[Exposition] Il était une fois le dessin animé japonais
Les expositions traitant du processus créatif de l’animation ne se bousculent pas dans nos contrées. Alors, quand l’une d’elle fait irruption à deux pas de la capitale tout en étant entièrement gratuite et présentant des documents originaux… Il serait dommage de ne pas s’y rendre.
Journal du Japon a pu s’entretenir avec Benoit Spacher, co-organisateur de ce projet avec la communauté de communes Charenton – Saint Maurice, pour en savoir plus sur les raisons qui l’ont poussé à mettre en avant nos chers dessins animés japonais.
Une affaire personnelle…
Journal du Japon : Peux-tu présenter à nos lecteurs l’initiative The Art of Anime ?
Benoit Spacher : Le fond culturel The Art of Anime est une initiative personnelle indépendante portant sur la légitimation et la dédiabolisation de l’animation japonaise aux yeux du grand public. C’est un travail de pionnier. La genèse du projet remonte à février 2009, j’étudiais alors le marché des documents originaux japonais dans le cadre de mon mémoire à l’Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales (ESSEC). Au même moment, j’attendais la naissance de mon premier enfant. Devenir père m’ouvrit considérablement les yeux sur la notion de patrimoine et de transmission. Je pense que cela a eu un impact majeur sur mes choix et sur la façon dont j’ai abordé cette exposition.
Pour légitimer un art ou une culture, il faut que celle-ci ait une valeur et une attractivité, vecteur d’émotion et de passion. Il fallait donc tenter l’aventure du marché de l’art pour connaître la véritable valeur qu’avait l’animation japonaise sous le marteau d’un commissaire-priseur. Tout s’est joué un soir de mars 2009 à une terrasse de café. Un grand collectionneur d’art marseillais m’avait ardemment invité à rencontrer un directeur de département d’une maison de vente aux enchères dans le quartier Drouot. Je terminais une réunion de présentation de documents japonais originaux pour les intégrer à une vente de bandes dessinées, c’était une partie de la conclusion de mon mémoire. Nous avons discuté plus de deux heures… L’histoire de l’art était en marche avec le montage de la première vente de documents d’animation japonaise en Europe.
Le succès de cette vente et la conformité de mes prévisions me permit de valider les théories de mon mémoire qui divergeaient radicalement avec ce qui s’échangeait alors comme informations empiriques entre collectionneurs de documents originaux d’animation. Disposant de la seule étude viable sur la vente et l’expertise de ces documents, j’étais convié par diverses maisons de vente aux enchères majeures pour des consultations ou des expertises entre 2010 et 2013. Que ce soit à Paris, Marseille, Bruxelles… j’enchaînais les études pour des ventes. Au fil des échanges et des voyages, je montais progressivement le cœur d’une collection personnelle : la collection Spacher-Vogler était née. Plutôt que de laisser cette collection grandir égoïstement, je souhaitais la partager et tout particulièrement avec le jeune public. En octobre 2011, j’animais ma première conférence sur la restauration de documents originaux de Hayao MIYAZAKI et en janvier 2012 ma première exposition à Paris. J’ai aussi eu le grand plaisir d’animer des ateliers intergénérationnels dans un établissement hospitalier accueillant des malades d’Alzheimer.
Fin 2013, je me désengageais progressivement des ventes aux enchères pour me consacrer à une opportunité professionnelle et continuait de faire vivre la collection sur mes loisirs. Je venais de rencontrer des municipalités pour monter le grand projet qui a vu le jour à Charenton-Le-Pont et que vous pouvez maintenant visiter.
Quel est le but à travers cette exposition ?
Le but est on ne peut plus simple : promouvoir le patrimoine culturel japonais.
Nous sommes face au témoignage d’un patrimoine vivant, un outil industriel majeur qui a changé la face culturelle du monde au même titre que l’industrie automobile japonaise a révolutionné les processus d’organisation professionnels. Dessins, celluloïds, décors, bobines de film, toute une diversité de supports, de techniques, de matières et de couleurs. Ce sont des héros de plastique et de papier, pas des super héros. C’est là que réside leur force et leur charisme, ils touchent à notre affectif. Entrainement, persévérance voire même amitié, effort, victoire… La devise de Jump. Une devise ancienne mais qui incarne bien les émotions que ressentent les visiteurs de l’exposition.
J’aime aussi y voir une modeste alternative culturelle à cette débauche de blockbusters anglo-saxons qui à coups de milliards transforment le divertissement en un guichet unique et s’approprient l’imaginaire de la jeunesse en suivant le modèle de géants alimentaires ou chimiques. Le Japon perd progressivement la place qui lui revient malgré nos 150 ans d’histoire commune. Je considère que je suis issu d’une génération en mesure de pouvoir comprendre et ressentir l’émotion qui animait les pionniers tels qu’Emile Guimet ou Henri Cernuschi. Il faut continuer de faire vivre le Japon dans les yeux de nos enfants ou cette génération sera perdue.
De la qualité de la décoration jusqu’à l’encadrement des pièces originales, tout est très soigné, mais l’expo est aussi pensée pour les groupes scolaires. C’était important cette accessibilité malgré un contenu haut de gamme ?
Oui c’est un travail de réflexion très poussé qui a été mûrement réfléchit avec notre encadreur partenaire pour présenter les œuvres de la meilleure des façons. Avec la gratuité d’accès, ce sont les clefs du succès de cette exposition. Il ne faut pas se voiler la face, en situation de crise les parents doivent rivaliser d’ingéniosité pour offrir à leurs enfants un semblant de culture et le poste budgétaire culture est le premier à être sacrifié. Aujourd’hui, la moindre sortie en famille revient à se saigner de plusieurs dizaines d’euros. Des pans entiers d’enfants et de familles sont privés d’accès à la culture, c’est inadmissible. Je pense aussi aux nombreux étudiants pour lesquels une sortie culturelle devient un arbitrage financier et considère que si l’on veut accéder au savoir il faut tout faire pour les y aider.
Concernant les scolaires, ils disposent de trois ateliers. Le premier passe par une bande dessinée pédagogique que j’ai scénarisée et qui est illustrée par le talentueux Alexandre Chair. La bande dessinée est agrémentée de coloriages pour l’interactivité. Le second atelier porte sur la notion de patrimoine national que représente Osamu TEZUKA avec une séquence d’animation du Roi Léo de quelques images. Enfin, le troisième atelier porte sur la création de papertoys dont le designer est Kekli, un artiste de la scène graffiti.
… à exposer au plus grand nombre
Durant l’inauguration, un public très hétéroclite était présent : des parents avec enfants en bas âge aux personnes âgées et des nostalgiques des dessins animés du « Club Do » jusqu’aux fans calés en animation japonaise. Comment as-tu axé cette exposition et choisi les pièces présentées pour toucher autant de monde ?
L’animation japonaise fédère trois générations et ne doit pas rester cantonnée à une frange de population lors de conventions. Aujourd’hui, 97% de la population est équipé d’un téléviseur, dans le milieu des années quatre vingt ce chiffre était légèrement inférieur mais restait élevé. La télévision est le média de référence de la seconde moitié du vingtième siècle toute classes sociales confondues. C’est parce que cette exposition parle de télévision, de cette petite lucarne magique qui est entrée au cœur des foyers et du quotidien, qu’elle touche autant de monde.
Le choix des œuvres qui compose une collection est personnel, je suis originaire de Lorraine où j’ai grandi au pied des puits de mines et des friches industrielles à l’abandon. J’y ai vu la fin d’une industrie, le chômage, l’âpreté de la vie et en même temps cette dignité et cette chaleur humaine propre aux héros du genre shônen. Sans doute ces valeurs se retrouvent telles dans les choix des documents et objets qui composent cette collection et qui font que l’exposition émerveille le plus grand nombre.
Ces pièces exposées, justement, d’où proviennent-elles ?
C’est une question récurrente, le plus amusant étant le jeune public qui demande si « ce sont vraiment les vrais ?». Environ 90% des documents et objets présentés proviennent du Japon puisque c’est le pays où elles ont été créées, le reste de collections particulières majoritairement Nord Américaines, anecdotiquement quelques œuvres d’Italie et de France.
Concernant l’image que le grand public a des animes au fil des générations, quel constat fais-tu ? Les parents d’aujourd’hui ont-ils un regard différent sur cette culture ?
Cela va au delà d’un regard, on rentre enfin dans une dimension de transmission patrimoniale entre parents et enfants. L’animation japonaise fait parti de la culture de masse mais véhicule toujours une sorte de carte postale de violence et de pornographie. Je suis un bébé zappeur et j’en ai raz le bol de me voir dicter depuis 25 ans un adage du bien et du mal sur l’animation japonaise. Un ouvrage sulfureux a été rédigé à l’époque par une personne publique qui était âgée de 36 ans (NDLR : référence à Ségolène Royal et son ouvrage Le raz-le-bol des bébés zappeurs), et bien j’ai le même âge aujourd’hui et deux enfants. Les enfants d’avant sont devenus des parents et sont parfaitement en mesure d’agir en prescripteurs, la problématique de remplissage de cases de programmes qui pouvait par exemple apparaître avec Ken Le Survivant un mercredi après-midi n’existe plus. Les parents d’aujourd’hui savent parfaitement dissocier kodomo, shônen, shôjo et seinen.
Cette exposition a pour but d’être itinérante. Concrètement, comment cela se traduit-il ?
Les dessins d’animation sont des documents plats au format proche des estampes, cela facilite grandement leur logistique. L’exposition telle qu’elle est présentée dans sa configuration intégrale à Charenton-le-Pont tient dans un véhicule utilitaire.
Tu as déjà des projets en tête pour le futur de cette exposition ?
Bien sur, de multiples projets sont à l’étude et de nombreuses municipalités ont montré leur intérêt ces derniers mois. Je suis actuellement en train de mettre en place le planning du second semestre 2015 tout en attaquant celui de 2016.
J’aimerais qu’un musée national tel que le Musée Guimet montre un intérêt fort. Je m’y rends tout les deux ans pour parler manga et animation japonaise et à chaque fois on me dit qu’il est encore trop tôt. Peut-être que le récent changement de direction permettra au manga et à l’animation japonaise d’entrer enfin dans ses salles. Un autre souhait serait de projeter la bobine originale de Hayao MIYAZAKI de la collection sur un bâtiment historique classé, j’ai proposé à plusieurs reprises de l’intégrer à la Nuit Blanche à Paris mais pour l’instant cette demande n’a pas pu aboutir.
L’animation japonaise souffre encore d’un manque de reconnaissance et de clichés, mais les mentalités évoluent à mesure que les postes de prescripteurs et de décideurs sont occupés par des personnes ayant grandi devant un téléviseur. J’ai donc bon espoir de continuer à communiquer sur cette culture et à voir se concrétiser de beaux projets dans les années à venir…
L’exposition est disponible jusqu’au 27 juin 2015 de 13H à 18H du mardi au samedi à l’espace Art & Liberté du centre commercial « La Coupole » à Charenton-le-Pont (métro Liberté ligne 8). Plus d’informations sur la page Facebook de l’évènement.
Vous pouvez également avoir un aperçu du contenu via notre album photo, faites lors de l’inauguration.
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