Joyeux anniversaire, Kenzaburô Ôe !
En janvier 2015, Kenzaburô Ôe fête ses 80 ans. C’est pour Journal du Japon l’occasion de vous présenter ce petit homme aux lunettes rondes et au sourire enfantin, dont la plume sensible parle de la violence de la guerre, des irradiés d’Hiroshima, de la difficulté et du bonheur de vivre avec un enfant handicapé, de la noirceur de l’âme humaine dont peut jaillir cependant une très belle lumière.
Pour comprendre la vie et l’œuvre de l’écrivain
Ce livre d’entretiens avec Ozaki Mariko aux éditions Philippe Picquier est une véritable mine d’informations pour ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir la vie de l’écrivain. À travers une succession d’entretiens très riches, l’écrivain nous livre sa vie, ses doutes, ses angoisses, ses joies, ses souvenirs, comme à un ami avec qui il partagerait le thé dans la chaleur du kotatsu. C’est également un siècle de l’histoire et de la littérature japonaise que nous traversons.
Cela commence avec l’enfance marquée par le suicide de son père, les récits de sa grand-mère, la forêt de son village natal si présente dans ses livres.
Son premier poème, écrit à l’âge de 10 ans, montre toute la sensibilité de son regard au monde :
« Sur les gouttes de pluie
le paysage se reflète
Dans les gouttes
un autre monde se trouve »
Cela finit par la vieillesse dont il veut profiter pour regarder en arrière et exprimer ce qu’est le vrai.
« Écrire un roman, c’est aussi un moyen de reconstruire sa vision de la vie et de la mort, de continuer à vivre par le biais du roman ».
Lire ces entretiens, c’est cheminer à côté de l’écrivain dans ses souvenirs personnels et littéraires, mais c’est surtout sentir l’interpénétration permanente entre littérature et vie quotidienne, entre poésie, musique et écriture.
Il a commencé à écrire très tôt mais, d’après lui, pas toujours bien : « Je suis un écrivain attardé ». Il revendique le perfectionnement de son écriture et s’attache à son « late work » (travail tardif).
Le jeune écrivain, qui a le sentiment d’être exilé depuis son départ de la forêt de Shikoku, veut saisir la réalité dans ce qu’elle a de dur (l’homme est destructeur), tout en y mettant une certaine dose de poésie (cet admirateur de TS Eliot aime les citations pour lancer ses romans). Kazuo Watanabe (humaniste, traducteur en japonais de Rabelais et Erasme, spécialiste de la pensée de la Renaisseance, connu pour avoir institué une pensée de tolérance pour la génération nippone meurtrie de l’après-guerre) sera son professeur, son mentor, il le guidera dans les œuvres des écrivains français. Ôe se passionnera pour les écrivains occidentaux : Rabelais, Camus et Sartre pour son mémoire de fin d’études, mais aussi Céline, Dante, Blake.
À 23 ans, il recevra le prestigieux prix Akutagawa pour Gibier d’élevage, histoire d’un aviateur américain capturé par des villageois dans la montagne (cet aviateur est noir, ce qui fera de lui une bête dont l’enfant narrateur voudra s’occuper). Les enfants dans la guerre, les villages dans la montagne sont des thèmes qui reviendront dans d’autres romans (Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants !).
Dans sa vie personnelle, l’événement marquant est la naissance de son fils Hikari, avec un handicap sévère. Une affaire personnelle, roman autobiographique qui traite de ce sujet, lui permet d’inclure la réalité dans le roman, mais aussi de se servir de ce roman comme soutien dans sa propre vie en retour. Hikari deviendra un brillant compositeur de musique… La musique tient une place importante dans la vie de l’écrivain et le compositeur Takemitsu Tôru sera un maître de vie pour lui.
Plusieurs autres romans seront consacrés à son fils, à la famille fragile de l’enfant handicapé, au regard de la société sur ceux qui ne sont pas comme les autres (Dites nous comment survivre à notre folie, Une existence tranquille).
80 ans, prix Nobel, écrivain humaniste engagé
C’est à la naissance d’Hikari qu’il part pour Hiroshima et rencontre Shigetô Fumio, directeur de l’hôpital des irradiés, qui lui apprendra à avoir une attitude positive face à la maladie, au handicap. Les Notes d’Hiroshima qu’il écrit alors sont un témoignage très riche et bouleversant sur les irradiés, leur sort, leur vécu. Ce voyage le marquera profondément et fera de cet écrivain l’une des plus puissantes voix du Japon contre le nucléaire, y compris après la catastrophe de Fukushima. Cette catastrophe le poussera d’ailleurs à écrire à nouveau alors qu’il avait l’impression d’être arrivé au bout de l’écrit, et il viendra lancer un appel anti-nucléaire au Salon du Livre de Paris en 2012 (photo ci-contre, © Hino Hato)…
Le prix Nobel de littérature consacrera en 1994 cet écrivain « qui, avec une grande force poétique, crée un monde imaginaire où la vie et le mythe se condensent pour former un tableau déroutant de la fragile situation humaine actuelle » (extrait du texte du Comité Nobel).
C’est l’écrivain lui-même qui résume le mieux sa vie et son œuvre : « Vivre en tant qu’écrivain, c’est condenser toute une époque en une seule personne ». De la forêt mythique de Shikoku à la musique ensorcelante d’Hikari, Kenzaburô Ôe sème des graines.
« Chacun, au cours de son propre travail, crée ses propres graines, avec ses mots, et les laisse pour le futur. Comme une cristallisation qui se produit au fond de soi. Je pense que chacun à envie de transmettre cela aux générations suivantes. Et dans le futur, un jour, cela portera ses fruits. Ces graines, même petites, germeront quelque part profondément, c’est ce que les artistes veulent léguer aux générations futures. »
ÔE Kenzaburô, l’écrivain par lui-même aux éditions Philippe Picquier, collection Japon, 376 pages / 23,50 €. Plus d’information sur le site des éditions Philippe Picquier, et extraits d’entretiens disponibles ici.
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