Kamikazes : des livres pour comprendre
Phénomène marquant de la deuxième Guerre Mondiale, plein de légendes, de clichés mais surtout d’incompréhensions : les kamikazes. Depuis plusieurs décennies, de nombreux auteurs – nippons ou non – ont tenté de faire le point sur le sujet pour comprendre, contextualiser ou simplement pour témoigner d’une cruelle destinée qui hante encore tout une génération. Journal du Japon vous propose aujourd’hui une sélection d’ouvrage, du livre jusqu’au manga, pour faire le tour du sujet sous sous différents angles.
Kamikazes : les faits
Qui sont les kamikazes, comment le Japon en est-il arrivé à sacrifier de jeunes hommes à partir de l’automne 1944 ? Grâce au travail brillant de deux historiens du Japon, Pierre-François Souyri et Constance Sereni, qui co-signent le livre Kamikazes aux éditions Flammarion (extrait ci-dessous), le lecteur aura une vision la plus complète possible de ce choix stratégique qui a marqué les esprits et fait entrer le mot « kamikaze » dans le vocabulaire mondial.
Le livre est très documenté (témoignages, ouvrages d’historiens occidentaux et japonais) et permet d’aborder tous les aspects : origines, tactique, endoctrinement, portraits des kamikazes. Il est difficile de faire la part des choses entre propagande, lettres testaments contrôlées par la censure militaire et chiffres controversés sur l’efficacité des attaques. Le travail des historiens permet néanmoins de s’approcher au plus près des faits et des personnes en montrant la complexité de ce phénomène, replacé dans son contexte historique difficile.
Tactique à la fin de la guerre
Les kamikazes interviennent à partir de l’automne 1944 : la situation se dégrade, de nombreux soldats sont morts et le vice-amiral Ônishi « invente » la tactique kamikaze : lancer un avion avec son pilote contre une cible ennemie. Il y avait eu des cas « accidentels » et, au regard de la situation désespérée, cette tactique semblait pouvoir permettre de détruire ou abîmer une partie de la flotte adverse.
On a connu, dès la guerre russo-japonaise de 1904-1905, les premiers « sacrifices volontaires » : des soldats japonais, véritables « balles humaines », se jetant sur les troupes ennemies. Malgré un faible taux de réussite, cette tactique sera utilisée pendant des mois. À la fin, les pilotes seront formés en moins d’une semaine. Peu qualifiés, ils oublieront parfois d’armer leur bombe avant l’impact.
D’autres versions de bombes humaines seront développées pendant la guerre : les Ôka (sortes de mini-fusées avec pilote et bombe portés puis largués par des avions vers des cibles ennemies), les Kaiten (torpilles humaines : une torpille, un pilote dans une petite cabine souvent pas très étanche, lancés contre les navires ennemis), les Shinyô et les Maru-re (bateaux-bombes avec pilote faits de contreplaqué et d’explosifs). Le succès sera rarement au rendez-vous et de nombreux soldats mourront pendant l’entraînement dans ces engins peu fiables.
Au total, 2514 soldats dans la marine et 1329 soldats dans l’armée de terre seront morts dans ces « forces spéciales », le plus jeune ayant 17 ans, la majorité ayant une vingtaine d’années.
L’effet sur l’ennemi sera limité en terme de pertes, mais important en terme de psychose sur les soldats américains, dès qu’ils voyaient ou entendaient un avion japonais.
Un effet moins évident est expliqué par les auteurs :
« Si les actions aboutissant à la mort des soldats ou des pilotes par « choc corporel » imaginées par l’état-major japonais ont eu une efficacité militaire limitée sur le champ de bataille, elles ont néanmoins joué un rôle historique en légitimant par la suite l’usage inouï du feu nucléaire contre les populations civiles décrites comme fanatiques, à l’image des soldats, puis permis inversement de justifier aux yeux des autorités politiques américaines le maintien d’une monarchie pourtant compromise jusqu’au bout dans la poursuite ultime et insensée d’une guerre perdue depuis longtemps. »
Endoctrinement, terreur, idéologie
Une partie importante du livre est consacrée « au bain idéologique » : comment a-t-on pu en arriver là, réussir à convaincre des milliers de jeunes gens à se tuer volontairement pour la patrie ?
Le contexte est brossé depuis la fin du XIXe siècle avec la naissance de l’État-nation, la répression policière, l’endoctrinement à l’école. Toute cette culture des symboles, cette « poétique militariste » (les soldats comme des pétales de cerisiers, qui vont à la mort alors qu’ils sont en pleine floraison), cette philosophie (la défaite n’est rien, seule la mort est valorisée) sont décryptées pour tenter de comprendre l’incompréhensible.
Un portrait de ces jeunes kamikazes apparaît : étudiants, la vingtaine, souvent de brillants littéraires (les scientifiques, élèves ingénieurs, médecins, étaient mis de côté pour participer d’une autre manière à l’effort de guerre), pas fanatiques mais subissant la pression du groupe, des supérieurs (qui ont pouvoir de vie ou de mort sur les recrues, qui sélectionnaient ceux qui partaient), cherchant souvent un sens à cette mort toute proche (beaucoup de testaments ont été retrouvés, parfois très stéréotypés car contrôlés par la censure, parfois plus libres lorsqu’ils avaient pu échapper à cette dernière).
Les kamikazes furent aussi un formidable outil de propagande pour l’État japonais : photographies et textes ampoulés dans les journaux de propagande, films « d’information » dans les cinémas, louange de ces citoyens ordinaires qui deviennent des dieux.
À la fin de la guerre, Ônishi se suicide. Les anciens soldats sont déboussolés, la population sidérée. Le pays est détruit, un effondrement idéologique et une vérité complexe sur le phénomène des kamikazes sont dévoilés : « ces jeunes hommes qui, broyés par le système, furent contraints à combattre en se jetant sur l’ennemi, se donnant ainsi la mort, fauchés dans leur pleine jeunesse ».
Un livre très dense, très complet, très instructif, qui laisse un goût amer …
Kamikazes et manga : l’héroïsme inutile ?
Si de nombreux mangas sur la Seconde Guerre Mondiale ont été publiés dans l’archipel nippon, ils deviennent beaucoup moins nombreux lorsqu’ils faut se pencher sur le sujet des kamikazes, lui préférant bien souvent les chocs d’Hiroshima et Nagasaki (Gen d’Hiroshima, Dans un recoin du monde), ou se construisant à partir de ce trauma nucléaire pour enfanter des icônes cinématographique comme Godzilla. Mais les BD nippones évoquant – ou se centrant – sur les les kamikazes existent bien, et quelques unes ont même eu le droit à une publication française.
La première est signée par Tsukasa Hôjo (City Hunter, Familly Compo), dans le recueil de nouvelles La mélodie de Jenny, publié en France une première fois en 98 puis réédité aux éditions Ki-oon en 2013. Cet ouvrage, qui évoque les nombreux gâchis humains de cette époque, se penche dès sa première nouvelle sur les kamikazes. Aux confins du ciel – dans la tourmente de la guerre, c’est son nom, débute à l’automne 1943, à une époque où le Japon commence à perdre du terrain et se dirige inexorablement vers la défaite. Le Japon a débuté le conflit par une série quasi-continue de victoires et l’entrée à l’armée de tous jeunes pilotes faisaient aisément la fierté des familles. Mais l’histoire se centre sur les désillusions que vont connaître, par la suite, nos recrues et leur entourage : pas de gloire dans les airs ni de vie après la guerre, juste une mort inévitable et des vies brisées… pour rien bien souvent.
L’engrenage qui mène à cette absurdité est détaillé beaucoup plus longuement dans Zero pour l’éternité, récit en 5 tomes adapté d’un roman de Naoki Hyakuta avec Souchi Sumoto au dessin est publié aux éditions Delcourt. A travers l’enquête d’un jeune homme de notre époque sur les traces de son grand-père, mort mystérieusement pendant le conflit, on découvre le destin d’un pilote de chasse aux commandes du mythique chasseur de la flotte nippone : le Zéro. Ce chasseur de nouvelle génération et des pilotes très bien entraînés vont permettre au pays d’enchaîner les victoires : Pearl Harbor, la conquête des Philippines, de la Malaise et de Singapour. Mais, à partir du printemps 1942, le Japon connait ces premières défaites sur le front australien. Les pilotes entraînés disparaissent les uns après les autres, la force de production armée des États-Unis déborde le Japon, le Zéro connait ses premiers concurrents dans les airs : on comprend que le Japon a finalement perdu la guerre bien avant la fin du conflit, mais la fierté nationale et l’aveuglement des élites plongent les troupes nippones dans une descente aux Enfers. Notre anti-héros ne cesse de se battre en proclamant haut et fort que seule la vie compte, et ose se battre malgré l’opprobre et le déshonneur. Un combat qui, on s’en doute, atteindra son paroxysme avec l’arrivée des kamikazes, que notre pilote expérimenté sera chargé de guider les uns après les autres, pour les envoyer à la mort.
Enfin, dans L’île des téméraires de Syuho SATO (en cours au Japon avec 5 tomes dont 3 en France chez Kana), on se concentre sur le pire : tout commence en 1944 dans ce Japon qui enchaîne les défaites, et qui bascule pourtant dans l’obsession de la victoire. Chaque décision, plus folle que la précédente, empêche le retour en arrière. Ce titre quitte les kamikazes aériens, connus de tous, pour mettre en lumière une autre tentative désespérée : celle du kaiten, cette torpille-suicide à laquelle on a intégré un poste de pilotage minimal, une bombe humaine encore très complexe à emmener à bon port. Contrairement aux avions des kamikazes qui correspondait à des versions épurées de modèles déjà rodés et connus, le kaiten est une invention dans l’urgence, gorgé d’approximation et de défauts.
Malheureusement, sous couvert de quelques réussites devenus des symboles héroïques, le fantasme du miracle devient une certitude, et la certitude devient propagande. Plus dure est donc la chute. L’île des téméraires évoque le fossé qui se creuse, à l’époque, entre les hauts gradés et les soldats, ces derniers comprenant au fil des semaines l’ampleur des défaites, puis la réalité de leur sacrifice : il a de bonnes chances d’être fait en vain. Seulement, face au code de l’honneur et une désertion impossible, face à leur patrie qui fait d’eux de la chair à canon, ils devront accepter de mourir. Même si c’est pour rien. Face à ce destin funeste, les « héros de la Nation » se serrent les coudes et développent entre eux une intense solidarité – une fraternité même – qui leur permet de surmonter la peur, de s’entraider pour que leur torpille fasse mouche. Ces jeunes hommes ne pourront pas donner de sens à leur vie, faute d’avenir, mais ils refusent que leur mort en soit elle aussi privée… Un bien étrange combat contre le sort.
Soixante dix ans plus tard, les cris des kamikazes continuent de retentir dans les esprits nippons et le sujet n’est désormais plus le tabou qu’il a été – d’autant qu’il résonne avec la folie bien actuelle d’autres kamikazes partout dans le monde. Pour autant le Japon ne donne pas de leçon ou de conseils, il n’en est pas encore là de toute façon, mais il témoigne de l’inhumanité qu’a été la sienne et tente de comprendre les raisons de cet effroyable gâchis.
10 réponses
[…] hérité du Code du Samouraï. Évidemment, on pourrait également faire un lien historique avec les Kamikaze, qui se suicidaient (parfois de leur plein gré mais également de force), pour aider la patrie […]