[Itw manga] Yûki Kodama : un mangaka sérieux ou facétieux ?
Il était l’invité shônen du Salon du Livre de Paris 2015 : Yûki Kodama, l’auteur de Blood Lad aux éditions Kurokawa. Voici un jeune mangaka qui, comme toute une génération de japanophiles français, a été biberonné à Dragon Ball et aux grands classiques du magazine Shônen Jump, et qui fait partie d’un nouveau vivier d’auteurs qui a encore beaucoup à nous offrir. De plus, cela tombe bien, l’homme est entre deux séries : son premier succès Blood Lad s’approche de la fin et il est venu nous présenter une nouvelle série pour la France, prévue pour septembre : Hamatora.Il ne nous en fallait pas plus pour aller lui poser nos questions.
Rencontre avec un auteur très instinctif et spontané dans son travail, qui n’aime pas se compliquer la vie… mais qui s’avère bien plus réfléchi qu’il n’y parait.
Génération Dragon Ball…
« Le premier manga que j’ai lu c’était Dragon Ball. »
Nous sommes samedi en fin de journée au Salon du Livre, Yûki Kodama ne compte plus les dédicaces qu’il vient d’enchaîner – « ça se passe à toute vitesse, c’est dommage qu’il y ait la barrière de la langue » nous confie-t-il – mais c’est avec le sourire et en savourant quelques macarons, un cadeau de fan, qu’il nous accueille en salle d’interview.
A l’image de toute la « génération Dorothée », Yûki Kodama a découvert les animes avant les mangas : « Je n’étais pas trop un lecteur de manga étant enfant, je ne m’y connaissais pas vraiment. Quand j’étais petit je regardais surtout des dessins animés et un jour, alors que je venais de changer d’école, je discute avec l’un de mes nouveaux camarades de l’anime de Dragon Ball… Et il connaissait la suite !
« – Mais comment ça se fait que tu connaisses la suite ?!
– Ben parce que chez moi j’ai les livres !
– Les livres ? C’est quoi ? »
Je suis donc allé chez lui et j’ai découvert que l’anime était adapté des mangas. Je suis donc allé les acheter et c’est mon premier souvenir de manga. »
Dragon Ball est le premier d’une longue série : on a pu croiser des dessins de Ranma ½ sur son Tumblr il y a peu, et il suffit de lire Blood Lad pour retrouver un nombre conséquent de références et d’influences, comme celle de Yûyû Hakusho pour ne citer qu’elle. Comme l’auteur a cité Dragon Ball nous en profitons pour revenir sur le tome 3 de Blood Lad, avec le fameux Kamehameha de Dragon Ball que tente de lancer le héros de l’histoire, Staz. Comment et pourquoi est-il arrivé ?
Kodama nous explique et nous parle de souvenirs qui vous seront, sans doute, familiers : « C’est un hommage, bien sûr. Tout comme Staz je suis fan de tout cet univers … On a tous voulu faire un Kamehameha un jour, même pour de faux, donc Staz est un peu comme nous et j’avais envie de lui en donner l’occasion. Donc ça me fait plaisir et en même temps ça colle complètement au personnage et son univers décalé. »
En conférence, le lendemain, le mangaka expliquera d’ailleurs que « c’est ainsi que je créé des gags, en intégrant des éléments d’autres séries. Mais je fais attention à ne jamais me moquer de ces œuvres, c’est ça la limite. »
Au-delà de l’hommage, nous lui demandons si la série d’Akira Toriyama, qui a marqué une génération de lecteurs, a aussi apporté quelque chose aux mangakas. La question semble difficile, mais une réponse finit par émerger : « Je pense que Dragon Ball a démontré pas mal de choses sur l’accessibilité d’un manga au grand public. Je pense qu’un manga réussi doit pouvoir être lu par tout le monde, avec une mise en page claire, un propos qui est simple, qui se lit facilement. »
De l’art d’une bonne baston…
Qui dit shônen dit forcément combat. Hors ceux de Blood Lad ont fini par se différencier du schéma classique au fil des tomes. Au début de la série, l’un des premiers duels – celui avec Wolf – est assez long, avec de la tension, des rebondissements, etc. Mais, par la suite, les autres affrontements sont nettement plus courts, s’interrompant parfois très rapidement. Nous demandons donc à monsieur Kodama le pourquoi du comment…
Il revient sur le principe de fonctionnement de ses duels et les conséquences pour Blood Lad : « Le déroulement de tous les combats part d’une base commune dans cette histoire : le héros ne veut pas se battre sérieusement. J’ai toujours voulu lui donner ce coté décalé : affronter les autres ce n’est pas son truc, même s’il est très fort.
A partir de là je dessine mes combats avec ce déséquilibre flagrant. Donc j’ai d’un coté un protagoniste que je dessine avec une attitude sérieuse, qui voit des enjeux dans ce duel et qui veut se battre… et de l’autre j’ai un héros qui arrive la plupart du temps en retard, qui casse complètement le coté dramatique du combat et s’en moque de toute façon. C’est ce décalage qui guide le tout, et le reste s’écrit de lui-même j’ai envie de dire. »
Nous lui demandons donc, finalement, ce qui fait un bon combat et c’est plus une réponse de lecteur que d’auteur qu’il nous propose : « Je pense que l’on voit des combats réussis dans les mangas qui savent gérer à la fois l’unité de temps et la dynamique des personnages ou des coups. Des effets de vitesses réussis et un affrontement qui bouge vite et bien sont le genre de choses que j’apprécie en tout cas. »
Créations spontanées…
Comme on a pu le voir sur la construction des combats, Yûki Kodama aime les contre-pieds, en contournant les codes et les situations attendues. C’est la même chose pour les personnages, comme il l’explique en conférence : « Pour les rendre originaux je leur fais faire des choses qu’ils ne devraient pas, j’essaie de leur donner des défauts un peu idiots pour les rendre intéressants. Je tente de réfléchir à la réaction la plus inattendue qu’ils peuvent avoir et c’est celle que je choisis, pour les rendre les plus originaux possible. »
Pour prendre un cas concret nous lui demandons comment est né Staz et il dévoile toute la réflexion en amont : « Tout d’abord j’ai pensé à un vampire car tout le monde les connait et il est plus facile d’appréhender un manga si on peut facilement identifier ce qu’est le personnage principal. Ensuite ce que je voulais, c’est en faire un otaku.
Vous devez certainement le savoir mais, au Japon, les gens apprécient énormément que les étrangers aiment notre culture y compris les mangas, les jeux vidéo et les dessins animés… Et je me suis dit : « mais un vampire, dans son monde des enfers, c’est un étranger pour nous ! » Donc j’ai pensé que les Japonais, qui sont attendris par les étrangers qui sont fans de la culture nippone, s’attacheront plus facilement à Staz.
C’est comme cela qu’est venu le concept du vampire otaku. »
Si Kodama est donc un mangaka réfléchi, il n’aime pas pour autant se compliquer la vie. Démonstration en 3 étapes :
Preuve numéro 1 : en conférence, lorsqu’on lui demande s’il a fait des recherches sur les monstres qui pullulent dans Blood Lad, il est assez clair : « Non, justement je ne voulais pas qu’il y ait trop de contraintes sur les monstres utilisés. J’ai préféré rester sur les bases que nous connaissons tous, l’imagination et les croyances populaires, plutôt que de créer de nouvelles règles en cherchant des informations particulières sur les monstres que j’ai utilisé. »
Preuve numéro 2 : lorsqu’un éditeur lui donne un conseil, il le suit avec zèle. Trop peut-être : « Dans mon précédent manga, j’avais fait des personnages féminins aux formes raisonnables en ce qui concerne la poitrine mais on m’a dit : « fais plus gros voyons ! » et du coup maintenant c’est ce que je fais… Mais c’est vrai que les proportions c’est devenu n’importe quoi ! (Rires) »
Preuve numéro 3 : elle parle d’elle-même… « En fait je vais vous dire un truc : j’adore créer des personnages, c’est ce que je préfère. Si je pouvais faire que ça et me passer de l’histoire ce sera parfait ! (Rires) »
En fait, Yûki Kodama aime suivre son instinct. L’arrivée de ses personnages dans la trame principale, par exemple, peut s’avérer inattendue, surtout pour son tantô (ou tantôsha, son directeur éditorial). Après chaque réunion hebdomadaire avec son éditeur, notre mangaka retourne au travail chez lui avec un scénario relativement bien posé. Mais il revient parfois, la semaine suivante, avec un petit quelque chose en plus : un nouveau personnage, absolument pas planifié ! « quand les personnages se mettent en mouvement l’histoire avance et lorsque j’arrive à certains passages, je me dis parfois « ah si tel personnage arrivait, ce serait vraiment sympa ou ce serait marrant ». Et voilà, je le créé. C’est comme ça qu’ils naissent, tout simplement. »
Mais Kodama n’est pas, pour autant un auteur ingérable, bien au contraire. En entretien, nous demandons à son tantô ce qui différencie cet auteur des autres et le tantô évoque alors le sérieux de l’auteur : « Je dirais déjà qu’il est sérieux dans son travail, très professionnel et qu’il n’est jamais en retard dans ses dates de rendus… Et ça c’est très important. (Rires)
De plus il est assez gentleman, il respecte toujours les avis des autres et les différents processus de fabrication du manga, c’est vraiment quelqu’un avec qui il est facile de travailler. Pour tout vous avouer, lorsque l’on a des rendez-vous éditoriaux, qui durent 3-4 heures, nous allons parler boulot 10 minutes, tout au plus, je n’ai pas besoin de lui donner vraiment de conseils. (Rires)
Après sur son dessin… Quand je l’ai repéré je me suis dit « ça c’est quelqu’un qui se fait plaisir quand il dessine » et je pense que ça aussi c’est primordial. »
Spontané ou réfléchi ? Tout dépend de la situation finalement, comme l’auteur le prouve lorsque l’on évoque la fin prochaine de Blood Lad, qui se finira en 16 tomes : « Quand j’ai commencé Blood Lad je n’avais rien du tout en tête, je n’avais aucune idée de ce qu’il allait se passer et comment cela allait se passer. C’est dernièrement que j’ai senti qu’il était temps de conclure et que j’ai réfléchi à tout ça : je sais désormais comment l’histoire va se finir.»
Même si rien n’a été planifié, donc, Kodama montre qu’il sait fait la part des choses : « C’est le bon moment. C’est un manga qui n’aurait rien à gagner à être rallongé artificiellement, car sur un plan personnel j’ai raconté tout ce que j’avais à dire avec Blood Lad et j’ai envie de me lancer de nouveaux défis, de raconter de nouvelles choses. »
Epilogue : l’après Blood Lad
Même si la fin de Blood Lad n’est pas pour tout de suite en France (en 2017 sans doute), Kurokawa est déjà satisfait du parcours de la série, comme nous le dit Grégoire Hellot, son directeur éditorial : « c’est un excellent manga qui s’est très très bien vendu, avec beaucoup de bouche à oreille. Contrairement à Hamatora qui est déjà fini au Japon et dont l’anime existe déjà, nous avons acheté et publié Blood Lad très tôt car le directeur éditorial du magazine de la série est un ami en qui j’avais une totale confiance en ses conseils (il est malheureusement décédé il y a quelques semaines). Quand il m’a dit qu’il tenait quelque chose de vraiment bien pour la France j’ai signé tout de suite.
Et effectivement c’était un excellent manga qui a marché dès le départ alors qu’il n’y avait pas d’autres supports pour le faire connaître. D’une part parce que les codes de ce manga parlent à tout le monde, d’autre part parce que graphiquement c’est assez extraordinaire : y a plein de gens qui m’ont dit « tiens y a le manga de Gorillaz qui sort ! ». Le bouche à oreille a été vraiment puissant : à chaque nouvelle sortie les gens en parlaient autour d’eux et nous constations que les ventes du tome un remontait… Le manga jouit d’une très bonne réputation dans la presse comme sur le net en général.»
En attendant que le manga s’achève, la dernière série en date de Kodama nous arrive donc en septembre… Et c’est le mangaka lui même qui nous en explique la genèse : « D’abord il faut savoir qu’Hamatora n’est pas ma création. A l’époque où Blood Lad allait devenir un dessin animé (en 2013 NDLR), j’ai été contacté par un producteur qui m’a tendue cinq feuilles et qui m’a dit : « voilà quelques personnages que j’ai créé et j’aimerais faire une série autour de ça, est-ce que tu pourrais me faire les dessins et définir le caractère de ces personnages qu’on fasse un truc autour ? »
A partir des quelques descriptions qu’il m’avait donné j’ai donc dessiné des personnages, créé leur personnalité, leurs liens entre eux et je lui ai rendu ça. Avec cette base, un scénariste (Yukinori Kitajima, NDLR) est venu construire tout un univers et ils ont en ont fait un anime. Et pendant la création de l’anime ils ont décidé que cette série serait un produit multimédia avec anime, manga, jeu vidéo, etc.
Ce n’est donc pas moi qui m’occupe du scénario, je suis le chara-designer et le dessinateur sur cette série, même si j’ai pu changer quelques dialogues, rajouter des petites scènes qui me faisaient rire. Donc ne vous inquiétez pas vous retrouverez ma touche personnelle aussi dans le récit.»
Rendez-vous en septembre donc, pour vérifier ça par nous-même !
Pour en savoir plus sur Yûki Kodama, vous pouvez le suivre sur son Tumblr ou sur Twitter, et pour en savoir plus sur Blood Lad ou Hamatora, direction le site ou le blog des éditions Kurokawa.
Retrouvez également nos photos du Salon du Livre de Paris 2015, revivez le salon avec la vidéo ci-dessous, et partez à la découverte d’auteurs en lisant nos interviews du salon 2015 !
Remerciements à Yûki Kodama et à son tantô pour leur temps et leurs réponses, ainsi qu’à toute l’équipe Kurokawa et au staff du Salon du Livre pour la mise en place de cette interview et de cette conférence. Propos de la conférence recueillis par Manga.Tv et photo réalisés par Natacha Parent © journaldujapon.com – Tous droits réservés.
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