Fukushima, sous la plume des écrivains
La catastrophe de Fukushima a été un choc planétaire. Le Japon a dû faire face à l’impensable, l’inimaginable. Chacun a réagi à sa façon, les écrivains également. Cette catastrophe a bouleversé leur rapport à l’écriture, leur rapport au temps, leur rapport à l’insaisissable : la radioactivité. De nombreux écrits ont été publiés après la catastrophe. Dans des écritures très diverses, ils donnent une vision personnelle de ce jour tragique et de ses conséquences toujours présentes. Après vous avoir présenté deux mangas chez Akata le mois dernier, Journal du Japon vous propose romans et témoignages…
Kesengawa : images d’avant… et d’après
Le premier livre pour cerner la catastrophe dans ce qu’elle a de plus concret est un très beau livre photographique : Kesengawa de Naoya Hatakeyama (éditions Leit Motiv).
L’auteur est un photographe japonais natif de Rikuzentakata, charmante petite ville de 23 000 habitants, au cœur d’une vaste plaine dans laquelle coule la tranquille rivière Kezen. Le jour du tsunami, sans nouvelle de ses deux sœurs et de sa mère qui vivent toujours là-bas, il prend sa moto et quitte Tokyo. Ralenti par la neige, il apprend petit à petit ce qui s’est passé, les bonnes comme les mauvaises nouvelles. En parallèle à ce récit d’une sobriété remarquable, ce sont des images de Rikuzentakata « avant » le tsunami qui défilent : photos d’un quotidien agréable et paisible avec sa fête de Tanabata, ses promeneurs, la jolie petite rivière et ses nombreux ponts, la verdure si agréable à regarder, à toucher, à sentir. Le décalage permanent entre le récit oppressant et la beauté des photographies crée une sensation douloureuse, une émotion décuplée. Le récit s’achève avant l’arrivée à Rikuzentakata, sur une page blanche comme une respiration, un souffle, une prière …
Ensuite d’énormes photographies s’étalent en double page, des photographies de l’après : une claque, un choc. Tout est détruit, rasé. La charmante petite rivière s’est muée en monstre, elle a soulevé, déplacé tout ce qu’elle a trouvé sur son passage.
Un livre qui se referme la gorge nouée, les larmes aux yeux.
Plus d’informations sur ce livre : https://kesengawa.wordpress.com/
L’archipel des séismes : témoignages et révoltes
Pour avoir la vision la plus complète de cette catastrophe, les éditions Philippe Picquier ont rassemblé dans L’archipel des séismes une grande quantité d’écrits : réactions à vif, essais, analyses scientifiques, témoignages d’écrivains, fictions, poésies. Toutes les formes d’écrits sont présentes pour essayer d’exprimer, de partager, de mettre des mots.
La lecture est parfois glaçante lorsque le journaliste scientifique Yoshio Shioya explique l’histoire du nucléaire au Japon, le désengagement de l’Etat, le monopole du privé, le renoncement à la sécurité, la pression du lobby face aux faits scientifiques méprisés. D’autres témoignages de peintres, d’architectes, d’écrivains montrent une furieuse envie de tirer du bon de cette catastrophe, de faire évoluer la société japonaise. Kenzaburô Ôé livre son Adieu au nucléaire tandis que Ryoko Sekiguchi évoque la richesse gastronomique de la région de Fukushima, songeant à « tous les goûts qui n’existent plus ».
Yûko Tsushima (romancière et fille d’Osamu Dazai) raconte une histoire magnifique : La mer tranquille de l’ours brun. On y lit la beauté de la nature … avant :
« Merveilleuse odeur des plantes sauvages au printemps. Douceur du vent. Chant des oiseaux. Bruissement des vagues qui vous chatouille les oreilles. Le ciel est bleu, la mer scintille. Au-delà des flots, la montagne blanche qui vous sourit. Des papillons qui virevoltent autour de vous, et vous effleurent le bout du nez. Des hérons se reposent, ailes déployées, dans les mares de la lande. Dans la mer, les saumons bondissent. Bonheur de ce printemps parfumé, encore ignorant de la pollution radioactive qui s’étendrait à cette saison en 2011 ».
Le livre se termine sur une note d’humour, car quoi de mieux que le rire pour repousser les démons ! Ce sont les habitants des zones sinistrées qui ont écrit des senryû (haïku humoristique, caustique, ironique).
« Tsunami géant
le magot de mamie
perdu dans la boue »
Un livre très complet, très riche, regorgeant d’informations, mais aussi de poésie, de beauté, de révolte et d’espoir.
Plus d’informations sur ce livre : http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=798
Ce n’est pas un hasard : un journal intime…
Pour compléter, il est intéressant d’avoir le témoignage d’une écrivain, poète, gastronome qui vit en France et a donc vécu cette catastrophe de l’extérieur avant de se rendre au Japon ensuite. Ce n’est pas un hasard de Ryoko Sekiguchi (aux éditions POL) est une chronique, un journal intime tenu entre le 10 mars 2011 (la veille, dont on ne sait pas qu’elle est la veille) au 30 avril 2011.
Dans ce livre très subtil, elle livre au lecteur ses images, ses souvenirs, sa mémoire, et les noms propres qui sonnent étrangement en elle : Hiroshima, Fukushima. Elle ne fustige pas les jugements à l’emporte pièce des journalistes occidentaux, elle expose sa vision, ses débuts d’explication, ses doutes aussi : Comment lire, comment écrire après cela ? Quel nouveau rapport au temps ? Car cette catastrophe a un début, mais pas de fin …
La douleur est là : « C’est la première fois que l’intensité de l’écriture n’est pas pour moi un bonheur mais une douleur que je m’impose ». Lorsqu’elle retourne au Japon peu de temps après la catastrophe, elle a une « légère angoisse, non pas tant des radiations que de trouver Tokyo changée, abîmée, usée sous le discours des autorités devenues folles ». Mais ce retour au pays est aussi celui des moments précieux qui prennent une dimension nouvelle après Fukushima : repas avec des amis, promenade dans le quartier des éditeurs où elle a appris à lire, le quartier de son grand-père mort avant la catastrophe.
Les mots toujours et encore plus après …
Plus d’informations sur ce livre : http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-1435-6
Après Fukushima – Recueil de haïkus du cercle Seegan
Pour finir, de la poésie ou plus précisément des haïkus, qui ont fleuri après Fukushima, comme un moyen de dire l’inexprimable, de taper du poing, de jeter sa rage, sa colère. Seegan Mabesoone vit depuis plus de vingt ans au Japon, où il anime un cercle de poètes (le Seegan Kukai).
Le recueil Après Fukushima – Recueil de haïkus du cercle Seegan a été publié au Japon à compte d’auteur le 11 septembre 2011, il se voulait un message fort aux dirigeants de toutes sortes (politiques, scientifiques, hauts-fonctionnaires, dirigeants d’entreprises), comme en atteste ce haïku :
« Dans l’écho des feuilles
Une voie résonne sans cesse :
Reconnaissez vos faiblesses ! » (Shidomi Suzuki)
Il a ensuite été publié par les éditions Golias, ce qui lui a donné un public beaucoup plus important.
Ces haïkus ont pour sujet la catastrophe nucléaire qui a suivi le tsunami. Ils sont comme de grands cris lancés à l’oreille du monde. La nature y est présente, comme dans les haïkus traditionnels, mais elle n’est plus cette chose paisible et apaisante, elle est devenue angoissante, porteuse d’un mal invisible.
« Désormais et pour longtemps,
Il n’y aura plus d’enfants
Pieds nus sur le gazon » (Shigemi Ôbayashi)
Plus d’informations sur ce livre : http://golias-editions.fr/article5045.html
7 réponses
[…] une présentation des mangas et des œuvres de littérature témoignant de la catastrophe, c’est au tour du cinéma de nous montrer l’horreur, sans […]
[…] dévastée (Journal du Japon avait d’ailleurs mis en avant cet ouvrage dans un article sur Fukushima sous la plume des écrivains). En 2016, c’est un nouvel ouvrage, Rikuzentakata (du nom d’une des villes dévastées […]