Why Don’t You Play In Hell, nouveau coup de maître pour Sono Sion
Présenté dans de nombreux festivals où il a reçu un accueil positif, Why Don’t You Play In Hell ? de Sono SION débarque directement en DVD chez nous, dans une version malheureusement amputée d’une dizaine de minutes. Un choix décevant, qui nous incite à vous recommander le montage original, tant le dernier long métrage du cinéaste de Himizu et Love Exposure aurait mérité une sortie salles digne de ce nom. Ce film s’impose en effet comme l’une des plus belles réussites de son auteur. Explications.
Deux intrigues pour une histoire commune
Why Don’t You Play In Hell ? narre les péripéties de deux clans Yakuzas. L’un dirigé par Muto, interprété Jun Furikama (À toute épreuve, Kill Bill), qui pour faire plaisir à Shizue (Tomochika), sa femme emprisonnée, va faire de sa fille Mitsuko (Fumi Mikaido, déjà présente dans Himizu) une star de cinéma. Pendant ce temps, le clan adverse dirigé par Ikegami (Shin’ichi Tsutsumi) souhaite se venger de Muto en capturant cette dernière. En parallèle à cet affrontement, le parcours d’une équipe de cinéastes amateurs, les Fuck Bombers, dirigé par Hirata (Hiroki Hasegawa) souhaite réaliser un chef d’oeuvre qui leur permettra de rester dans l’histoire.
Sono SION, également scénariste, construit deux intrigues parallèles, la rivalité des Yakuzas et le quotidien des apprentis cinéastes, qu’il va relier au détour de deux scènes clés. La première voit Mitsuko encore enfant, star d’une publicité pour dentifrices, se retrouver face à Ikegami, unique survivant d’un carnage. La seconde concerne les Fuck Bombers qui, de manière insouciante, filme le chef Yakuza grièvement blessé en train de fuir sa poursuivante. Une séquence dramatique, l’autre humoristique qui permettent de relier les différents enjeux de l’intrigue, à travers les relations qu’entretiennent les personnages. En quelques minutes le cinéaste pose efficacement son univers et sa cohérence interne, à travers la caractérisation des personnages. Ces derniers vont permettre aux spectateurs de mieux adhérer aux ruptures de tons typiques du cinéaste de Strange Circus.
À l’instar de ses précédents longs métrages SION construit une intrigue qui sort des sentiers battus, grâce à l’évolution interne de ses protagonistes. L’histoire se poursuit dix ans plus tard, et voit nôtre équipe de cinéastes, bientôt la trentaine, toujours en train d’espérer tourner un chef d’oeuvre. Au détour d’une scène, le cinéaste crée un décalage mélancolique, qui voit l’euphorie passé de la jeunesse remplacée par le morne quotidien du présent.
Aidé du du chef opérateur Hideo Yamamoto (ancien directeur photo de Takashi Miike), Sion filme le même endroit, une salle de jeux, en utilisant un travelling latéral similaire sur deux époques différentes. La chaude lumière estivale et la présence de nombreux jeunes a laissé place à une salle déserte et peu éclairée. Un décalage que l’on retrouve sur un ton nettement plus joyeux, lorsque Koji Hashimoto (Gen Hoshino) se rends compte que Mitsuko, qui lui demande d’être sa petite amie le temps d’une journée, n’est autre que la fille autrefois aperçue à la télévision. Why Don’t You Play in Hell ? fonctionne régulièrement sur ses scènes décalées, passant de l’humour le plus outrancier à la mélancolie quasi existentielle au sein d’un même plan. Des ruptures de tons, dictés par le parcours des protagonistes, qui évitent les pièges de la distanciation émotionnelle et des twists, censés dynamiter une intrigue de base mal écrite. Sion garde en tête les différents tenants et aboutissants de son histoire.
Une richesse visuelle cohérente.
Le tout est porté par d’excellents interprètes qui s’en donnent à cœur joie, y compris pour les seconds rôles. Bien qu’inscrit dans le genre du Yakuza Eiga, le film évoque la comédie burlesque, la chronique romantique, le drame familial glauque et le Star System Japonais. La mise en scène traduit différentes influences, aussi bien japonaises qu’occidentales. De la caméra portée nerveuse de Kinji Fukasaku , auquel le cinéaste rend hommage via le nom du commissariat, à l’esthétique pop baroque de Seijun Suzuki soulignée par la direction artistique Hisao Inagani, en passant par le Kawaii horrifique de Nobuhiko Ôbayashi. Les travellings agressifs de Martin Scorsese, les gros plans expressionnistes de Sam Raimi, le pastiche vidéo de la saga Baby Cart, la photo de Mitsuko en James Bond Girl, la tenue jaune du Jeu de la mort, la bande originale pastichant Kill Bill et Les évadés… . Tous ces éléments issus de différentes cinématographies ne tombent jamais dans le référentiel complice, car adapté au langage visuel du cinéaste de Coldfish : transitions par balayages, accélérés, freeze sur l’image, grande profondeur de champ y compris lors des scènes d’intérieurs, cadre frontal, contre plongée iconique, déformation des objectifs, utilisation symbolique de la couleur rouge, sound design omniprésent … . Le tout reste personnel et cohérent vis à vis de son sujet, ce qui permet à Sono Sion de livrer de nombreuses images marquantes. La glissade de Mitsuko sur une marre de sang dans son salon, le baiser avec des morceaux de verres, Hirata imaginant la « préproduction » de ses rêves sur une plage en un plan séquence, l’hallucination d’Hashimoto… . Le tout sur un rythme soutenu qui ne faiblit jamais, qui doit beaucoup au monteur Jun’ichi Itô.
Le film se montre particulièrement admirable dans la manière qu’a le cinéaste à injecter humblement ses thématiques habituelles : les liens familiaux complexes, l’évasion, l’amour libérateur, la satire sociale, l’humour surréaliste et la réflexion autour de la pop culture. À l’instar des anti-héros d’Himizu, Love Exposure, Suicide Club ou The Land of Hope, les protagonistes de Why Don’t You Play in Hell ?, qu’il s’agisse de Nutshiko ou des Fuck Bombers, rêvent tous d’échapper à leurs conditions sociales ou familiales afin de pouvoir réaliser vivre leurs rêves. Une donnée qui fait écho au propre passif du cinéaste, qui avait fugué durant son adolescence afin de se rendre à Tokyo. Une connexion thématique qui se retrouve jusque dans certaines scènes. Comme cette décapitation à l’humour grand guignolesque similaire à celle que l’on pouvait trouver dans le final de Exte : Hair Extensions, ou la course finale « cathartique » de Hirata faisant écho à celle de Yuichi Sumida dans le final d’Himizu.
Le tout donne lieu à une expérience cinématographique particulièrement jouissive, proche d’un manga en live , qui trouve son apothéose à travers le climax, qui voit nôtre équipe de tournage mettre en scène le carnage final opposant les deux clans à la demande de Muto. Un final qui, sous couvert de massacre chorégraphique propre au genre, montre une conclusion particulièrement désespérée. Le metaxtextuel ne vient jamais prendre le pas sur les émotions tragiques des personnages, tous venus effectuer à travers leurs combats à mort un ultime baroud d’honneur. Malgré son pessimisme le final n’en demeure pas moins lucide et très humain, à l’instar de son cinéaste.
Véritable expérience cinématographique et sensorielle, aussi jouissive qu’inattendue, Why Don’t You Play In Hell ?, constitue une œuvre phare dans la carrière de Sono Sion. Le cinéaste ayant réinjecté toutes ses thématiques, sa rage et son style singulier au sein d’une histoire respectueuse de ses modèles. Elle fait preuve d’un véritable amour envers l’univers et les personnages dépeints aussi décalés que profondément attachants et humains. Une démarche humble et sincère au service d’une véritable déclaration d’amour envers le cinéma et la pop culture, qui promet un beau renouvellement dans la carrière du cinéaste. Un tour de force doublé d’un véritable chef d’œuvre.
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