[Japan Expo 2015] Rencontre avec l’incroyable Boichi, un homme de passions !
Tout lecteur de manga connait Boichi, de près ou de loin, que ce soit à travers son titre phare Sun-Ken Rock où par l’un de ses cinq autres mangas publiés en France. Ceux qui le connaissent un peu plus savent qu’il s’agit d’un auteur coréen qui travaille depuis plusieurs années au Japon, qu’il dessine de superbes femmes et plutôt des seinens, qu’il aime la SF et la fantasy… Et après ?
En ce mois de juillet, cet auteur de 42 ans s’est confié une première fois à son éditeur Doki-Doki pour l’artbook français de Sun-Ken Rock et une seconde fois à notre micro à l’occasion de sa venue à Japan Expo 2015. Une occasion rêvée de le redécouvrir après une première interview l’an dernier : lui, son parcours, sa passion pour son métier, ses idées et surtout son humour inaltérable. Une rencontre des plus originales, jugez par vous-même…
Boichi et les femmes
Journal du Japon : Bonjour monsieur Boichi… Si on regarde votre parcours, vos débuts sont assez étonnants : vous êtes un fan de SF qui commence par faire des histoires pour jeunes filles, pendant 10 ans qui plus est !
Boichi : En fait très jeune j’ai toujours voulu être mangaka (il a commencé à dessiner à l’âge de 2 ans et n’a jamais arrêté depuis, NDLR), surtout dans la SF (il a même fait quelques études dans le domaine de la physique, NDLR), et j’ai toujours fait beaucoup d’efforts pour y parvenir. Mais un jour, j’étais en terminale à l’époque, ma sœur a rapporté une revue pleine de manwhas pour jeunes filles. À l’intérieur, il y a avait un manga qui s’appelait Lavy and Police qui a piqué ma curiosité, alors je me suis entraîné à dessiner ce genre de titres pour jeunes filles. J’ai envoyé régulièrement mes dessins à ce magazine et j’ai subi plusieurs rejets mais au bout de 2 ans, j’ai réussi à faire mes débuts dans cette revue.
Mais à l’époque, mes collègues de ce magazine étaient déjà persuadés que j’allais dessiner des mangas avec quelques fesses. (Rires)
Ah, puisque nous parlons déjà des femmes, comment faites-vous pour dessiner des femmes aussi canons ? J’ai cru comprendre que Sophie Marceau n’y est pas pour rien, à l’origine ?
Merci de votre compliment, mais j’ai encore trop de lacunes, c’est loin d’être parfait et il faut que je persévère dans mes efforts. Je ferai mon maximum pour dessiner les plus belles femmes possibles pour les fans français ! Mais oui, alors que j’étais en seconde, je n’avais pas encore eu énormément l’occasion de dessiner beaucoup de femmes, j’avais besoin d’un modèle féminin. C’est quand j’ai vu le film L’étudiante et Sophie Marceau que je me suis dit que c’était ça que je voulais dessiner, ce visage et ce physique.
Cela dit, maintenant, les jeunes filles que je dessine ne ressemble plus forcément à Sophie Marceau telle qu’elle est aujourd’hui. Je me dis que…
Boichi se tourne alors vers la rédactrice qui nous accompagnait pour l’entrevue.
Si j’avais rencontré mademoiselle à l’époque, je n’aurais peut-être pas choisi Sophie Marceau. (Rires de toute la salle, notre rédactrice devenant pour sa part rouge tendance cramoisi…)
J’ai pu voir que les femmes françaises sont très belles, et mes lectrices encore plus, donc je vais essayer d’être à la hauteur de toutes ces beautés ! (Rires)
Liberté, pantsu et ironie…
Pour en revenir à votre parcours et à quelque chose de plus sérieux. En 1996 et 1997 vous vous êtes battu contre le Juvenile Protection Act en Corée du Sud, qui voulait censurer de nombreuses œuvres et notamment une grande partie des manwhas pour adulte. Et cela s’est retourné contre vous, vous obligeant au final à quitter votre pays pour continuer votre carrière au Japon, en 2003. Plus d’une décennie plus tard quel regard portez-vous sur cette période, sur vos choix et sur l’évolution du manhwa en Corée du Sud ?
Le manhwa coréen, je suis obligé de l’aimer, c’est un amour éternel car c’est avec lui que je suis né. Malheureusement la loi que vous avez cité a détruit beaucoup de liberté et si on supprime ces libertés, le manhwa n’existe plus. Cela a provoqué beaucoup de chômage, beaucoup de revues ont arrêté leur publication, la plupart des manhwagas que je connais – dont certains sont beaucoup plus talentueux que moi – sont actuellement sans emploi ou alors vivent pauvrement, d’un autre métier souvent… Sans faire ce qu’ils aiment.
La liberté pour un artiste, c’est tout, c’est comme un battement de cœur. Sans liberté, on perd tout, c’est l’essence même du manhwa. C’est d’ailleurs pour ça que j’adresse mes encouragements à toutes les personnes qui se battent pour leur liberté, et je sais qu’en France vous menez beaucoup de combats pour les préserver. C’est peut-être aussi pour cela que votre art est aussi beau. (Boichi a d’ailleurs réagi par un dessin, ci-dessous, aux attentats de janvier. Plus d’informations ici, NDLR)
Et d’ailleurs je continue de combattre aussi pour certaines libertés au Japon…
Par rapport à la censure ?
En fait, c’est lié mon éditeur monsieur Sumi ici présent. Il n’aime pas voir, dans mes œuvres, trop de culottes !
Rires de la salle, nous nous retournons alors vers l’éditeur pour lui poser la question…
No pantsu ?
Monsieur Sumi (prenant un air faussement grave et autoritaire) : NO PANTSU !
Boichi : Mais euuuuuh !
Monsieur Sumi : non, c’est non !
Rire général dans la salle devant ce duo auteur-éditeur, puis Boichi revient vers nous…
Boichi : Donc, comme vous le voyez, je dois me battre pour ma liberté chaque jour, c’est fondamental pour pouvoir dessiner plus de petits culottes ! (Rires)
Dans une autre interview, réalisée lors d’un festival en Italie par nos confrères de Coyote Mag, vous dites que vous cherchez à mettre trois choses dans votre œuvre : de la force, de l’émotion mais aussi de l’ironie. Alors force et émotion, on le comprend aisément en lisant vos œuvres, mais quid de l’ironie ?
J’ai dit ça moi ? Mince je ne vois vraiment pas pourquoi j’aurais parlé d’ironie ! Je me demande ce que je voulais dire par ça…
Boichi n’arrivant pas à se remémorer ce qu’il voulait dire par là, nous reformulons la question…
Dans tous titres d’action on cherche à susciter force et émotion mais, en ce qui vous concerne, qu’est-ce que vous essayez de mettre en plus, ce qui pourrait vous distinguer des autres ?
Humm… je vais répondre l’ironie, je me dit que c’est une bonne réponse ! (Rires) Je ne sais pas pourquoi mais mon intuition me dis que c’est pas mal comme réponse ! (Rires)
Pour finir… Vous avez 42 ans et on peut dire que vous êtes arrivé à mi carrière. Qu’est-ce qui vous manque encore, selon vous, pour devenir le mangaka que vous aimeriez être ?
En fait ce sont les lecteurs qui peuvent répondre à cette question. Lorsqu’ils imaginent dans leur tête le manga idéal : tout ce qu’un manga doit comporter, tout ce qu’il doit apporter au lecteur… C’est là que se trouve la réponse.
Pour ma part j’estime que j’ai encore beaucoup à apprendre. Quelque part mon travail de mangaka pourrait être comparé au long chemin spirituel qui mène à l’éveil dans la religion bouddhique, ou encore au maître de Kung-Fu qui s’entraîne sans relâche pour maîtriser son art, ou même comme la vie de Miyamoto Musashi : un entrainement quotidien, pour toujours essayer d’atteindre un niveau supérieur.
C’est cet esprit que l’on retrouve chez les mangakas japonais, c’est comme ça qu’ils ont pu se hisser à leur niveau actuel, c’est vers ça que j’essaie de tendre. Si les lecteurs français m’apprécient je pense que ce n’est pas forcément pour les dessins, c’est surtout pour tous les efforts que je fais et cette volonté de m’améliorer sans cesse.
A moins que ce soit les jolies filles que je dessine ! (Rires)
Peut-être un peu des deux ! (Rires) Merci monsieur Boichi !
Vous pouvez retrouver Boichi et son travail dans l’artbook publié aux éditions Doki-Doki, The Art of Sun-Ken Rock, sorti ce mois-ci, en découvrir davantage sur l’auteur dans une précédente interview dans nos colonnes, le voir parler du tome 22 sur le site de son éditeur français (attention, spoiler) ou encore apprendre de nouvelles informations dans l’entrevue avec nos confrères de Coyote Mag, citée dans cette interview. Enfin, pour témoigner votre soutien à l’auteur ou apprécier son travail sur sa page DeviantArt. Le 22e tome de Sun-Ken Rock vient de sortir mais, rassurez-vous, le 23e est annoncé pour la fin d’année chez Doki-Doki, en voici la couverture :
Remerciements à Boichi pour son temps et sa bonne humeur. Merci également à son interprète, à son éditeur monsieur Sumi et au staff de Doki Doki pour la mise en place de cette interview. Photos D. Gueugnot © journaldujapon.com – Tous droits réservés.
5 réponses
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[…] Lim Dall Young et surtout Boichi, qui nous faisait l’honneur de sa présence à Japan Expo, pour une interview hilarante et mémorable. Le résultat est un volume de sortie et de vente stables pour 2015. L’année 2016, elle, […]
[…] First published in french on July 14th, 2015 […]