Atsushi Kaneko, L’homme aux univers improbables
Après Bambi et Soil, Atsushi Kaneno est prêt à nous faire replonger dans les méandres de son esprit avec son nouveau titre : Wet Moon. Prenez des influences de comics américains parsemés d’alternatif, saupoudrez le tout d’un côté Punk et vous obtiendrez un auteur qui a su séduire par un style particulier qu’il maîtrise totalement.
Dès le début, le décor est posé : Atsushi Kaneko nous précipite dans une ambiance mi-réaliste mi- sordide dans laquelle le lecteur ne sait pas quand il sombrera à son tour dans la folie instaurée par l’auteur.
Kaneko nous plonge dans un puzzle géant dont les énigmes sont réparties tout au long des 3 tomes. Une intrigue progressive, finement ficelée, qui, bien qu’elle nous immerge dans le chaos et la folie ambiante, reste logique et entraînante. Ponctuée de nombreux flashback, l’histoire nous ramène toujours au même et seul mystère : cette femme que poursuit le héros de l’histoire, Sata.
Darkened Room
L’histoire se déroule au sein d’une station balnéaire aux faux airs de Las Vegas, dans un Japon des années 1960. Au sein de cette ambiance où semble régner corruption et faux semblant, Sata, jeune inspecteur droit et zélé, enquête sur le meurtre d’un ingénieur. Les indices le mènent dans une usine où la victime travaillait sur de mystérieux modules liés à une exploration lunaire. Sur place, la secrétaire qui reçoit les inspecteurs prend la fuite, et Sata se lance immédiatement à sa poursuite. Alors qu’il la chasse, il s’effondre subitement. A son réveil, il se retrouve à l’hôpital avec pour seul indice une cicatrice sur le front ainsi qu’un un bout de métal logé dans le crâne lui procurant des douleurs lancinantes, des pertes de mémoire et des hallucinations. Sata n’a alors qu’une idée en tête : découvrir ce qui lui est arrivé et appréhender à tout prix la suspecte : Kiwako Komiyama.
The man on the Moon
La traque de cette dernière va vite prendre la forme d’une obsession amoureuse. Jour et nuit, ici et ailleurs il ne va penser qu’à une chose : retrouver Kiwako Komiyama et l’arrêter. Mais alors que celui-ci semble tourner en rond dans sa recherche, il va recevoir un étrange coup de fil à la fois mystérieux et énigmatique de Tamayama. Atsushi plonge alors le lecteur au cœur de son labyrinthe policier : Qui est ce Tamayama ? Quel lien a-t-il avec Kiwako Komiyama et pourquoi les collègues de Sata tremblent-ils tous à l’évocation de ce nom ?
Tamayama promet des réponses aux questions que se posent Sata dans l’éventualité où il arrive à retrouver un objet que lui aurait dérobé Kiwako.Pendant ce temps, les collègues de Sata cherchent à le faire sombrer tout en essayant de lui soutirer une information capitale à leurs yeux. Une information qui pourrait les faire couler. Acculé, déboussolé et au bord de la folie, l’inspecteur opère alors une plongée périlleuse dans sa mémoire défaillante, à la recherche de la pièce manquante du puzzle qui est beaucoup plus près qu’il ne le pense.
Une histoire vraie
Contrairement à Soil, l’auteur ne lève pas complètement le voile sur les mystères entourant la quête du protagoniste. Bien que le dénouement soit plus travaillé que dans Soil, Kaneko réussi encore une fois avec brio à immerger le lecteur de manière complète dans son imaginaire décalé et à le laisser perplexe à la fin de la lecture de son œuvre.
Atsushi Kaneko maîtrise un découpage quasi-cinématographique permettant une immersion complète et des sensations pénétrantes. L’auteur joue avec adresse sur le noir et blanc, distillant une angoisse et une tension presque palpable. Son trait offre une émotion très juste sur l’ambiance qu’il nous impose.
Loin des carcans habituels du manga japonais « traditionnel », le dessin de Kaneko attire par son trait net inspiré des comics un peu punk à la fois épai mais épuré. Son trait simple est en parfait contraste avec la complexité de la personnalité de ses personnages. Kaneko pose une constante permanente entre le bien et le mal, la réalité et l’imaginaire, la folie et la la raison. Il utilise le noir et le blanc avec une précision narrative incroyable, distillant de rares couleurs frappantes à des endroits stratégiques et percutants.
La face cachée du monde
Comme à son habitude, Atsuhi Kaneko a une palette de personnages hauts en couleur, dont il sait jouer avec subtilité. Qui est cette mystérieuse danseuse ? Ces hommes de l’ombre à sa poursuite sont-ils eux aussi des êtres venus d’ailleurs, comme dans un clin d’œil à Soil ? Kaneko a le don d’utiliser des archétypes qui lui sont propre avec habilité. Tous unique à leur manière, chacun des protagonistes participent à une narration méticuleusement mise en place. Qu’il ait un statut important ou non, chacun a un rôle bien défini et une importance capitale. Même si parfois tout cela nous échappe sûrement. Que ce soit les collègues de Sata ou cette vielle femme qui tient une petite épicerie, Kaneko applique son souci du détail avec une exagération extrême mais néanmoins maîtrisé, tout en faisant partie d’un immense microsome, dont la seule présence permet de matérialiser son scénario mêlant ultra réalisme et surnaturel. On l’impression qu’a travers chaque personnage est représenté une allégorie d’un maux, d’un travers de société telle que la corruption, la cupidité ou encore le mensonge…
Bien sûr celle qui nous intrigue le plus est la fameuse Kiwako Komiyama. Les premières pages s’ouvrent sur elle : un jeu de noir, de blanc et de rouge. Comme pour attirer l’attention, comme pour nous indiquer que cette femme deviendra également notre obsession la plus profonde tout au long des tomes. Et à juste titre : quand la narration traîne un peu en longueur, on la cherche, on l’attend, on s’essouffle. On s’interroge : Mais où est-elle ? Qui est cette femme, que lui est-il vraiment arrivé… Et même quand on finit par la revoir et qu’on pense que Sata la tient, elle finit toujours par s’échapper un peu comme cette vérité qu’on croit découvrir sur elle. On ne peut s’empêcher de se demander à quelle réalité se fier, à quel moment on a été aspiré dans la spirale de Kaneko, dans cette lune humide et dans ce manteau rouge.
Final Cut
Atsushi Kaneko a su créer un style novateur et surréaliste, qui, au fil du temps, est devenu reconnaissable par de nombreux spectateurs et critiques. On accorde souvent à Kaneko le qualificatif d’un univers « Lynchien ». Là où Kaneko et Lynch se rejoignent probablement, c’est à travers la caractérisation de leur imaginaire. Ils possèdent tous deux une imagerie onirique très forte qui peut parfois être assez agressive tout en contrastant avec le dessin très « lisse » de Kaneko. L’auteur a une conception narrative très méticuleuse et parfois violente qui peut déranger un public non averti.
Il a le don de mettre au même plan l’imaginaire et le quotidien. Le mélange des deux pose tout de suite l’ambiance et plonge le lecteur lui-même dans un état de détresse. Oui, les personnages sombrent dans la folie, mais qui ? Quand ? Ai-je tout compris ? Ce sentiment d’avoir raté quelque chose, d’avoir la réponse sous le nez mais que quelque chose manque. Quand soudain, paradoxalement, tout s’éclaircit à mesure que tout perd son sens.
Message du futur
Wet Moon est une œuvre dont on ne peut pas tout expliquer, tout dire, tout décrire ou divulguer sans se perdre dans des méandres qui rendrait l’explication marécageuse et dénuée de sens. Kaneko a une fois de plus su nous faire voyager dans son univers, mêlant réalisme et atmosphère surréaliste. Il a su tenir compte de son travail passé pour nous fournir un produit plus élaboré, mais qui laisse une toute aussi forte impression à la lecture. Wet Moon se classe dans les incontournables, à appréhender toutefois avec un esprit ouvert et solide.
2 réponses
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