progression et d’avoir une critique qui peut être constructive, mais c’est un piège. Je me suis construite en partie grâce à cet enseignant qui m’a révélée mais le vrai déclic pour aimer apprendre et réussir à grandir, je le dois aux livres. Tu lis un roman et tu te dis « ah mais ça je l’ai déjà pensé », « ah mais ça c’est pareil pour moi ». Les livres nous plongent dans un territoire de l’intime, où nous pouvons nous relier tous et être rassurés sur le fait que l’on n’est pas si différents les uns des autres, que l’on expérimente des sensations, des situations, des pensées et des émotions similaires.
Bonus : Alchimia, un manga avec Miya pour 2016 !
Pour finir cette interview… On parlait de Miya tout à l’heure. C’est assez fou comme tous ces événements s’imbriquent : vous avez parlé de vos souvenirs, Miya se retrouve dans Nos âmes jumelles incarnée dans son propre personnage et prochainement vous allez sortir un manga du nom d’Alchimia ensemble…
J’ai l’impression que le roman a jeté un sort ! (Rires)
Cela fait 10 ans que l’on a envie de travailler ensemble. Miya a eu une phase où elle a arrêté le manga pour se consacrer à l’illustration en freelance. Puis nous avons proposé un projet commun à Pika, qui l’a accepté. C’est une belle aventure qui démarre, où l’on réfléchit en amont aux spécificités du manga français : nous attendons par exemple d’avoir terminé le tome 2 avant de sortir le premier pour assurer un rythme de parution plus adapté au public manga. Il y a beaucoup de liberté dans la création, l’équipe est très enthousiaste, c’est un vrai bonheur…
Si je ne dis pas de bêtises on y parle donc de fantasy mais aussi d’amour, d’aventure…
Tout à fait. N’ayant pas le droit de trop en dévoiler pour le moment, je peux vous communiquer le résumé que Pika a déjà diffusé :
« Saë, une jeune alchimiste, sillonne le royaume d’Alchimia en bateau. Avec ses compagnons de voyage, elle utilise ses dons magiques pour collecter et protéger la mémoire de son peuple. Mais la guerre éclate avec Ifen, le royaume voisin qui voue un culte à la Nature. En pleine tourmente, Saë est sauvée par Idan, jeune soldat ifénien. Accusé de trahison et condamné à mort, il trouve refuge sur le navire de Saë.
Alors que tout oppose les jeunes gens, le destin les pousse l’un vers l’autre… »
C’est prévu pour l’automne 2016, comment travaillez-vous actuellement ?
Tout d’abord, j’ai rédigé le scénario complet des trois tomes. Miya a dessiné les personnages, les lieux, les ambiances, bref, un véritable petit dossier ! Ensuite, il s’agit d’écrire le scénario très détaillé du premier tome, comprenant tous les dialogues. S’ensuit ensuite le storyboard. Après le scénario détaillé, Miya découpe page par page, case par case, l’intrigue, de façon croquée mais qui donne déjà un excellent aperçu des expressions, des cadrages, etc. Cela permet d’avoir un chemin de fer déjà très précis. En ce moment, Miya réalise donc les planches du premier tome !
Tu parles d’un story-board détaillé mais de ton côté l’écriture en est où ?
C’est très avancé, tous les dialogues sont déjà écrits et de manière précise, bulle par bulle. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que je décris les scènes dans le scénario, mais ces dernières peuvent être interprétées de manière très différente. C’est vraiment un travail de collaboration dans le sens où par exemple, tel passage va me paraître courir sur trois planches, mais Miya aura un autre point de vue plus graphique et va ramasser ou au contraire dilater des moments. Nous apprenons énormément ensemble, tout est question de choix, d’angle, de traitement.
On guettera le résultat alors… Merci Samantha Bailly !
Retrouvez Samantha Bailly en librairie avec Nos âmes jumelles mais aussi sur le web : site internet, page Facebook et compte Twitter vous attendent !
Remerciements à Samantha Bailly pour son temps et sa disponibilité.
1 réponse
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