Du printemps à l’hiver : Le Japon au fil des saisons

Le musée Cernuschi présente, jusqu’au 11 janvier 2015, une soixantaine de peintures sur papier et sur soie. Une exposition tout en symbolique et joliesse qui retrace les grands courants picturaux japonais, entre le XVIIe et XIXe siècle.

Grues

Suzuki Kiitsu (1796-1858) – Grues

Un instant dédié aux couleurs du temps. Avec sa nouvelle exposition, le musée Cernuschi se pare de tous les tons de la nature : pigments tendres du printemps, aux teintes bleutées, roses et vertes, gris nuancés de l’hiver, ocre élégante de l’automne. Au creux des kakemono (rouleaux verticaux), makimono (rouleaux horizontaux) et byobu (paravents), les animaux se mêlent aux fleurs qui s’emmêlent aux plantes, aux arbres pour former des paysages sensibles et fertiles. Comme un orchestre symphonique, les œuvres se fondent et se détachent dans une parfaite harmonie. Parmi les douze kakemono de Sakai Hōitsu (1761-1828), Fleurs et oiseaux au fil des mois, l’on peut observer, çà et là, libellule et rose trémière, luffa et luciole, lilas de perse et petit geai. L’œuvre, comme toutes celles de l’exposition, appartient à la collection américaine de Robert et Betsy Feinberg. Ce couple d’amateurs a vu son intérêt pour les grands noms de la peinture nippone naître à partir des années 1970, aiguillés par la sœur de Betsy, alors conservateur d’art japonais au Brooklyn Museum de New York. Ils découvraient alors un art porteur d’une symbolique, allant au-delà de la simple décoration figurative. Un art établi par les poètes depuis le VIIIe siècle, des aristocrates éduqués vivant dans des palais qui, rarement en contact avec le monde rural, vénéraient une nature idéalisée.

Symbolique des saisons… et des valeurs morales

Les visiteurs du musée Cernuschi regardent à leur tour ces peintures développant leur propre langage, largement méconnu du public européen. Ainsi apprendra-t-on que les cerisiers en fleurs symbolisent le printemps. A travers la Lune dans les nuages de Suzuki Shonen (1849-1918), émergeant sur fond de lavis bleu, jaune et gris, l’automne laisse poindre le bout de son nez. Tout comme avec les Erables en automne de Towaraya Sōri (actif vers 1764-1780). Troncs ondulés, feuillages vert et vermillon rendent visible le temps qui passe. Le Mont Fuji de Tani Bunchō (1763-1840) est, quant à lui, identifié à la passion amoureuse. Le nom du volcan est aussi l’homonyme d’une expression pouvant se traduire par « sans pareil ». A ce thème traditionnel de la peinture japonaise, l’artiste mêle un certain réalisme d’influence occidentale, qu’il affectionne.  

Le Mont Fuji

Tani Bunchō (1763-1840) – Le Mont Fuji

A l’époque d’Edo (1615-1868), toutes les classes de la société japonaise sont pénétrées par l’éducation confucéenne. Sous l’influence de la Chine, l’expression des valeurs morales apparait dans l’art pictural. La force revêt ainsi le plumage des rapaces. L’Aigle perché devant une cascade de Ganku (1749 ou 1756-1838), tout en tension et mouvement, en offre un bel exemple. Les majestueuses Grues du paravent à deux feuilles de Suzuki Kiitsu (1796-1858), du courant Rin (Rinpa), sur fond de couleur dorée et lavis bleu, inscrivent, quant à elles, la longévité des immortels taoïstes.

Le temps de l’innovation

L’époque d’Edo est aussi l’occasion pour des peintres indépendants, non rattachés aux écoles officielles (Kano et Tosa) et issus de tous milieux, de prendre leur envol artistique. Le but est de répondre à la demande croissante en œuvres d’art de la classe citadine et bourgeoise. De nouveaux ateliers se fondent, innovant à la fois dans les idées et la technique du rendu des motifs. Une certaine recherche de réalisme et du goût décoratif se donne à voir, dans l’exposition, avec le Paon et pivoine de Maryama Okyō (1733-1795). Ancien élève Kano, l’artiste fonde à Kyoto un atelier prônant l’étude sur le motif (shaseiga : peinture réelle), au style coloré et aux volumes accentués. Le goût pour les thèmes animaliers joue un rôle essentiel dans le renouveau de la peinture japonaise, repris notamment par Mori Sosen (1747-1821) avec ses fameux singes et Ganku, avec ses tigres et ses oiseaux. Les thèmes de longue tradition demeurent néanmoins, comme l’illustration de sites célèbres. A ce titre, les Vues du mont Takao en automne et d’Arashiyama au printemps de Yamamoto Baiitsu (1783-1856), peintre du courant Nanga (« peinture du Sud ») apparu dans la région de Kansai (Kyoto) au début du XVIIIe siècle. Cette paire de paravents à six feuilles montre une scène de genre au sein d’une végétation paisible, où les rivières Kiyotaki et Hoju coulent langoureusement, imperturbables aux barques en mouvement. Tout près, les courtisanes se promènent, cachées de leurs ombrelles et les citadins pique-niquent sur des étoffes rouges. Un moment de grâce, à l’égal de ces vers du poète Kiyohara no Fukayabu (IXe-Xe siècle) :
C’est l’hiver
et pourtant tombent du ciel
des pétales de fleurs,
au-delà des nuages,
y aurait-il un printemps ?

Paon et pivoines

Maruyama Ōkyo (1733-1795) – Paon et pivoines

 Infos pratiques : Le Japon au fil des saisons, jusqu’au 11 janvier 2015 au musée Cernuschi, 7 avenue Vélasquez, 75008 Paris.

Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h.

8euros plein tarif, 6euros tarif réduit.

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